Le Comité international de la Croix-Rouge est souvent mis en cause par sa difficulté à défendre le droit international humanitaire notamment dans la guerre imposée par la Russie à l’Ukraine et à Gaza. Le CICR s’efforce pourtant d’agir en préservant sa vulnérabilité, condition indispensable pour pouvoir intervenir. Les évolutions de la conflictualité n’exonèrent pas les responsabilités des États.
Entretien - « On critique le CICR pour se débarrasser de la responsabilité humanitaire qui incombe aux belligérants »
Interview - Criticism of the ICRC in Order to Evade the Humanitarian Responsibility Incumbent upon the Belligerents
The International Committee of the Red Cross (ICRC) often suffers from the difficulty it has in defending international humanitarian law, especially in the war waged by Russia on Ukraine and in Gaza. During operations, the ICRC nevertheless tries hard to preserve its vulnerability—an essential condition to be able to intervene. Though types of conflict may change, they do not exonerate states from their responsibilities.
Mirjana Spoljaric, 54 ans, préside depuis octobre 2022 le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Née en Croatie, cette diplomate suisse passée par les Nations unies a la très lourde tâche, avec le directeur général de l’organisation Pierre Krähenbühl, de défendre sur tous les théâtres de guerre le droit international humanitaire et les Conventions de Genève, dont la Confédération helvétique est dépositaire. Est-ce devenu une mission impossible dans le monde de Donald Trump ? Le Droit international humanitaire (DIH) peut-il se relever des violations dénoncées, à Gaza ou en Ukraine, par le CICR ? Entretien exclusif pour la RDN.
Commençons par l’Ukraine, ce conflit dans lequel la réputation, la responsabilité et la neutralité du Comité international de la Croix-Rouge ont été plusieurs fois mises en cause par les autorités de Kyiv, qui l’accusent d’être du côté de l’agresseur russe. Aujourd’hui, le CICR peut-il y mener à bien sa mission ?
Il est faux d’affirmer que le CICR entretient un quelconque lien avec la Russie. La vérité est que nous entretenons des liens avec tous les États dans le monde, car cela est indispensable pour mener à bien notre mission. Et partout nous fonctionnons de la même manière : en restant à équidistance de toutes les parties belligérantes afin de remplir le mandat que nous confèrent les Conventions de Genève. Il est important de répéter cette évidence dans une revue comme la RDN, lue par les militaires, les états-majors et les experts en géopolitique : tous les États, sans exception, ont les mêmes obligations de respecter ces conventions, de manière non transactionnelle et, indépendamment de ce que font les autres, y compris leurs ennemis. Or, comment y parvenir si l’on ne dialogue pas avec les parties en présence pour insister sur le respect du Droit international humanitaire (DIH) ?
Soyons plus précis : le CICR opère en Ukraine et en Russie. De la même manière ? Avec le même degré d’accès ?
Pour opérer en Ukraine, nous avons besoin de savoir ce qui se passe en Russie. Nous devons avoir, des deux côtés du front, accès aux prisonniers de guerre. Et c’est ce que nous nous efforçons de faire. Je le répète : il est faux de dire, comme je l’ai entendu à Kiyv, que le CICR devrait se distancier d’un pays ou l’autre car il ne respecte pas le DIH – au contraire, c’est là où nous devons être plus présents et redoubler nos efforts. Notre mandat est strictement fondé sur le principe de neutralité qui, il est vrai, peut être difficile à comprendre et à accepter lorsque vous subissez une agression caractérisée. Nos modalités de confidentialité sont aussi compliquées à justifier face aux victimes ; mais cela fonctionne. L’histoire du CICR prouve que l’accès aux populations, y compris dans les situations les plus difficiles, est toujours meilleur si on reste neutre. N’oublions pas que les guerres sont aussi des batailles politiques et médiatiques. Chacun se positionne. Or il est devenu très populaire, pour certains politiques, de critiquer le CICR pour se débarrasser de la responsabilité qui leur incombe de respecter le droit inter-national humanitaire.
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