France 1961
La visite du Président John Kennedy serait réduite à de biens minces proportions si elle était jugée dans le cadre de ce « tourisme diplomatique » dont la pratique s’est développée, ou même dans celui des problèmes franco-américains. Si l’on va au-delà des expressions quotidiennes — aussi spectaculaires soient-elles — des relations diplomatiques, on se rend vite compte que cette arrivée à Paris du Président des États-Unis mérite une attention d’un autre ordre.
Treitschke pensait que « les hommes font l’histoire » — Fernand Braudel lui répond : « L’histoire fait aussi les hommes, une histoire profonde, silencieuse et anonyme »… Que les hommes soient les créateurs ou les créations de l’histoire, il est bien certain que, sans aller jusqu’à admettre que le monde moderne est dominé par la loi des grands nombres, le renforcement constant du pouvoir des masses et leur politisation, l’instauration de régimes sinon démocratiques du moins à prétentions représentatives dans de nombreux pays, donnent une apparence de paradoxe à l’importance du rôle que jouent certains individus dans les relations internationales. Dans quelle mesure un homme peut-il être l’incarnation d’une collectivité et parler en son nom ? Nous nous contenterons de poser la question — les réponses possibles se situant entre ces deux extrêmes que sont, d’une part la dictature césariste, d’autre part la dégradation de la représentativité dans le formalisme et l’impuissance. Cette question, et les réponses qui peuvent lui être données, mettent en jeu tous les rapports entre les masses et les élites, et, politiquement, entre les gouvernants et les gouvernés. Et c’est alors que l’on ne peut pas ne pas songer à ce qu’écrivait le regretté René Grousset au début de ses « Figures de proue » :
« Impression d’aube en forêt, bien connue du chasseur ou du soldat. Un rond-point dans une clairière. Des pistes, en apparence toutes semblables, presque parallèles au départ, qui insensiblement s’écartent et vont se perdre dans la brume, à travers les lointains. Le choix qui va se faire déterminera le destin de la journée. Il est encore libre et, avec lui, sont libres et en suspens toutes les virtualités. Mais une fois la décision prise, il faudra suivre la route jusqu’au bout, jusqu’au soir, à travers toutes les fatigues qu’elle comporte, tous les dangers qu’elle recèle : le destin est engagé. C’est alors que le déterminisme jouera et qu’il balaiera les protestataires ou les rêveurs qui voudraient, en revenant sur leurs pas, revenir sur le choix initial.
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