Dans sa nouvelle Chronique du Moyen-Orient, l'ambassadeur Bertrand Besancenot s'interroge sur la vision politique que devrait avoir la France au Moyen-Orient, ainsi que sur l'évolution de la situation politique au Liban. Enfin, il analyse les enjeux de la rencontre prochaine entre Donald Trump et Mohammed ben Salmane à Washington, alors que le royaume prévoit un plan global pour le Moyen-Orient.
Chroniques du Moyen-Orient – « Politique arabe de la France », situation au Liban et plan saoudien pour le Moyen-Orient (octobre-novembre 2025) (T 1768)
Middle East Chronicles —“France’s Arab Policy”, the situation in Lebanon and the Saudi plan for the Middle East (October-November 2025)
In his new Middle East Chronicle, Ambassador Bertrand Besancenot reflects on the political vision France should have in the Middle East, as well as on the evolving political situation in Lebanon. Finally, he analyzes the implications of the upcoming meeting between Donald Trump and Mohammed bin Salman in Washington, as the kingdom prepares a comprehensive plan for the Middle East.
Faut-il une nouvelle « politique arabe la France » et laquelle ?
Le général de Gaulle avait, après la guerre de 1967, inauguré une « politique arabe de la France » consistant à établir avec les pays de cette partie du monde une relation apaisée – surmontant les tensions de la crise de Suez et de l’indépendance de l’Algérie – et visant à développer une coopération privilégiée avec des États proches et dont certains avaient été liés historiquement à nous. Notre image de pays pratiquant une diplomatie plus indépendante de Washington et plus « équitable », notamment sur la question palestinienne, que la plupart de nos partenaires occidentaux, nous a valu le respect des pays arabes et nous a permis de développer une coopération fructueuse, en particulier avec l’Irak et certains pays du Golfe – surtout les Émirats arabes unis (EAU) et le Qatar.
À partir de la présidence de Nicolas Sarkozy, nous avons été perçus comme plus proches des États-Unis et les débats en France sur les questions du voile et de la burka nous ont fait apparaître aux yeux de beaucoup dans le monde arabo-musulman comme étant un « pays ayant un problème avec l’islam ». Notre image spécifique dans ta région s’en est ressentie, même si nous avons conservé de bonnes relations avec la plupart des pays arabes – rappelons-nous, par exemple, la « lune de miel » entre le président Sarkozy et le Qatar.
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la relation s’est concentrée lors de son premier mandat sur les EAU, considérés à l’Élysée comme un « modèle » pour le monde arabe, et l’Égypte, avant de s’élargir à d’autres pays par la suite : Arabie saoudite, Qatar, Irak, Liban, Algérie, Maroc. Notre politique a également connu des tergiversations au Liban, au Maghreb ainsi que sur la question israélo-palestinienne, qui ont nui à sa lisibilité.
En près de cinquante ans, le monde arabe a beaucoup évolué et, aujourd’hui, son centre de gravité s’est déplacé vers l’est (le Golfe) même si l’Égypte conserve un poids spécifique. Alors que plusieurs pays ayant connu les troubles des Printemps arabes s’affaiblissaient, les pays du Golfe connaissaient un développement prodigieux en tablant sur la mondialisation et les nouvelles technologies. Aujourd’hui, ils ont acquis un soft power incontestable (grands projets économiques, tourisme, sports, culture, événementiel, communication…) et leur influence politique est déterminante : le prince héritier saoudien est devenu l’interlocuteur le plus ménagé par le président Donald Trump, qui souhaite obtenir une reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite ainsi que de juteux contrats dans la région.
En outre, avec la guerre de Gaza, les cartes sont redistribuées au Moyen-Orient : l’« axe de la résistance » (les alliés de Téhéran : Hamas, Hezbollah, Houtis) est très affaibli après les frappes israéliennes et américaines, Tel Aviv domine stratégiquement la région, les pays du Proche-Orient (Syrie, Liban, Palestine) ont besoin de l’assistance régionale et internationale pour se reconstruire, les États du CCEAG ont pour priorité leurs programmes de développement (les « Vision 2030 ») et pratiquent de plus en plus clairement une politique de pluri-alignement en évitant d’être embrigadés dans la compétition américano-chinoise. En réalité, Donald Trump est désormais indispensable dans la région et les pays du Moyen-Orient se positionnent en fonction de ses prises de position. Le problème est qu’il change souvent d’avis et ne respecte pas vraiment ses propres engagements… ce qui constitue un facteur d’incertitude pour tous. Néanmoins il est clair qu’il est le seul à pouvoir faire pression sur Benjamin Netanyahou et que les Iraniens ne recherchent en réalité d’arrangement qu’avec lui.
Inquiétude au Liban
L’élection du président Joseph Aoun et la formation de son excellent gouvernement – couplées avec la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie et l’affaiblissement du Hezbollah – avaient suscité beaucoup d’espérance au Liban sur la renaissance du pays du Cèdre et l’engagement, enfin, de réformes structurelles permettant sa reconstruction avec l’aide internationale. Cette dynamique devait, en outre, conduire à un renouvellement politique lors des prochaines élections législatives.
Plusieurs mois après, cet élan parait brisé et l’inquiétude est de retour en raison de plusieurs facteurs. Le cessez-le-feu avec Israël n’est pas réellement respecté, du fait de la poursuite de l’occupation de portions du territoire libanais et de frappes aériennes récurrentes ; le Hezbollah admet en principe le monopole de la force par les autorités libanaises mais ne paraît guère disposé à désarmer, en arguant du non-respect par Israël de l’accord ; le gouvernement israélien menace, lui, de « finir le travail » au Liban si le gouvernement libanais ne parvient pas à désarmer le Hezbollah ; les Américains, les pays du Golfe et même les Européens exigent ce désarmement du Hezbollah en préalable à la fourniture de l’aide nécessaire à la reconstruction du pays. La France soutient néanmoins la politique du président Aoun d’une démarche progressive.
Cette situation incertaine fait craindre à la population libanaise une reprise des opérations israéliennes avec le feu vert américain. La seule lueur d’espoir est que la prochaine visite du prince héritier saoudien à Washington le 18 novembre – où seront discutés des contrats bilatéraux mais aussi la situation régionale – permette de calmer les ardeurs guerrières de Benjamin Netanyahou. En effet, le président des États-Unnis ménage les pays du Golfe – et, en particulier, Mohammed ben Salmane – car il souhaite une reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite pour obtenir le Prix Nobel de la paix, ainsi que la concrétisation des projets d’accords annoncés lors de sa visite à Riyad, Doha et Abou Dabi en mai dernier.
Toutefois, Riyad n’envisage de contribuer à la reconstruction de Gaza et du Liban que dans le contexte du désarmement du Hamas et du Hezbollah. En effet la reprise du dialogue entre Riyad et Téhéran ne signifie pas que la méfiance des pays du Golfe envers les proxies de l’Iran au Moyen-Orient ne subsiste pas et que le reflux de l’influence iranienne dans la région ne soit pas apprécié dans les capitales du Golfe. Le président américain peut donc en tirer la conclusion que si les autorités libanaises ne parviennent pas à obtenir le désarmement rapide du Hezbollah, les Israéliens auraient, eux, la capacité de le faire.
La pression est donc actuellement forte sur le gouvernement libanais et il n’est pas certain que Benjamin Netanyahou attende longtemps avant d’agir. D’où l’inquiétude qui s’est emparée de la population libanaise qu’une reprise des opérations militaires israéliennes sur leur territoire soit tout à fait possible à bref délai.
L’Arabie saoudite élabore un plan global pour le Moyen-Orient
Un certain nombre d’observateurs soulignent le retrait relatif de l’Arabie saoudite dans la gestion des problèmes du Moyen-Orient : en particulier l’absence du prince héritier lors de la conférence à New York sur la solution à deux États et à l’occasion d’autres réunions régionales, donnant le sentiment de prendre du recul par rapport à d’autres acteurs comme l’Égypte et le Qatar. Certains évoquent des soucis concernant la santé du roi Salmane, mais aussi un manque d’engagement dans le plan arabe pour Gaza.
En réalité le royaume se voit comme le « rassembleur de la famille arabe » et recherche, par ailleurs, le moyen de stabiliser le Moyen-Orient afin de permettre son développement économique – notamment la Vision 2030 saoudienne – que les conflits incessants hypothèquent.
Le recul de l’influence iranienne, du fait des opérations militaires israéliennes, et la chute du régime syrien de Bachar el-Assad sont, à ce titre, perçus à Riyad comme des opportunités réelles pour tenter de définir un nouvel équilibre régional plus stable et attrayant pour les investisseurs internationaux.
Toutefois, la politique intransigeante de Benjamin Netanyahou fait craindre de nouvelles confrontations et l’affirmation d’une forme d’impérialisme israélien redouté par les pays de la région. Mohammed Ben Salmane (MBS) est conscient qu’aujourd’hui seul le président Donald Trump est en mesure de calmer les ardeurs guerrières de Benjamin Netanyahou et de lui imposer des concessions qu’il refuse actuellement.
C’est la raison pour laquelle le prince héritier saoudien élabore une approche globale de la région dans la perspective de sa visite à Washington le 18 novembre prochain. L’idée est d’éviter une nouvelle escalade entre Israël, les Arabes, les Iraniens et les Turcs, que les ambitions de Benjamin Netanyahou risquent de susciter. Par ailleurs, il convient de conforter l’aspiration de Donald Trump à apparaître comme un « faiseur de paix » en l’encourageant à soutenir des solutions politiques au lieu de l’emploi de la force. MBS devrait donc proposer au chef de la Maison Blanche une nouvelle alliance stratégique comportant des accords bilatéraux en matière de défense et de sécurité, mais aussi un plan régional de stabilisation du Moyen-Orient sur les bases suivantes :
Palestine : soutien à la mise en œuvre du plan de paix de Donald Trump pour Gaza avec l’objectif d’aller au-delà d’un cessez-le-feu et de s’engager dans un processus sérieux menant à la création d’un État palestinien, permettant la reconnaissance d’Israël par l’Arabie saoudite – ce qui implique des pressions américaines sur Benjamin Netanyahou.
• Iran : éviter une nouvelle confrontation et reprendre des négociations américano-iraniennes, que MBS pourrait faciliter en convainquant Téhéran de favoriser des solutions de compromis au Yémen (Houtis), au Liban (Hezbollah) et en Irak (milices chiites) et d’accepter de limiter la portée de ses missiles balistiques et un contrôle strict de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur l’enrichissement de son uranium – en échange d’une levée de sanctions américaines et d’assurances sur la pérennité d’un tel accord. Naturellement, les négociations seraient difficiles, mais elles sont souhaitées par l’Iran et ses voisins arabes ; elles permettraient ainsi aux États-Unis un désengagement militaire partiel du Moyen-Orient. Elles justifieraient, en outre, un Prix Nobel de la paix pour Donald Trump.
• Liban : éviter une reprise des hostilités israéliennes contre le Hezbollah en demandant, par l’intermédiaire de MBS, à l’Iran d’inciter le « Parti de Dieu » à faire preuve de plus de souplesse dans l’instauration du monopole des armes pour l’armée libanaise. L’idée est de conforter le président Aoun dans son approche progressive, à condition de pouvoir montrer des résultats.
• Syrie : appuyer le président Chareh et la reconstruction du pays, en concertation étroite avec les Turcs et les pays du Golfe.
Ce plan global est naturellement très ambitieux et devra, s’il est accepté par le président Donald Trump, surmonter de nombreuses difficultés de mise en œuvre. Il reflète néanmoins la volonté de Riyad de calmer le jeu au Moyen-Orient et de tenter – avec l’aide américaine – d’éviter une escalade envisagée par Benjamin Netanyahou et de poser les bases d’un règlement durable au Moyen-Orient, permettant le développement de la région. Ce plan tient compte des vues du président des États-Unis qui veut apparaître en « faiseur de paix » et qui souhaite associer étroitement les entreprises américaines aux grands projets économiques dans le Golfe. Il sera donc intéressant de voir, à l’issue de la visite du prince héritier saoudien à Washington, dans quelle mesure Donald Trump est sensible à ces arguments et est prêt à user de son influence pour faire avancer ces idées, qui sont convergentes avec celles de notre diplomatie. ♦
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