Chine aujourd’hui et Chine de demain
Rares sont les visiteurs de la Chine d’aujourd’hui qui ont connu la Chine d’hier. C’est regrettable, car la comparaison du présent avec le passé apporte un élément d’appréciation très important si l’on veut juger le degré de réussite ou d’échec du régime actuel. Personnellement, j’ai eu la chance de connaître cette « Chine d’avant », et de la voir à plusieurs époques : la guerre sino-japonaise, l’après-guerre « américain », enfin la « libération », c’est-à-dire la période de l’installation au pouvoir. Quand je me rappelle cette Chine déjà si loin de nous, deux aspects surtout ressurgissent de cet univers disparu.
Une multitude énorme d’hommes échappait au changement : voilà le premier aspect qui m’avait frappé. Maintenir la tradition, transmettre les rites, imiter les ancêtres, ne pas innover, ne pas inventer, toutes ces vieilles règles d’une très ancienne Chine tenaient encore des millions d’hommes. La Chine était un énorme frein aux changements de l’humanité. Mais cette multitude pourrissait littéralement au centre du monde : voilà le deuxième aspect. Un phénomène de pourrissement social apparemment irrémédiable avait atteint un des peuples les plus civilisés du globe. C’était le glissement d’un peuple géant dans le malheur. Famine, anarchie, guerre, misère, maladie, les images que j’ai de l’ancienne Chine sont teintées de tout cela. Que la guerre civile et l’invasion étrangère en aient été pour une bonne part responsables, cela ne change rien. Et quand les communistes sont arrivés, les premiers mots des Chinois étaient : « Ça ne sera jamais pire qu’avant. »
En vérité, je crois que cette prédiction s’est réalisée. Sous le nouveau régime, la somme des difficultés et des souffrances, pour les Chinois, est restée très grande, mais on peut dire au moins que ces maux n’ont pas été vains, et qu’un immense effort, où des millions de Chinois ont mis une bonne volonté et un courage admirables, toute politique à part, a donné d’immenses progrès. Quand on compare la Chine d’aujourd’hui à celle d’hier, et même si la « Chine des gardes rouges » montre encore des remous inquiétants, ce pays apparaît sorti de la paralysie, du désespoir, de l’humiliation. Du même coup, voici la Chine nouvelle, depuis Mao Tsé-toung, précipitée dans le changement, elle qui était le pays de l’immobilité. Et cet énorme renfort à toutes les forces de mobilité et d’accélération de notre temps va être lourd de conséquences pour le monde de demain.
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