Connexion
  • Mon espace
RDN Association loi 1904, fondée en 1939 RDN Le débat stratégique depuis 1939
  • Panier - 0 article
  • La Revue
  • e-RDN
    • Tribune
    • e-Recensions
    • Cahiers de la RDN
    • Débats stratégiques
    • Florilège historique
    • Repères
    • Brèves
  • Boutique
    • Abonnements
    • Crédits articles
    • Points de vente
    • Conditions générales de vente
  • Bibliothèque
    • Recherche
    • Auteurs
    • Anciens numéros
  • La RDN
    • Présentation
    • Comité d'études
    • L'équipe
    • Contact
    • Lettre d'infos
    • Agenda
  • Liens utiles
  • Mon espace
  • Connexion
  • Connexion

    Email :

    Mot de passe :

  • La Revue
  • e-RDN
    • Tribune
    • e-Recensions
    • Cahiers de la RDN
    • Débats stratégiques
    • Florilège historique
    • Repères
    • Brèves
  • Boutique
    • Abonnements
    • Crédits articles
    • Points de vente
    • Conditions générales de vente
  • Bibliothèque
    • Recherche
    • Auteurs
    • Anciens numéros
  • La RDN
    • Présentation
    • Comité d'études
    • L'équipe
    • Contact
    • Lettre d'infos
    • Agenda
  • Liens utiles
  • Accueil
  • e-RDN
  • Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session
  • Du rôle public des anciens militaires : au service de la résilience du pays !

Du rôle public des anciens militaires : au service de la résilience du pays !

Arnaud Bouilland, "Du rôle public des anciens militaires : au service de la résilience du pays ! " Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session

Face à une dégradation sécuritaire historique, cet essai plaide pour un réinvestissement des anciens militaires dans le débat public français, afin de contribuer au nécessaire réveil du pays face au risque de guerre. Historiquement présents dans les sphères décisionnelles, puis marginalisés depuis la guerre d’Algérie, ces profils sont pourtant des atouts précieux pour l’action publique par l’expérience acquise et leur sens de l’intérêt général. Des initiatives récentes de l’État montrent la voie d’une reconversion productive, mais elles doivent encore surmonter des résistances culturelles et administratives. L’enjeu n’est pas une militarisation de la République, mais une optimisation des parcours, dans une logique de résilience nationale.

« La défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il n’y saurait manquer sans se détruire lui-même. » Général de Gaulle, discours de Bayeux, le 16 juin 1946.

Depuis que le général de Gaulle a prononcé ces mots qui ornent les murs du Secrétariat général à la défense et la sécurité nationale (SGDSN), les États européens ont peu à peu oublié cette responsabilité en engrangeant les « dividendes de la paix ». Or, ils font face aujourd’hui à des enjeux de sécurité inédits depuis la création de l’Otan, entre la conjonction de crises de natures différentes et le pivot stratégique de l’allié américain vers l’Indo-Pacifique. Le réveil est brutal pour les populations et de nombreux responsables politiques européens appellent à se réarmer pour assumer la défense de leur continent.

Cette étude défend l’idée que la situation s’explique en partie, par la relative absence des enjeux de défense dans le débat public, laissant ainsi place à des choix politiques engrangeant des dividendes de la paix et induisant des cycles de désengagement capacitaire qui pourraient se reproduire à l’avenir. Pour être durable, le réveil stratégique français doit alors dépasser le seul réarmement militaire et promouvoir la cohésion nationale : comme l’indique le ministre des Armées Sébastien Lecornu, un « réarmement intellectuel » (1) de la Nation s’impose. Dépassant un « fantasme putschiste » (2) polémique et anachronique associé notamment aux figures mythifiées de Napoléon ou du général de Gaulle, cet essai plaide pour un retour, dans la limite de leur statut républicain singulier, des militaires et surtout des anciens militaires dans les sphères politiques et décisionnelles, dont ils ont été largement évincés au fil de l’histoire. Le rôle des militaires dans la société a fait l’objet de nombreux travaux (3) qui explorent leur place dans l’État, les entreprises ou la politique. Toutefois, ces réflexions distinguent souvent mal l’ancien militaire (4) du militaire d’active et se heurtent alors aux limites du statut militaire, rendant toute proposition de réforme au mieux complexe, voire socialement et politiquement inacceptable. Le cadre qui régit aujourd’hui ce statut (5) résulte en effet d’un équilibre entre les droits du citoyen et l’exception liée aux attentes d’une Nation envers ses protecteurs. L’armée française, professionnelle et apolitique, reste soumise au pouvoir civil démocratiquement élu. Ce modèle fonctionne bien, grâce à une chaîne de décision efficace, où les militaires conseillent l’échelon politique avant de mettre en œuvre les décisions prises. Évoluant régulièrement pour permettre une meilleure intégration des militaires à la vie publique (6), l’équilibre actuel n’a pas ici à être remis en question.

En se concentrant sur les anciens militaires, il s’agit d’explorer les apports possibles d’un engagement accru dans la vie publique, engagement qui relève alors moins d’une évolution juridique que d’un changement de regard sur leur utilité, au-delà d’un « rôle social » principalement tourné vers la jeunesse. Que ce soit pour éclairer d’expertise le débat public sur les sujets de défense ou pour bénéficier de compétences managériales clés, les plus hauts profils allient ces qualités à une solide expérience de l’action publique, du terrain jusqu’au niveau stratégique. Moins contraints par le devoir de réserve une fois civils ou en retraite, ils peuvent contribuer ou être acteurs des politiques publiques, dans le respect des valeurs républicaines.

Après avoir pris un recul historique national sur les avantages et inconvénients d’un rôle accru des anciens militaires dans l’appareil d’État, nous conclurons sur les pistes à explorer pour accroître leur participation en politique et dans la haute administration, en évitant les écueils traditionnels.

L’engagement des militaires et anciens militaires, un éclairage historique

Rôle historique des anciens militaires dans l’action publique

L’implication des militaires et anciens militaires dans la vie politique française est une thématique aussi ancienne que complexe. Sans qu’il soit aisé de distinguer les responsabilités exercées sous l’uniforme ou immédiatement après, leur rôle prépondérant dans la gouvernance de l’État peut de prime abord s’expliquer par un contexte de guerre quasi permanente entre 1870 et 1962, en particulier dans les périodes de transition qui ont précédé et succédé aux principales guerres (7). L’histoire coloniale française a d’ailleurs renforcé le lien entre carrière militaire et gouvernance civile. De nombreux généraux ont ainsi été nommés à des postes de responsabilité dans l’administration coloniale, comme Lyautey, Juin, Weygand ou Catroux. Cette continuité entre service militaire et pouvoir civil s’est aussi illustrée jusque dans la politique nationale, avec Mac Mahon président au début de la IIIe République, Catroux ministre puis ambassadeur, ou encore Pétain et Darlan brièvement à la tête de l’État pendant la Seconde Guerre mondiale. Sans faire ici un état exhaustif des fonctions exercées par d’anciens militaires, il faut également citer les postes de ministre de la Guerre tenus par de nombreux anciens généraux entre 1870 et 1945, ou de la Marine, généralement tenus par d’anciens officiers généraux dans les périodes de conflit jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (8). Cette présence s’étend au-delà de 1945 : le général Koenig fut gouverneur militaire en Allemagne, député Rassemblement pour la France (RPF), puis ministre de la Défense. Le général Bigeard, encore d’active, devint secrétaire d’État à la Défense en 1975 pour restaurer l’image de l’armée, avant d’exercer trois mandats de député.

Parallèlement, c’est peut-être paradoxalement l’engagement collectif des anciens combattants qui structura le plus durablement la vie publique au XXe siècle. L’Union nationale des combattants, fondée en 1919, a en effet pesé sur les débats sociaux et mémoriels jusqu’aux années 1960. Apolitique en apparence, elle influençait les politiques sur les pensions et la mémoire collective. Comme le montre l’historien Antoine Prost (9), ces associations ont servi de pont entre société et institutions, prolongeant l’esprit de solidarité du front dans la vie civique. L’influence des anciens militaires de haut rang dans les cercles de réflexion et académies était alors également considérée comme utile et normale : Foch promeut en 1917 la création d’un cercle de l’Union interalliée (10), Weygand est élu à l’Académie française au fauteuil du maréchal Joffre en 1931 et Juin devient membre de l’Académie des sciences coloniales avant d’être élu à l’Académie française en 1952.

La fin de la guerre d’Algérie en 1962 marque cependant une rupture. Le traumatisme du conflit, le putsch de 1961 et les tensions avec le pouvoir gaulliste brisent la confiance entre armée et nation. Dès lors, l’engagement politique des militaires devient tabou. L’armée adopte une stricte neutralité républicaine, renforcée par sa professionnalisation dans les années 1990, cantonnant les militaires à un rôle technique, parfois au niveau stratégique, mais sans expression politique. C’est à ce moment que le statut des militaires génère un relatif effacement de leur expression dans l’espace public comme politique, et qu’il faut regarder spécifiquement du côté de l’engagement des anciens militaires.

Loin de la politique partisane, les anciens militaires ont alors investi d’autres sphères de l’espace public, tels que les généraux Beaufre et Gallois, qui ont continué la structuration doctrinale de la dissuasion, tandis que des think-tanks comme la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) ou l’Institut français des relations internationales (Ifri) utilisent activement d’anciens militaires pour contribuer à la pensée stratégique française. Avec l’émergence des réseaux sociaux et d’Internet comme canal principal d’expression depuis les années 2010, les anciens militaires se montrent enfin particulièrement actifs sur ce segment, que ce soit grâce aux sites spécialisés dont ils sont propriétaires, aux sites spécialisés auxquels ils contribuent régulièrement en tant qu’experts, ou encore via des posts relayés par leur communauté sur les réseaux sociaux (11). Cet activisme intellectuel ou associatif, souvent à visée pédagogique ou prospective, participe à la réhabilitation de leur expertise dans l’espace démocratique. Depuis 2015, les Associations nationales professionnelles de militaires (ANPM) offrent un nouveau cadre légal à l’expression collective des militaires. Elles permettent de traiter de sujets comme le statut ou les conditions de travail, sans rompre avec la neutralité institutionnelle. Elles incarnent une nouvelle forme d’engagement civique structuré. Selon une approche plus indirecte mais non moins influente, des associations comme l’Association de soutien à l’armée française (Asaf) permettent également aux anciens militaires de faire entendre discrètement leur voix.

Dans le contexte de crise sécuritaire que connaît actuellement le monde occidental, il faut maintenant se pencher sur les risques et avantages, réels ou perçus, liés à une implication plus grande des anciens militaires sur la scène publique.

Implication plus importante des anciens militaires : pour ou contre ?

Risque de politisation des armées modéré par un engagement pondéré plus large des anciens militaires

Une fois en retraite ou ayant quitté le service actif, les anciens militaires redeviennent des citoyens normaux, jouissant de tous leurs droits d’expression, dont celui de revendiquer leur expertise professionnelle et leur passé militaire. La proximité entre les militaires retraités du service actif et ceux qui demeurent sous les drapeaux jette cependant la suspicion sur les derniers à mesure que les premiers s’expriment dans l’espace public : la multiplication des interventions médiatiques ou politiques, notamment sur des sujets sensibles ou clivants pourrait ainsi brouiller l’image d’impartialité et de neutralité traditionnellement associée aux forces armées. Dans un contexte de polarisation de l’opinion publique, où cette parole – même extérieure à l’institution et donc officieuse ou privée – pourrait être instrumentalisée à des fins partisanes, l’institution militaire perdrait alors ce qui lui est reconnu comme une force au regard d’autres, sa neutralité politique et sa loyauté envers les dirigeants politiques démocratiquement élus.

La tribune des généraux publiée dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles en 2021 (12), appelant à la vigilance face à un supposé « délitement » de la société française, en constitue un bon exemple. Bien que majoritairement signée par des officiers généraux 2S n’ayant jamais exercé des fonctions d’officier général, cet appel, relayé publiquement le 21 avril, date symbolique de la tentative de putsch d’Alger de 1961, a suscité une vive polémique dans l’opinion publique et au sein des institutions, entre liberté d’expression, dérive factieuse, devoir de réserve et insubordination. Une enquête du Monde (13) révélait, par ailleurs, que plusieurs signataires de la tribune de Valeurs actuelles étaient proches de mouvements identitaires ou de la mouvance souverainiste. Ainsi, malgré les sanctions disciplinaires et les déclarations publiques du ministère et du chef d’état-major des armées rappelant le devoir de réserve et la neutralité des armées (14), naissait le soupçon de politisation partisane d’une minorité visible et pourtant non représentative de l’ensemble des retraités des armées.

La voix des anciens militaires, même dépourvue de l’onction institutionnelle, conserve donc une portée symbolique forte qui, comme le souligne le général (2S) François Chauvancy (15), pourtant encadrée et insérée dans un cadre démocratique, peut aussi enrichir le débat public. L’exemple du général Pierre de Villiers, dont la démission en 2017 a marqué les esprits, illustre cette influence. En 2020, 20 % des Français se disaient prêts à voter pour lui, mais il refusa toute candidature, préférant s’exprimer par ses écrits, dans le respect de la neutralité républicaine. L’engagement politique actuel du général (2S) Christophe Gomart comme député européen, portant une parole modérée et respectant son devoir de réserve, montre également qu’un engagement public réfléchi est possible.

Ainsi, malgré le risque permanent de dérapage et la marge étroite entre respect des droits individuels et bien collectif, il demeure essentiel de favoriser une expression plus large et diversifiée des anciens militaires pour marginaliser les discours extrémistes et inscrire leur parole dans un cadre républicain apaisé. Paradoxalement, au lieu d’être bridée, une présence plus régulière et pluraliste dans le débat public renforcera la légitimité de cette communauté et désamorcera les polémiques.

À ces conditions, l’implication structurée et exemplaire des anciens militaires deviendrait un levier au service de l’intérêt général, de l’efficacité administrative et du lien entre armée et société. Car conjuguer expérience opérationnelle, sens de l’intérêt général et rigueur du service public, c’est enrichir notre démocratie d’une voix éclairée, ancrée dans la réalité du terrain et dans une culture de l’engagement.

Le fantasme de la dérive autoritaire d’une communauté militaire surreprésentée face à la nécessité d’éclairer le débat public et la décision politique

La peur d’une possible dérive autoritaire associée à un retour en force des anciens militaires dans l’espace politique ou décisionnel s’ancre dans des épisodes marquants de l’histoire récente, au premier rang desquels la tentative de putsch des généraux d’avril 1961 à Alger, où une frange de l’armée a tenté de s’opposer à la politique du général de Gaulle sur l’autodétermination de l’Algérie. En dépit du contexte et du rétablissement rapide de l’ordre républicain, la mise en exergue de cet événement entretient le fantasme d’un pouvoir militaire en embuscade, prêt à prendre le pouvoir par la force et suppléer des institutions civiles jugées défaillantes.

Pourtant, dans le contexte contemporain d’une République stabilisée par les évolutions du système politico-militaire, dotée de solides institutions démocratiques et d’une armée professionnelle encadrée par un strict devoir de réserve, ces peurs relèvent davantage de l’anachronisme que d’un risque réel. La professionnalisation des armées depuis les années 1990 a renforcé leur retrait du champ politique, au profit d’un rôle technique et stratégique, respectueux de la hiérarchie démocratique. Par ailleurs, l’architecture statutaire déjà décrite, garantit la neutralité des forces armées tout en permettant un minimum de liberté d’expression qui, en raison de la place récente que prennent les sujets de défense et de sécurité nationales, peut donner le sentiment d’une omniprésence des anciens militaires dans le débat public. Par transposition aux anciens militaires, elle suscite par assimilation un réflexe de prudence – voire la défiance – d’une partie de la classe politique vis-à-vis de leur implication dans les affaires de l’État.

Cette perception fait également resurgir la crainte d’une surreprésentation d’un corps particulier – en l’occurrence celui des anciens militaires – dans les espaces de l’action publique censés incarner la diversité de la Nation. Cette critique s’inscrit dans une problématique plus générale de représentativité socioprofessionnelle des élites, que l’on retrouve également dans les débats sur la technocratie ou « l’entre-soi administratif » (16). Cela a pu être vrai sous la IIIe République et jusqu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale avec jusqu’à 20 % d’anciens militaires d’active à l’Assemblée nationale (17). Les chiffres montrent aujourd’hui l’inverse avec moins d’1 % des députés depuis 1968. Le rapport parlementaire de 2013 (18) indique une nette sous-représentation des anciens militaires dans les fonctions politiques ou administratives de haut niveau, c’est-à-dire là où se décident et se mettent en œuvre les politiques publiques, et donc là où elles doivent être éclairées par les enjeux de défense et sécurité nationale. Selon la Mission de retour à la vie civile des officiers généraux (Mirvog), pour des raisons personnelles ou financières, nombre d’entre eux rejoignent plutôt le monde de l’entreprise et associatif, ou s’éloignent définitivement de la vie active après une carrière éprouvante. Le Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) souligne en 2023 que seuls 3 % des officiers généraux partant en deuxième section poursuivent un engagement public, la majorité dans des structures privées ou associatives (19).

Or, l’implication accrue d’anciens militaires en politique et dans la haute fonction publique contribuerait à éclairer le débat public et la décision politique. En premier lieu, cela aiderait à combler le fossé croissant entre élites administratives et enjeux stratégiques. Le haut fonctionnaire Pierre-Henri d’Argençon, dans son ouvrage Réformer l’ENA (20), souligne que la technocratisation nuit à la qualité des arbitrages en matière de souveraineté et de gestion de crise. Pour y remédier, des efforts d’acculturation émergent mais peinent encore à diffuser une culture stratégique réellement structurante, dans une approche à ce stade trop échantillonaire chez des hauts fonctionnaires : modules « défense » à Sciences Po, tronc commun à l’Institut national du service public (INSP, ex-ENA), sessions de l’IHEDN, toutes ces initiatives visant à reconnecter futurs et actuels hauts fonctionnaires aux enjeux militaires ne touchent en effet qu’une portion réduite des responsables ayant fait la démarche de s’y confronter.

En complément de cette seule acculturation des hauts fonctionnaires, intégrer ces profils dans les chaînes de décision renforcerait également la capacité des administrations à anticiper, piloter et ajuster l’action publique face à des menaces complexes. Les grands choix économiques, industriels, sociaux ou territoriaux ont en effet souvent une incidence sur les capacités stratégiques du pays. L’exemple de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée en 2007 illustre les conséquences d’une réforme budgétaire menée sans réelle prise en compte des contraintes opérationnelles des armées, comme le soulignent plusieurs rapports parlementaires et de la Cour des comptes (21), malgré les alertes lancées en audition par les généraux Cuche et Irastorza, alors chefs d’état-major de l’armée de Terre. La présence d’anciens militaires dans les ministères, les cabinets ou les services centraux pourrait permettre une analyse plus fine des effets de second ordre, et un débat plus éclairé lors des grandes décisions de politique publique.

La présence d’anciens militaires au cœur du Parlement, en particulier dans les commissions de la défense de l’Assemblée nationale et du Sénat, contribue également à introduire une culture de responsabilité dans le débat budgétaire et leurs effets sur les moyens humains, matériels et opérationnels des forces armées. Le général Bigeard, qui décrit son engagement politique dans les années 1970-1980 comme le passage de la « brousse à la jungle » (22), s’est distingué par son style direct et son engagement à défendre vigoureusement les moyens de la défense nationale. Son action illustre la capacité d’anciens militaires à rendre visibles les conséquences concrètes des choix politiques sur les capacités opérationnelles. Lors d’une intervention à l’Assemblée nationale le 9 novembre 1984, il alertait, par exemple, sur les effets tangibles des restrictions budgétaires : « Les militaires me disent : “On n’ose même plus se chauffer”. Ils ont froid car ils n’osent pas allumer le chauffage. (23) »

Plus récemment, le député Jean-Michel Jacques, ancien commando devenu président de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, a joué un rôle central dans l’élaboration et la défense de la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. Sa connaissance des réalités opérationnelles a permis d’orienter les débats parlementaires vers des considérations concrètes, notamment sur la soutenabilité des engagements, les conditions des personnels ou les priorités capacitaires, portant ainsi une approche réaliste des enjeux opérationnels dans une perspective de cohérence stratégique.

Conjoncturellement, la profusion médiatique des sujets de défense et de sécurité nationales peut donner le sentiment d’une omniprésence des anciens militaires dans le débat public. Cependant, les réserves sur les conséquences de leur implication accrue dans la vie publique se fondent moins sur des réalités juridiques ou institutionnelles que sur une peur diffuse et datée, souvent alimentée par une méconnaissance des évolutions récentes. Le débat sur la diversification des profils dans la haute fonction publique et en politique pourrait intégrer la dimension de compétence issue des parcours militaires : comme le suggère le politiste Jean-Vincent Holeindre (24), l’expérience opérationnelle, la gestion de crise et le sens de l’intérêt général constituent des atouts qu’il serait dommage d’exclure par principe. Le véritable enjeu n’est donc pas tant celui d’une surreprésentation quantitative que celui d’une juste intégration qualitative, garante d’un dialogue plus fécond des sphères de décision administrative et politique avec les réalités de terrain.

Un déficit d’expertise face aux hauts-fonctionnaires ou un manque de valorisation des compétences spécifiques des anciens militaires ?

Cette intégration qualitative est néanmoins elle aussi contestée sur le fond. Malgré la liste de nombreux militaires, anciens ou actuels, ayant assumé avec succès des fonctions politiques, leur capacité à « continuer la politique par d’autres moyens » pour reprendre la formule clausewitzienne, continue en effet d’être critiquée. Amalgamant ancien militaire et militaire d’hier et d’aujourd’hui, la bascule des responsabilités politiques aux militaires lors de la Première Guerre mondiale est encore prise en exemple dans l’enseignement des hauts fonctionnaires selon la célèbre formule de Clemenceau : « La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier aux militaires ! » À cela s’ajoute l’épisode du maréchal Pétain en 1940, dont le retour aux affaires, loin de redonner espoir à la population, s’est soldé par la signature de l’armistice du 22 juin 1940 avec l’Allemagne nazie, une décision perçue par beaucoup comme une abdication politique et morale. Cette capitulation nourrit une désillusion durable sur la capacité de certains militaires à porter une vision d’intérêt national en période de crise majeure.

Il leur est également régulièrement reproché un supposé manque de compétences techniques face aux hauts fonctionnaires issus de formations comme l’ENA (devenue l’INSP) ou Sciences Po. Cette inquiétude rejoint le débat plus large sur la spécialisation des fonctions publiques et la technocratisation croissante du pouvoir décisionnel (25). Les politiques publiques exigent une fine maîtrise à la fois des sujets complexes mais aussi des logiques d’arbitrage entre acteurs, domaine où les parcours militaires semblent parfois éloignés de la culture délibérative civile.

Cette critique généralise pourtant à tort. De nombreux officiers issus des états-majors, de la Direction générale de l’armement (DGA), de la Direction du renseignement militaire (DRM) ou du SGDSN manient quotidiennement stratégie, coordination interministérielle et gestion de crise. Beaucoup ont occupé des postes civils à l’étranger, prouvant leur adaptabilité. Comme le souligne Jean-Marie Guéhenno (26), l’expérience de commandement militaire est pleinement transposable à l’administration civile. L’intégration d’anciens militaires dans les cercles décisionnels enrichirait ainsi l’action publique par des compétences rares : gestion de crise, planification stratégique, coordination interservices et leadership en environnement complexe. Un rapport du HCECM souligne en 2023 que ces qualités, forgées dans l’adversité, sont précieuses pour l’État, notamment dans les fonctions de direction, la gestion de projets interministériels ou les réponses aux urgences nationales. Par ailleurs, la haute fonction publique accueille régulièrement des profils divers issus de la société civile comme des économistes, magistrats ou universitaires. Les réformes récentes dont celles issues du rapport Thiriez de 2020 (27) encouragent une ouverture similaire sur le monde militaire avec des formations accompagnant la reconversion des officiers.

Voyons maintenant comment y parvenir concrètement par des mesures ciblées, certaines déjà totalement ou partiellement mises en œuvre et d’autres qui pourraient être poursuivies.

Quelles pistes poursuivre pour rendre cet engagement plus performant ?

De manière générale, tous les dispositifs permettant de rapprocher l’État de ses missions régaliennes fondamentales en redonnant place à une logique d’engagement, de responsabilité et de service doivent être promus. Le modèle anglo-saxon montre la faisabilité d’une implication forte d’anciens militaires dans les affaires publiques, mais son importation directe en France est illusoire sans une nette adaptation aux institutions républicaines, à l’organisation de la haute fonction publique, ainsi qu’à la culture politique nationale. Cette dernière reste en effet marquée par une frontière plus nette entre le monde militaire et les sphères de pouvoir civil, limitant encore le plein bénéfice de ces passerelles, malgré une évolution perceptible depuis les années 2010.

Néanmoins, partant du constat sur les bénéfices d’un engagement plus fort des anciens militaires, une mise en œuvre pragmatique et acceptable des solutions doit intervenir, en évitant absolument de raisonner par rapport à des difficultés de mise en œuvre mais plutôt du point de vue de l’intérêt suprême de la Nation. À cet égard, le rapport du HCECM de 2023 sur les officiers est éclairant. La même année, il a d’ailleurs été partiellement repris par une lettre du président de la République, Emmanuel Macron, adressée à la Première ministre Élisabeth Borne, et demandant « d’étudier les modalités d’une plus grande accessibilité aux emplois de la haute fonction publique pour les officiers » :

 

Extrait de la lettre du président de la République à la Première ministre (2023)

« Il recommande, en particulier, que la haute fonction publique (Institut national du service public, Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État…) s’ouvre plus aux militaires, dont les compétences sont désormais trop largement méconnues. Il fait à cet égard un lien entre la raréfaction des emplois de direction de la haute fonction publique, accentuée par leur ouverture aux contractuels, et une possible réticence à intégrer les officiers dans le vivier des cadres dirigeants, tout en constatant que différentes situations de crise récentes ont conduit l’État à appeler des officiers dans les ministères civils pour faire face aux enjeux.

Je souscris à ces constats, et vous demande d’étudier les modalités d’une plus grande accessibilité aux emplois de la haute fonction publique pour les officiers, que j’estime bénéfique pour la République. À cet effet, je vous demande d’intégrer un officier supérieur au sein de la Diese pour en faciliter les travaux, et de me proposer dans les prochains mois des emplois de cadres dirigeants de l’État qui pourraient être confiés à des militaires. »

Pour répondre à la demande présidentielle, la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese), sous l’autorité du Premier ministre, a structuré trois axes d’effort : développer des parcours intégrant des mobilités extérieures pour les officiers ; ouvrir les postes de direction hors ministère des Armées (préfectures, ARS, ambassades) aux officiers généraux ; et renforcer le programme de mobilité extérieure (Mobex) pour acquérir des compétences primordiales. Pourtant, comme le souligne le Premier ministre, « cette dynamique est marquée par un paradoxe », avec de fortes attentes mais des contraintes de gestion qui appellent un volontarisme politique pour changer d’échelle.

Contraintes de la gestion RH des militaires au moment de leur reconversion : l’exemple des officiers généraux

L’un des leviers les plus immédiats pour favoriser une implication croissante des anciens militaires dans la haute sphère publique réside en effet dans une meilleure gestion des ressources humaines, actuellement sous contrainte. Afin d’illustrer cet enjeu partagé par plusieurs typologies d’anciens militaires, nous focaliserons ici notre analyse sur le parcours des officiers généraux (OGX) en deuxième section ou en retraite, population la plus à même de prétendre aux plus hautes responsabilités dans l’administration civile. Bien que disposant de compétences stratégiques rares, ils restent sous-exploités hors du ministère. Leur gestion actuelle, contrainte par quotas et limites d’âge, vise en effet avant tout à alimenter un vivier pour les besoins internes des armées. Néanmoins, une logique de gestion de flux visant à éviter l’engorgement des postes terminaux tout en renouvelant le vivier de direction freine leur reconversion vers des postes civils de haut niveau.

En outre, dans sa structuration actuelle, le parcours de compétence amenant au commandement des Armées, directions et services du ministère des Armées (ADS) requiert une ascension longue et rigoureuse des différents échelons hiérarchiques, sans tremplin ou passerelle. Il repose sur une sélection et une formation méticuleuses et progressives de ses élites, qui constitue un investissement inégalé dans le reste de l’État. Mais si le principe de « rentrer à la base de la pyramide pour en atteindre éventuellement le sommet » dote les officiers de qualités reconnues et d’un solide bagage généraliste, y compris au niveau stratégique de l’État, il complexifie fortement le rajeunissement pourtant affiché comme priorité par le ministre des Armées. En effet, avec un contingentement du nombre de postes, nommer un général trop jeune reviendrait mécaniquement à bloquer l’accès d’autres profils plus anciens et expérimentés. Ainsi, sauf exception, les officiers accèdent au généralat au mieux autour de 50 ans, soit près de dix ans plus tard que leurs homologues civils, ce qui limite mécaniquement leur accès aux postes de direction dans les autres ministères.

Ainsi, leur reconversion reste aujourd’hui plus le produit d’une conjonction d’opportunités que d’une planification anticipée répondant à la fois aux aspirations de l’officier, au besoin spécifique de « rayonnement » des armées, mais aussi à l’objectif plus global d’alimenter le vivier des cadres de l’État.

Perspectives à l’étude ou expérimentées

En complément, plusieurs autres pistes concrètes ont déjà été expérimentées en France ces dernières années, avec un certain succès. Elles permettent de tester l’implication directe d’anciens militaires dans des missions de haute responsabilité à l’intersection du civil et du régalien.

Plusieurs missions complexes ont ainsi récemment été confiées à d’anciens militaires de haut niveau : la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, pilotée par le général (2S) Georgelin (décédé en 2023), et la mission de reconstruction de Mayotte à la suite du cycline Chido confiée au général (2S) Facon, illustrent leur capacité à conduire des projets interministériels complexes, dans le cadre d’un mandat limité, qui permet de démontrer leur légitimité sans impact structurel sur la haute administration. Leur succès s’appuie toutefois sur des régimes juridiques dérogatoires leur offrant une large autonomie d’action.

Comme le note le rapport du HCECM de 2023 sur les officiers, les perspectives d’engagement dans le service public restent, à ce stade, limitées par l’étroitesse des débouchés et le manque de passerelles formalisées avec la haute fonction publique. Ces freins nuisent encore à la valorisation de profils dont l’État pourrait pourtant tirer un bénéfice important.

L’idée est donc de passer d’un système dans lequel le potentiel de réemploi utile pour l’État repose sur des opportunités mal maîtrisées, vers une pyramide RH optimisant la ressource d’un vivier employable, comme l’illustre le schéma ci-dessous :

Pour éviter une « fin de carrière par l’impasse », quatre axes déjà explorés doivent être renforcés :

– développer les missions interministérielles confiées à des officiers généraux ;

– élargir modérément les effectifs d’OGX pour répondre aux besoins civils ;

– rajeunir une partie du vivier dès la sortie de l’École de Guerre, en favorisant les mobilités externes ;

– le suivi des actions liées à ces recommandations et celui des anciens militaires permettant d’ajuster et piloter les actions.

Le parcours du général de gendarmerie Xavier Ducept illustre cette porosité réussie entre sphère militaire et haute administration : né en 1967, il a été directeur de cabinet d’Annick Girardin successivement ministre des Outre-mer (2019-2020) puis ministre de la Mer (2020-2021). Il est ensuite revenu commander la région de Gendarmerie d’Île-de-France, avant d’être nommé conseiller du gouvernement en décembre 2024 puis secrétaire général de la mer le 16 avril 2025, succédant au préfet Didier Lallement.

De nouvelles pistes à explorer

Ces parcours, trop rares, démontrent qu’il est possible de répondre pleinement aux objectifs d’efficacité, de diversité des parcours et de valorisation des compétences des anciens militaires. Pour ce faire, plusieurs nouvelles propositions peuvent être formulées pour compléter la dynamique en cours et structurer durablement leur place dans les sphères dirigeantes de l’État.

Une première piste consisterait à formaliser une stratégie dédiée au sein de l’État-major des armées, s’inscrivant dans une dynamique globale de modernisation de la GRH militaire. Portée par l’Officier stratégie des ressources humaines (OGSRH) en coordination avec les directeurs des ressources humaines (DRH) des ADS. Elle viserait à mieux articuler besoins opérationnels et opportunités de reconversion vers la haute fonction publique. Cela passerait par une planification précoce des fins de carrière, en s’appuyant sur des dispositifs existants comme la Mirvog.

Au-delà de la fin de carrière, il serait utile de créer un parcours différencié pour les officiers appelés à exercer des responsabilités stratégiques dans la haute administration. Ce parcours intégrerait des mobilités ciblées, des immersions en cabinets ministériels et des formations interministérielles. L’élargissement du programme de mobilité extérieure (Mobex), déjà efficace à la DGA et à la gendarmerie, renforcerait leur acculturation au fonctionnement de l’État civil.

Des postes identifiés de la haute administration publique pourraient également faire l’objet d’une proposition systématique d’un ancien militaire sur une logique de compétence, comme ceux de Haut fonctionnaire de défense et sécurité (HFDS) des différents ministères.

Pour pallier les difficultés de gestion du flux des officiers au nombre contingenté, la généralisation des contrats à durée fonctionnelle, inspirée du mécanisme de la « promotion fonctionnelle » des officiers généraux – anciennement appelée « conditionnalat » – et réintroduite par la LPM 2014-2019, permettrait de maîtriser le départ des officiers de l’institution en fonction de ses besoins propres. Cette mesure permettrait également de fixer une perspective temporelle claire de reconversion, permettant de préparer cette échéance en fonction de la stratégie RH des armées, des postes offerts, mais aussi des aptitudes et aspirations des individus. Concrètement, cela reviendrait à fixer à chaque général une clause de revoyure avant la limite d’âge statutaire, en fonction de son parcours et de son potentiel, en l’associant à un dialogue RH étroit et constant, permettant d’éviter tout déterminisme. Une telle mesure permettrait par ailleurs de sécuriser et des engagements ponctuels sur des missions d’intérêt public, dans ou hors de l’administration centrale.

De manière complémentaire, il serait pertinent de renforcer les dispositifs de formation croisée, comme le Cycle des hautes études du service public (CHESP) ou le cycle international long de l’INSP, auquel participent à ce stade deux officiers de l’armée de Terre et quatre de la Gendarmerie.

Enfin, s’inspirant du modèle anglo-saxon, il conviendrait d’explorer la piste des hauts fonctionnaires engagés comme réservistes opérationnels dans les armées. Ce schéma « inversé » permettrait non seulement de diffuser une culture de défense dans les cercles civils de l’État, mais aussi de créer des synergies plus organiques entre commandement militaire et stratégie publique. Cette approche compléterait la dynamique de double carrière et renforcerait l’intégration fonctionnelle entre les deux mondes.

Conclusion

L’implication accrue des anciens militaires dans la haute fonction publique et en politique ne peut plus être pensée comme une hypothèse marginale ou comme un risque d’altération de l’équilibre républicain. L’étude du modèle français révèle une situation paradoxale : d’un côté, un vivier de compétences hautement qualifiées, sélectionnées, entraînées, prêtes à servir dans des environnements complexes et crédibilisées par de nombreux exemples d’engagement réussis ; de l’autre, un système RH qui limite la porosité entre armées et haute fonction publique et la politique, y compris pour les profils les plus prometteurs. Au-delà d’être source de gaspillage de talents, cette étanchéité limite par ailleurs la richesse du débat public sur les questions de défense et de sécurité, avec des impacts potentiels graves. Il s’agit là de rééquilibrer le mécanisme décisionnel afin d’éviter d’engranger cycliquement les dividendes des paix futures et d’affaiblir la défense de la nation face aux crises à venir.

Paradoxalement, la structure de l’État français sous la Ve République aurait dû contribuer à éviter des choix successifs « délétères » en matière de défense et de sécurité nationale, par la cohabitation institutionnelle d’un président de la République chef des armées et d’un appareil militaire relativement présent dans les choix de l’exécutif, ne serait-ce que par le mécanisme décisionnel lié à la dissuasion nucléaire. Toutefois, le modèle romantique français construit sur une révolution du peuple, le martèlement des écueils historiques des administrations militaires lors des guerres mondiales et l’instrumentalisation régulière de peurs grégaires putschistes – constituant souvent une partie de la matrice intellectuelle construite par le parcours des hauts fonctionnaires – nuit à une approche plus pragmatique de la gestion des priorités. Celle-ci repose sur l’analyse des menaces qui pèsent sur ce modèle, de l’effritement de la cohésion nationale à l’accumulation des crises de toutes natures. Elle requiert planification et constance dans l’effort, qualités que l’opinion publique reconnait à l’institution militaire, comme l’indiquent les sondages annuels réalisés par l’institut Odoxa.

Cela suppose une vision d’ensemble, portée au plus haut niveau de l’exécutif, et traduite par une politique publique claire. La lettre du président de la République adressée à la Première ministre en 2023, et les travaux lancés par la Diese, représentent un premier jalon visant à bâtir un cadre lisible, planifié, équitable, qui permette aux officiers à haut potentiel de se projeter vers des fonctions civiles dès le milieu de leur carrière, sans fragiliser la structure de commandement des armées, mais en enrichissant les élites de l’État. Cette approche structurelle « par le haut » ciblant les postes de dirigeants doit être consolidée, amplifiée et complétée par toutes les autres mesures « par le bas » jalonnant leur parcours et déjà mises en œuvre par les ministères recruteurs, les écoles de service public, et les parlementaires, sans oublier celles renforçant le lien armées nation, comme le Service national universel (SNU). L’enjeu dépasse la simple reconversion : il s’agit de reconstruire un espace commun de pensée et d’action publique, où civils et militaires, forts de leurs différences, participent ensemble à la continuité stratégique de l’État.

Cette action dans le débat public est nécessaire afin d’éviter que la population n’oublie plus de souscrire à son assurance-vie que constituent ses armées, sans oublier tous les autres pans de la résilience nationale. Celle-ci passe également par un rééquilibrage des politiques publiques, à commencer par ses acteurs internes (décideurs politiques, responsables des administrations) sur la base d’une meilleure synergie entre elles fondée sur une diffusion profonde de l’esprit de défense. Il s’agit là, non d’une militarisation de l’État, mais d’une République mieux armée pour affronter ses défis. ♦


(1) Lecornu Sébastien, Inauguration du Paris Defence and Strategy Forum (discours), École militaire, 11 mars 2025 (https://www.youtube.com/live/JaWYJbJ_RVU).
(2) Daoud Kamel « Gilets jaunes : le fantasme putschiste », Le Point, 6 décembre 2018.
(3) On pense notamment au célèbre texte sur la mission éducative de l’officier suite à l’instauration du service obligatoire pour les jeunes français du maréchal Lyautey Hubert, « Du rôle social de l’officier dans le service universel », Revue des Deux Mondes, 1891.
(4) Cet essai s’intéresse tout particulièrement aux anciens militaires de carrière et sous-contrat contemporains ayant eu une carrière suffisamment longue dans l’institution militaire, sans totalement exclure les parcours plus brefs, mais en évitant la seule expérience de la conscription, qui a pourtant marqué de nombreux acteurs publics. S’intéressant plus particulièrement aux postes à responsabilité, la catégorie des anciens officiers, incluant les officiers généraux en 2e section, est particulièrement étudiée.
(5) Pour les militaires d’active, les mandats électifs et participation au gouvernement sont cadrés par l’article L.3138-8 et L.3138-34 du Code de la défense. Les droits civils et politiques du militaire font l’objet des articles L.4121-1 à L.4121-8.
(6) Une question prioritaire de constitutionnalité posée par le capitaine de vaisseau de Lorgeril en 2014 permettra notamment l’élection des militaires d’active aux conseils municipaux des communes de moins de 9 000 habitants. Conseil constitutionnel, Décision n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014 (www.conseil-constitutionnel.fr/).
(7) Forcade Olivier, Duhamel Éric et Vial Philippe, Militaires en République, 1870-1962, Éditions de la Sorbonne, 1999, 734 pages.
(8) En 1943, l’amiral Philippe Auboyneau est commissaire à la Marine et à la marine marchande du comité national français, tandis que l’amiral Henri Bléhaut est nommé ministre de la Marine du gouvernement Laval en 1944.
(9) Prost Antoine, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, Presses de Sciences Po, 1977, 261 pages.
(10) L’Interallié a été créé en 1917 pour être un lieu d’accueil et d’échanges entre les officiers et les responsables politiques des puissances de l’Entente. Impressionnés par son efficacité, ses fondateurs se sont réunis à nouveau après l’armistice de 1918 pour pérenniser l’institution et en faire un Cercle qui permettrait aux élites françaises et des nations amies de mieux se connaître et échanger entre elles.
(11) Notamment sur Theatrum Belli, Opex 360, le site de la RDN ou encore la page LinkedIn du général (2S) Bruno Clermont.
(12) « Signez la nouvelle tribune des militaires » (pétition), Valeurs actuelles, 11 mai 2021 (www.valeursactuelles.com/).
(13) Vincent Élise, Laurent Samuel, « Tribune des militaires : un processus disciplinaire long qui risque de durer jusqu’à la campagne présidentielle », Le Monde, 30 avril 2021.
(14) Agence France Presse (AFP), « Florence Parly dénonce une politisation « irresponsable » des armées après la publication d’une tribune de militaires dans Valeurs actuelles », Le Monde, 25 avril 2021 (www.lemonde.fr/). Voir également Vernet Henri, « Tribune de militaires : « Je souhaite la mise à la retraite des officiers signataires », annonce le général Lecointre », Le Monde, 28 avril 2021.
(15) Chauvancy François, « Les militaires et l’engagement politique », Theatrum Belli, 9 mars 2014 (https://theatrum-belli.com/les-militaires-et-lengagement-politique/).
(16) Rosanvallon Pierre, La Contre-Démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Seuil, 2006, 352 pages.
(17) Peurcelle Marie, « Militaires et mandats électifs », Mémoire de l’École de guerre, 2019, p. 26-27.
(18) Commission de la défense et des forces armées, Rapport de la mission d’information sur la place de l’armée dans la société, Assemblée nationale, 2013 (https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1353.asp).
(19) Haut comité d’évaluation de la condition militaire, Les officiers, 17e rapport thématique, juillet 2023 (www.defense.gouv.fr/).
(20) Argençon (d’) Pierre-Henri, Réformer l’ENA, réformer l’élite, L’Harmattan, 2008, 172 pages.
(21) Le rapport n° 680 du Sénat sur la Révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2012 affirme que la réforme a été mise en œuvre avec un pilotage trop vertical, en ignorant les retours opérationnels du terrain. Il indique que « les restructurations ont souvent été décidées avant que les études d’impact n’aient été menées à leur terme » et que « les objectifs de rationalisation l’ont emporté sur l’analyse stratégique des besoins des armées ». La Cour des comptes, dans son rapport de 2012, évoque une « absence de débat stratégique approfondi », notamment sur les effets secondaires de la mutualisation et sur la soutenabilité à long terme des réductions de personnels civils et militaires. Elle souligne le « manque d’articulation entre réforme budgétaire et besoins opérationnels ».
(22) Bigeard Marcel, De la brousse à la jungle, Hachette, 1994.
(23) Assemblée nationale, Compte rendu de la discussion du projet de loi de finances de 1985, 3e séance, 9 novembre 1984 (https://archives.assemblee-nationale.fr/7/cri/1984-1985-ordinaire1/062.pdf).
(24) Holeindre Jean-Vincent, La République des armes, 2017.
(25) Rouban Luc, La démocratie représentative est-elle en crise ?, La documentation française, 2018.
(26) Guéhenno Jean-Marie, L’Art de la guerre au XXIe siècle, 2021.
(27) Thiriez Frédéric, Mission Haute Fonction Publique (rapport), 30 janvier 2020 (www.info.gouv.fr/).

Partagez...

  • Accéder au sommaire du cahier

Décembre 2025
n° 885

Les Accords de Dayton : de l’histoire à l’actualité

Je participe au débat stratégique


À vos claviers,
réagissez au dossier du mois

 

Actualités

17-12-2025

Toutatis, une démonstration fédératrice au service de l’innovation spatiale française

12-12-2025

Démarrage de la chaufferie nucléaire du SNA De Grasse

09-12-2025

La Croatie commande 18 Caesar 6x6 MkII et 15 véhicules blindés Serval

03-12-2025

Le GAA (2S) Luc de Rancourt élu président du CEDN – Directeur de la publication de la RDN

Adhérez au CEDN

et bénéficiez d'un statut privilégié et d'avantages exclusifs (invitations...)

Anciens numéros

Accéder aux sommaires des revues de 1939 à aujourd’hui

Agenda

Colloques, manifestations, expositions...

Liens utiles

Institutions, ministères, médias...

Lettre d'infos

Boutique

  • Abonnements
  • Crédits articles
  • Points de vente
  • CGV
  • Politique de confidentialité / Mentions légales

e-RDN

  • Tribune
  • e-Recensions
  • Cahiers de la RDN
  • Florilège historique
  • Repères

Informations

La Revue Défense Nationale est éditée par le Comité d’études de défense nationale (association loi de 1901)

Directeur de la publication : Thierry CASPAR-FILLE-LAMBIE

Adresse géographique : École militaire,
1 place Joffre, Paris VII

Nous contacter

Tél. : 01 44 42 31 90

Email : contact@defnat.com

Adresse : BP 8607, 75325 Paris cedex 07

Publicité : 01 44 42 31 91

Copyright © Bialec Tous droits réservés.