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  • Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session
  • Le Plan Mattei ou la stratégie de l’Italie dans la Méditerranée élargie, en Afrique en particulier

Le Plan Mattei ou la stratégie de l’Italie dans la Méditerranée élargie, en Afrique en particulier

Matteo Epifani, "Le Plan Mattei ou la stratégie de l’Italie dans la Méditerranée élargie, en Afrique en particulier " Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session

Le Plan Mattei représente la stratégie de l’Italie pour redéfinir sa présence en Méditerranée élargie et en Afrique, en promouvant une coopération basée sur des partenariats équitables et durables, sans lien avec les logiques néocoloniales. Inspirée par Enrico Mattei, industriel et homme politique italien, cette initiative se concentre sur six secteurs prioritaires : énergie, agriculture, eau, santé, éducation et infrastructures, afin de répondre aux enjeux du développement économique, de la sécurité énergétique et des dynamiques migratoires. Cependant, malgré des objectifs clairs et des premiers résultats tangibles, des questions persistent concernant la gouvernance, le financement et la capacité du plan à rivaliser avec d’autres grandes stratégies internationales en Afrique.

Dans le contexte géopolitique actuel, caractérisé par une instabilité croissante et la redéfinition de l’équilibre mondial des pouvoirs, l’Italie a entamé un processus de projection stratégique renouvelée en Méditerranée et en Afrique. Le Plan Mattei, annoncé par le gouvernement italien, représente l’une des initiatives de politique étrangère les plus ambitieuses de ces dernières décennies dont le but est de consolider une coopération de long terme et équilibrée avec les pays africains. Cette stratégie s’inscrit dans une vision géopolitique plus large qui reconnaît l’importance croissante de la Méditerranée élargie en tant qu’espace d’interaction entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.

L’initiative tire son nom d’Enrico Mattei (1906-1962), une figure historique qui a révolutionné le secteur énergétique italien en se distinguant par une approche novatrice de l’établissement de relations économiques avec les pays producteurs de pétrole. La décision de donner son nom au plan n’est pas fortuite, elle rappelle sa vision non prédatrice de la coopération internationale et du développement partagé, grâce à laquelle Mattei a cherché à contrer le monopole des grandes compagnies pétrolières occidentales, tout en promouvant une politique étrangère fondée sur des accords mutuellement bénéfiques. Aujourd’hui encore, son héritage continue d’exercer une influence significative sur les stratégies italiennes dans le secteur de l’énergie et sur la diplomatie économique.

Cet article analyse en profondeur le Plan Mattei, en examinant ses fondements théoriques, ses implications stratégiques et ses perspectives de développement, afin de fournir une clé analytique et critique permettant d’évaluer s’il peut réellement représenter un tournant pour la politique étrangère italienne et pour le rôle du pays sur l’échiquier international. La question centrale qui guidera cette analyse est de déterminer si le plan propose à nouveau une empreinte néocoloniale déguisée en intentions de développement, déjà observée dans le passé et inefficace dans le scénario actuel de concurrence internationale accrue, ou si, au contraire, il constitue un véritable instrument de coopération égalitaire qui permet de créer une forme de partenariat entre l’Italie et l’Afrique.

La Méditerranée élargie : une nouvelle doctrine géopolitique pour l’Italie

Origine et développement du concept de la Méditerranée élargie

Le concept de la Méditerranée élargie est profondément ancré dans l’histoire géopolitique de l’Italie et s’est consolidé au fil du temps comme un élément clé de la politique étrangère nationale. L’Italie a toujours perçu la Méditerranée non seulement comme un bassin maritime, mais aussi comme un carrefour d’intérêts stratégiques, économiques et culturels, étendant son influence bien au-delà de ses frontières géographiques traditionnelles. Cette conception s’est progressivement développée au fil du temps et a été pleinement reconnue dans les années 1990 et 2000, lorsque la dynamique mondiale a mis en évidence l’interconnexion croissante entre les régions de la Méditerranée, de l’Afrique et du Moyen-Orient (1).

La vision de la Méditerranée élargie repose sur l’hypothèse que les défis et les opportunités de la région ne peuvent être abordés dans une perspective limitée aux côtes méditerranéennes européennes, mais doivent être élargis pour inclure l’Afrique du Nord, le Sahel, la Corne de l’Afrique, le Moyen-Orient et le golfe Persique, des quadrants géopolitiques fondamentaux pour garantir la stabilité et la sécurité de l’ensemble de la zone euro-méditerranéenne (2). L’Italie, grâce à sa position géographique et son histoire diplomatique, a développé un rôle central dans cette configuration, cherchant à se positionner en tant qu’acteur principal dans la dynamique de coopération et de sécurité. La Méditerranée élargie n’est donc pas seulement une construction théorique, mais un paradigme opérationnel qui a influencé la politique étrangère italienne et ses stratégies de sécurité, où une combinaison de facteurs tels que l’immigration, le terrorisme djihadiste transnational, l’instabilité politique et le changement climatique génère une instabilité permanente qui ne peut être combattue que par une approche globale.

Le concept de la Méditerranée élargie a été progressivement intégré dans les stratégies de politique étrangère de l’Italie. Dans ce contexte, la participation des forces armées italiennes aux missions internationales de sécurité, ainsi que les accords énergétiques et les plans de développement économique conclus avec les pays de la région sont justifiés non seulement par la proximité géographique de l’Italie, mais surtout par sa capacité politique avérée à servir d’intermédiaire entre les intérêts de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient (3). L’un des aspects clés de la stratégie de l’Italie dans la Méditerranée élargie est sa volonté d’assumer le rôle de plaque tournante régionale de l’énergie, dans le but de transformer le pays en un centre névralgique pour le transit du gaz naturel et d’autres sources d’énergie en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient. Dans ce contexte, après l’agression de l’Ukraine par la Russie, le renforcement des interconnexions avec l’Algérie, la Libye et l’Égypte était une priorité pour assurer un approvisionnement stable et diversifié qui réduise considérablement la dépendance à l’égard des approvisionnements russes et l’instabilité des marchés (4). Parallèlement, l’Italie a continué à renforcer sa présence militaire et diplomatique dans plusieurs pays de la région par le biais de missions internationales et d’accords bilatéraux. Des opérations telles que Eunavfor Med Sophia pour lutter contre le trafic d’êtres humains ou les missions bilatérales italiennes d’assistance et de soutien (MIASIT) en Libye, et de soutien (MISIN) au Niger, démontrent l’engagement croissant de l’Italie à maintenir la stabilité dans la région et son intention de s’affirmer en tant qu’acteur clé de la sécurité régionale (5). Un autre élément clé de la doctrine italienne sur la Méditerranée élargie est représenté par les initiatives de coopération économique et infrastructurelle qui ont conduit au développement de projets d’interconnexion commerciale et logistique avec les pays d’Afrique et du Moyen-Orient. L’approche de l’Italie à cet égard a stimulé les investissements dans l’agriculture, la fabrication et la technologie, créant des conditions favorables à la croissance économique dans les pays partenaires, dans le but de réduire les inégalités et de s’attaquer aux causes profondes de la migration (6).

Perspectives

Bien que le concept de la Méditerranée élargie ait fourni à l’Italie un cadre stratégique pour guider ses initiatives en matière de politique étrangère, les défis qui y sont liés restent particulièrement importants. En fait, le quadrant géographique susmentionné a continué de présenter de très grandes vulnérabilités, devenant de plus en plus un terrain de compétition entre les acteurs régionaux et extra-régionaux, avec des implications possibles pour l’Italie. Les crises actuelles, à commencer par celle libyenne désormais cristallisée, à laquelle se sont ajoutés les conflits au Moyen-Orient, les tensions en mer Rouge et, en décembre 2024, la chute du régime syrien, ont exacerbé l’incertitude, en polarisant davantage la division entre les réalités pro-occidentales et d’autres plus sensibles à l’influence sino-russe, et en déterminant une situation d’incertitude sans précédent, encore amplifiée par la poursuite du conflit en Ukraine (7).

Dans ce contexte, l’Italie a cherché à renforcer sa présence économique et diplomatique, en construisant des alliances solides avec les pays d’Afrique et du Moyen-Orient, et en promouvant une coopération équilibrée visant à éviter les dynamiques néocoloniales et à promouvoir un modèle de développement partagé, basé sur des investissements et des projets ciblés qui garantissent des bénéfices mutuels (8). Pour poursuivre cette initiative, l’Italie entend adopter une approche qui s’inscrit dans une stratégie plus large de coopération régionale en étroite coordination avec l’Union européenne, afin d’attirer les investissements et les ressources et, a fortiori, de consolider son rôle de médiateur entre l’Europe et les pays de la rive sud de la Méditerranée (9). En conclusion, la Méditerranée élargie représente un pilier fondamental de la stratégie italienne pour le XXIe siècle et, dans ce périmètre stratégique, s’inscrit le Plan Mattei, qui représente l’effort de concrétisation de la vision italienne dans la région en termes de diplomatie, d’investissement économique et de sécurité régionale.

Enrico Mattei : l’héritage d’un visionnaire

De l’éducation à l’ascension politique et industrielle

Enrico Mattei est né en 1906 à Acqualagna, une petite ville de la région des Marches (Italie centrale, côté adriatique), dans une famille modeste. Dès son plus jeune âge, il fait preuve d’un fort esprit d’entreprise et crée sa propre société dans le secteur chimique à Milan, où il s’installe dans les années 1930. C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale que son profil commence à prendre une importance nationale lorsque Mattei entre dans la Résistance italienne, devenant l’un des dirigeants du parti démocrate-chrétien au sein du Comité de libération nationale et acquérant des contacts fondamentaux avec la future classe dirigeante du pays (10). Dans l’après-guerre, grâce à son engagement dans la lutte partisane et à ses relations avec les milieux politiques catholiques, il est chargé de mettre fin à l’Azienda Generale Italiana Petroli (AGIP), société d’État italienne fondée en 1926 pour gérer l’exploration, la production et la distribution de produits pétroliers, considérée comme obsolète et inefficace. Cependant, au lieu de la démanteler, Mattei comprend le potentiel stratégique de l’entreprise pour garantir l’indépendance énergétique de l’Italie et favorise sa relance en fondant, en 1953, l’Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) dont il devient le président (11).

Le défi des « sept sœurs » et de la « formule Mattei »

À la tête de l’ENI, Mattei a adopté une politique agressive et innovante pour contrer le monopole des grandes compagnies pétrolières internationales, qu’il a appelées les « sept sœurs » (12). Sa stratégie consistait à accorder à l’Italie un accès direct aux ressources énergétiques sans dépendre des conditions imposées par les multinationales anglo-américaines (13). Pour ce faire, il propose un nouveau type d’accord avec les pays producteurs de pétrole, connu sous le nom de « formule Mattei », qui leur garantit une part des bénéfices bien plus élevée que les contrats standards pratiqués par les compagnies occidentales. Alors que les grandes multinationales offraient aux pays producteurs 50 % des bénéfices, Mattei a porté ce pourcentage à 75 %, permettant ainsi aux nations partenaires de mieux contrôler leurs ressources et d’avoir un impact plus direct sur la croissance économique (14). Cette stratégie a fait de Mattei un interlocuteur privilégié pour de nombreux dirigeants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, dont le président égyptien Gamal Abdel Nasser, avec lequel il a conclu des accords énergétiques lucratifs. Dans le même temps, il suscite une forte hostilité de la part des gouvernements occidentaux et des multinationales, qui voient en lui un élément perturbateur de l’équilibre établi dans le secteur pétrolier.

Le 27 octobre 1962, Mattei perd la vie dans un accident d’avion près de Bascapè, en Lombardie. De forts soupçons de sabotage apparaissent immédiatement. Les enquêtes officielles de l’époque ont écarté la thèse de l’accident, mais les enquêtes ultérieures, notamment celle du magistrat Vincenzo Calia dans les années 1990, ont montré que l’avion avait été saboté à l’aide d’un engin explosif (15). La mort de Mattei a marqué un tournant dans la politique énergétique italienne car sans son leadership, l’ENI a progressivement perdu son esprit de défi face aux grandes multinationales et s’est progressivement intégrée dans un système économique plus conforme aux équilibres occidentaux. Cependant, son modèle de coopération avec les pays producteurs et son rôle dans la tentative de faire de l’Italie un acteur indépendant dans le secteur de l’énergie ont continué à influencer les stratégies économiques et diplomatiques italiennes jusqu’à aujourd’hui (16). Son approche de la coopération énergétique, basée sur des relations d’égal à égal avec les pays producteurs, est en fait le modèle de référence adopté par le gouvernement italien avec le Plan Mattei pour l’Afrique, dont le nom rappelle explicitement la vision du fondateur de l’ENI (17). L’idée de promouvoir une coopération non prédatrice avec les pays africains, en favorisant les investissements dans les infrastructures et les partenariats économiques, trouve une source d’inspiration importante dans les stratégies de Mattei (18).

Le Plan Mattei : analyse critique et prospective

Genèse d’un nouveau paradigme dans la politique africaine de l’Italie

L’évolution récente de la politique étrangère italienne à l’égard de l’Afrique a trouvé dans le Plan Mattei une tentative ambitieuse de redéfinition stratégique, marquant une rupture avec les initiatives de coopération précédentes. Ce projet est proposé comme un modèle innovant de partenariat avec les États africains, visant à combiner le développement économique, la sécurité énergétique et la gestion des flux migratoires. Cependant, sa mise en œuvre soulève de nombreuses questions en termes de faisabilité et d’efficacité à long terme, qui seront examinées en détail à travers une analyse critique de ses origines, de ses développements les plus récents et de ses perspectives.

L’Italie a traditionnellement entretenu une relation intermittente avec le continent africain, oscillant entre des périodes d’engagement actif et des phases de désintérêt stratégique. Ces dernières années, cependant, l’importance géopolitique croissante de l’Afrique, combinée à la nécessité de répondre aux défis énergétiques et migratoires, a incité le gouvernement italien à reconsidérer son approche du continent. C’est dans ce contexte que s’inscrit le Plan Mattei, annoncé pour la première fois en 2023 et lancé officiellement en janvier 2024 lors du Sommet Italie-Afrique, dans le but déclaré de promouvoir une coopération égale entre l’Italie et l’Afrique par le biais d’investissements stratégiques et d’infrastructures (19). Comme illustré précédemment, l’initiative tire son nom d’Enrico Mattei qui, au cours des années 1950 et 1960, a proposé une vision alternative aux politiques extractives des grandes puissances occidentales de l’époque, en promouvant des accords de partenariat plus équitables avec les pays producteurs de pétrole, visant à développer un modèle de coopération avec l’Afrique qui était loin des pratiques néocoloniales et de la logique purement welfariste du passé. Le Plan Mattei a donc vu naître une « politique étrangère de coopération pour le développement », une approche qui combine la diplomatie avec une stratégie plus structurée de croissance économique pour les pays africains, marquant le dépassement définitif de la vision traditionnelle de la coopération internationale comme simple instrument accessoire de la politique étrangère italienne, au profit d’un nouveau modèle doté d’une vision stratégique à long terme (20).

D’un point de vue réglementaire, le Plan Mattei a été institutionnalisé par le décret-loi n° 161 de 2023, transformé par la suite en loi n° 2 de 2024, qui décrit la gouvernance et les outils opérationnels de l’initiative. Le cadre réglementaire prévoyait la création d’une structure de mission au sein de la Primature (21), chargée de suivre la mise en œuvre du Plan, et d’un comité de pilotage, présidé par le Premier ministre et composé de représentants du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (MAECI), du ministère de l’Environnement et de la Sécurité énergétique (MASE), des entreprises publiques et privées impliquées, et d’experts du secteur (22). L’architecture du plan vise à intégrer la contribution des acteurs publics et privés dans un système de gouvernance flexible et adaptable aux besoins des partenaires africains, afin de garantir une mise en œuvre efficace des initiatives ainsi qu’une stratégie synergique et harmonieuse, en évitant la fragmentation des précédentes initiatives de coopération italienne en Afrique (23).

L’Italie s’est fixée pour objectif de devenir un acteur clé dans les relations euro-africaines, non seulement pour des raisons économiques, mais aussi pour renforcer sa position stratégique dans la Méditerranée élargie, comme cela a déjà été largement souligné dans la première partie de cet article. Le concept de « continent vertical » Europe-Afrique, évoqué par le président de la République Sergio Mattarella en 2021, reflète cette vision stratégique, dans laquelle l’Italie joue un rôle de charnière entre les deux continents (24). Toutefois, la concurrence croissante entre les acteurs mondiaux tels que la Chine, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne (UE) a fait du continent africain le théâtre d’influences géopolitiques conflictuelles, et c’est précisément sur cet échiquier que le Plan Mattei cherche à se positionner, en s’imposant comme une alternative aux modèles de développement promus par d’autres acteurs internationaux et en mettant l’accent sur la coopération mutuelle et le développement durable (25).

Structure et objectifs du Plan Mattei

Le Plan Mattei a été conçu comme un modèle de coopération à plusieurs niveaux, dans le but de renforcer le partenariat entre l’Italie et les pays africains grâce à une approche intégrée qui combine les investissements publics et privés, le développement des infrastructures et le transfert de compétences. Son approche stratégique repose sur six domaines d’intervention prioritaires : l’énergie, l’agriculture, l’eau, la santé, l’éducation et la formation, et les infrastructures (26). Ces domaines ont été identifiés sur la base d’une analyse des principaux besoins des pays africains et de la capacité de l’Italie à offrir un savoir-faire, des technologies et des financements ciblés. L’un des éléments distinctifs du Plan Mattei est l’adoption d’une approche pragmatique et progressive, basée sur des projets pilotes dans neuf pays africains sélectionnés dans la phase initiale : l’Algérie, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Kenya, le Mozambique et la République du Congo (27). L’objectif est de tester l’efficacité des initiatives avant une éventuelle extension du plan à d’autres pays africains.

Dans le secteur de l’énergie, le plan a mis l’accent sur la création de nouvelles infrastructures énergétiques afin de renforcer l’intégration entre l’Europe et l’Afrique. Un projet emblématique est le câble sous-marin Elmed, qui reliera l’Italie et la Tunisie pour le transport de l’électricité, avec un investissement total de 850 millions d’euros, dont 300 M seront financés par l’UE (28). Cette infrastructure représente une pièce maîtresse dans la stratégie de l’Italie visant à se transformer en un centre énergétique méditerranéen, en facilitant l’importation d’énergie renouvelable en provenance d’Afrique. Parallèlement, des projets de production de biocarburants ont été lancés au Kenya, dans le but de développer une chaîne d’approvisionnement agricole durable afin de réduire la dépendance à l’égard des combustibles fossiles (29).

Dans le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, le Plan Mattei a lancé des interventions visant à renforcer les chaînes agroalimentaires au Mozambique, dans le but d’améliorer la production agricole et d’assurer une plus grande stabilité économique aux communautés rurales (30). En Algérie, par ailleurs, un programme de reforestation et de récupération des terres semi-arides a été mis en œuvre afin de lutter contre la désertification et améliorer la gestion durable des ressources naturelles (31).

Dans le domaine de la santé, le plan prévoit la création de réseaux de télé-médecine et le renforcement des infrastructures sanitaires dans les pays concernés. En particulier, en Éthiopie et au Kenya, un programme de coopération a été lancé avec des hôpitaux italiens, visant à former le personnel médical local et à introduire des technologies de diagnostic avancées. Cette approche vise à améliorer l’accès aux services de santé de base et à renforcer la capacité opérationnelle des hôpitaux africains (32).

Un autre pilier du plan est l’éducation et la formation, considérées comme essentielles pour aider les jeunes Africains à entrer sur le marché du travail et promouvoir un développement économique durable. Au Maroc et en Égypte, par exemple, des centres de formation technique ont été créés dans les domaines de l’ingénierie et des énergies renouvelables, dans le but de former une main-d’œuvre qualifiée capable de soutenir la transition énergétique de la région.

L’initiative comprend également un chapitre consacré au développement des infrastructures numériques et physiques, considérées comme essentielles pour améliorer la connectivité et faciliter le commerce entre l’Afrique et l’Europe. Dans ce contexte, l’un des projets les plus importants est la construction du corridor de Lobito, une infrastructure ferroviaire qui reliera l’Angola, la République démocratique du Congo et la Zambie, dans le but de simplifier le transport des matières premières et des produits agricoles vers les ports d’Afrique de l’Ouest (33).

Un plan à consolider

Le Plan Mattei prévoit un budget initial de 5,5 milliards €, répartis entre le Fonds italien pour le climat (3 Mds €) et la Coopération au développement (2,5 Mds €) et se distingue par une approche qui vise à dépasser la logique traditionnelle de l’aide au développement, en favorisant un modèle de partenariat basé sur des bénéfices économiques et technologiques mutuels. Plus d’un an après sa formalisation, le Plan Mattei a commencé à se traduire en actions concrètes par une série de projets pilotes dans les neuf pays africains sélectionnés. Selon le Rapport au Sénat sur l’état de la mise en œuvre du Plan Mattei (octobre 2024) (34), 21 projets opérationnels ont été activés, répartis entre des interventions nationales et transnationales. Cependant, malgré les progrès réalisés relevés, le rapport a également mis en évidence certains problèmes critiques qui pourraient limiter son impact à long terme.

L’une des faiblesses les plus importantes est l’absence d’un cadre de référence stratégique clair et structuré. Bien que le Plan Mattei ait été présenté comme une initiative flexible pouvant être adaptée aux besoins de l’Afrique, son approche manque de critères bien définis pour la sélection des projets et des domaines d’intervention. La gouvernance même du plan semble fragmentée, avec un comité de pilotage qui joue un rôle de coordination mais ne semble pas en mesure de fournir une orientation stratégique efficace. Le risque de chevauchement avec d’autres initiatives italiennes et européennes est réel et pourrait nuire à la cohérence globale des interventions mises en œuvre. D’après le rapport présenté au Sénat, on constate des difficultés de communication entre les divers acteurs concernés, une gestion des ressources mal organisée et une planification qui s’effectue sans un mécanisme clair d’évaluation des impacts économiques et sociaux sur les pays bénéficiaires.

La soutenabilité financière du plan est une autre question cruciale. La dotation initiale de 5,5 Mds € est relativement limitée par rapport à l’ambition de l’initiative (35). En outre, ces ressources ne représentent pas de nouveaux investissements mais plutôt une réaffectation de fonds existants, ce qui rend difficile l’expansion du plan à l’échelle continentale (36). Comparé à des programmes internationaux tels que le Global Gateway de l’UE, qui prévoit des investissements de 150 Mds €, ou aux sommes considérables allouées par la Chine au développement des infrastructures africaines, le Plan Mattei semble financièrement sous-dimensionné (37) et, à cet égard, une plus importante implication du secteur privé via la création d’instruments financiers plus efficaces semble nécessaire, afin de garantir la réalisation de projets de plus grande envergure (38).

Un autre aspect problématique est le positionnement du Plan dans le cadre des stratégies de coopération euro-africaine. Des pays comme la France et l’Allemagne ont depuis longtemps lancé des politiques d’investissement structurées sur le continent, avec une présence consolidée d’institutions financières et d’entreprises. Si l’Italie ne parvient pas à intégrer le Plan Mattei dans ces stratégies multilatérales, elle risque d’être perçue comme un acteur marginal par rapport à des initiatives structurellement et financièrement plus solides (39). En outre, la concurrence entre les différents pays européens pour renforcer leur influence respective en Afrique pourrait réduire la marge d’action de l’Italie, entravant l’efficacité du Plan et limitant sa capacité à s’imposer comme un modèle de coopération original (40).

Perspectives finales

Pour garantir le succès de l’initiative à long terme, il semble donc nécessaire d’adopter une série de mesures correctives permettant de surmonter les faiblesses actuelles et de faire du Plan Mattei un pilier structuré de la politique étrangère italienne envers l’Afrique. Il est essentiel de définir un cadre stratégique plus précis, avec des objectifs mesurables et des indicateurs clairs d’impact socio-économique. En outre, il faudra rechercher une plus grande intégration avec les programmes multilatéraux européens et internationaux afin d’accroître de manière significative la capacité de l’Italie à attirer des ressources et à renforcer la coopération avec les institutions financières mondiales. Enfin, la participation directe des partenaires africains aux processus décisionnels du Plan devra être davantage prise en compte, afin de garantir sa durabilité et sa légitimité, en évitant qu’il ne soit perçu comme une initiative imposée de l’extérieur.

Si le Plan Mattei est correctement structuré et mis en œuvre dans une perspective à long terme, il a le potentiel de devenir une stratégie novatrice de coopération entre l’Italie et l’Afrique. Cette initiative pourrait non seulement favoriser le développement économique du continent africain, mais aussi renforcer le rôle de l’Italie en tant qu’acteur majeur dans la région méditerranéenne. Ce plan, en mettant en œuvre des actions spécifiques conformes aux principes qui le sous-tendent, pourrait constituer un modèle novateur de coopération internationale. Il démontrerait ainsi la détermination de l’Italie à retrouver sa place sur la scène mondiale. En l’absence de résultats tangibles, il contribuerait à renforcer l’image d’un pays en quête de stabilité pour élaborer des stratégies à long terme et exercer une influence significative dans les contextes internationaux complexes.

(1) Zampieri Francesco et Ghermandi Davide, « Ripensare il concetto italiano di “Mediterraneo Allargato” », Istituto per gli Studi di Politica Internazionale (ISPI), juin 2024 (https://www.ispionline.it/).

(2) Campelli Enrico et Gomel Giorgio, « Il Mediterraneo allargato: una regione in transizione: conflitti, sfide, prospettive », CeSPI.it, avril 2022 (https://www.cespi.it/).

(3) Vitale Marco, « Mediterraneo Allargato: dottrina e concetto strategico per l’Italia », IARI., 6 septembre 2024 (https://iari.site/2024/09/06/mediterraneo-allargato-dottrina-e-concetto-strategico-per-litalia/).

(4) « Chiari e scuri della cooperazione italiana 4. La cooperazione con l’Africa e il piano Mattei », Esercizio #70, Openpolis, 15 février 2024 (https://www.openpolis.it/esercizi/la-cooperazione-con-lafrica-e-il-piano-mattei/#toc).

(5) Carbone Giovanni et Ragazzi Lucia, « Dietro al Piano Mattei: ragioni dell’interesse italiano ed europeo in Africa », ISPI, 25 février 2025 (https://www.ispionline.it/).

(6) Palo (de) Francesco, « Piano Mattei e Global Gateway, cosi Italia e UE si espandono », Formiche, 26 mars 2025 (https://formiche.net/2025/03/piano-mattei-e-global-gateway-cosi-italia-e-ue-si-espandono/).

(7) Presidenza del Consiglio dei ministri, Relazione annuale 2025 sulla politica dell’informazione per la sicurezza, predisposta dal Sistema informativo per la sicurezza della Repubblica (https://www.sicurezzanazionale.gov.it/).

(8) « Luci e ombre del Piano Mattei spiegate in 12 punti », Vita, 14 mars 2025 (https://www.vita.it/).

(9) Ruggieri Dario, « Il Piano Mattei per l’Africa: avanguardia o neocolonialismo ? », Melting Pot Europa, 20 février 2024 (https://www.meltingpot.org/2024/02/piano-mattei-avanguardia-o-neocolonialismo/).

(10) Salvatore Maria Righi, « Enrico Mattei, l’uomo che osò sfidare le multinazionali del petrolio », L’Indipendente, 5 mars 2022 (https://www.lindipendente.online/).

(11) Triolo Matteo, « Enrico Mattei 1906-2006. A cento anni dalla nascita nuovi studi e interpretazioni », Clio, vol. 42, n° 4, 2006, p. 687-704.

(12) NDLR : l’Anglo-Iranian Oil Company (aujourd’hui BP), la Gulf Oil, Royal Dutch Shell, la Standard Oil Company of California (aujourd’hui Chevron), la Standard Oil Company of New Jersey (Esso, et depuis 1999 entité d’ExxonMobil), la Standard Oil Company of New York (Socony, plus tard Mobil et depuis 1999, fait également partie d’ExxonMobil), et Texaco (fusionné en 2001 avec Chevron).

(13) Artuso Filippo, Il petrolio dell’ENI: La politica di Enrico Mattei nello scenario mediorientale, Università Ca’ Foscari Venezia, 2015, 137 pages. (https://www.academia.edu/).

(14) Perrone Nico, « Enrico Mattei: Un delitto perfetto », L’Unità, 26 avril 2006, 6 pages (https://www.misteriditalia.it/).

(15) « Il caso Mattei, l’intervista a Vincenzo Calia: “Ecco come ho riaperto l’indagine. La bomba non è roba di mafia” », Atlantide, 26 octobre 2022 (https://www.la7.it/).

(16) Frajese Maria Paola, « Enrico Mattei, una lezione di energia ancora attuale. La presentazione di Formiche », Formiche, 21 novembre 2022 (https://formiche.net/2022/11/presentazione-rivista-mattei/#content).

(17) Carbone G. et Ragazzi L., op. cit.

(18) Stocchiero Andrea, « Riflessioni critiche sul Piano Mattei e il rischio di un approccio neocoloniale », CeSPI, septembre 2024 (https://www.cespi.it/).

(19) Presidenza del Consiglio dei Ministri, Vertice Italia-Africa - Documento di chiusura, 29 janvier 2024 (https://www.governo.it/it/articolo/vertice-italia-africa-lintervento-conclusivo-del-presidente-meloni/24865).

(20) Cadin Raffaele et Piergigli Valeria, « Mattei: il Piano che visse due volte », Federalismi, n° 29/2024, 4 décembre 2024, 10 pages (https://www.federalismi.it/).

(21) NDLR : Les services du Premier ministre.

(22) Loi n° 125/2014, art. 1, sur la coopération au développement en tant que partie intégrante de la politique étrangère italienne (https://www.rgs.mef.gov.it/). Décret-loi n° 161/2023 (https://def.finanze.it/), converti avec modifications en loi n° 2/2024.

(23) Cadin R. et Piergigli V., op. cit.

(24) Mattarella Sergio, « Intervento del Presidente della Repubblica alla Conferenza ministeriale “Incontri con l’Africa” », 8 octobre 2021 (https://www.quirinale.it/elementi/60146).

(25) Carbone Giovanni et Ragazzi Lucia, « Il Piano Mattei: verso nuove relazioni Italia-Africa? », Policy Brief, ISPI, 2024 (https://www.ispionline.it/).

(26) Presidenza del Consiglio dei Ministri, Piano Mattei per l›Africa: obiettivi e settori di intervento, février 2024 (https://www.governo.it/it/articolo/piano-mattei-lafrica-obiettivi-e-settori-di-intervento/28739).

(27) Carbone G. et Ragazzi L., op. cit.

(28) European Investment Bank, « Tunisie : Team Europe s’engage à hauteur de 472 millions d’euros pour soutenir le projet électrique ELMED et son écosystème », 13 juin 2024, 3 pages (https://www.eib.org/).

(29) Muliro Arthur, « Italia e Africa: il Piano Mattei può farcela? », CeSPI, 2024 (https://www.cespi.it/).

(30) Presidenza del Consiglio dei Ministri, « Piano Mattei per l’Africa, Mozambico: firma dell’Accordo per il CAAM », 8 juillet 2024 (https://www.governo.it/).

(31) Kaval Allan, « Entre l’Italie et l’Algérie, une idylle qui se renforce », Le Monde, 4 mars 2025.

(32) Bartolo Michelangelo, « Il Piano Mattei, la sanità e le potenzialità della telemedicina », QuotidianoSanità.it, 30 janvier 2024 (https://www.quotidianosanita.it/lettere-al-direttore/articolo.php?articolo_id=119823).

(33) Stonor Alexander, Afrique centrale et australe : corridors de l’intégration ou de la fragmentation ? (note), Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), février 2025 (https://www.iris-france.org/).

(34) « Relazione sullo stato di attuazione del Piano Mattei », Senato della Repubblica, Camara dei deputati, n° 1, 10 ottobre 2024 (https://documenti.camera.it/leg19/dossier/pdf/ES0242.pdf).

(35) Presidenza del Consiglio dei Ministri, Piano Mattei per l›Africa: le risorse e gli strumenti finanziari, 2024 (https://www.governo.it/it/articolo/piano-mattei-lafrica-le-risorse-e-gli-strumenti-finanziari/28747) et Openpolis, « Chiari e scuri della cooperazione italiana. 4. La cooperazione con l’Africa e il piano Mattei », 15 février 2024 (https://www.openpolis.it/esercizi/la-cooperazione-con-lafrica-e-il-piano-mattei/).

(36) Ibidem.

(37) Commissione Europea, « Global Gateway: Commissioner Sikela in Italy to reinforce EU’s external engagement », 26 mars 2025 (https://international-partnerships.ec.europa.eu/).

(38) Carbone G. et Ragazzi L., op. cit.

(39) Magnani Alberto, « Italia-Africa: il nuovo Piano Mattei e le strategie europee », Il Sole 24 Ore, 31 janvier 2024 (https://24plus.ilsole24ore.com/art/piano-mattei-cosa-si-sa-davvero-e-perche-italia-e-ue-sono-ritardo-AFBz8QXC).

(40) Rossi Emanuele, « Cosi Italia e Unione europea rafforzano l’asse strategico con l’Africa », Formiche, 28 mars 2025 (https://formiche.net/2025/03/italia-unione-europea-asse-strategico-africa/#content).

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Décembre 2025
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