L’ambassadeur Jacolin a été en poste en Bosnie-Herzégovine de 1993 à 1995. Son témoignage apporte un éclairage nécessaire sur la difficulté de sa mission dans un contexte où les parties prenantes ne souhaitaient pas la paix mais la confrontation. Le statu quo actuel bien qu’insatisfaisant a évité le pire.
Sur la route des Accords de Dayton - Entretien avec un diplomate français au cœur de l’action
The Path to the Dayton Accords—Interview with a French Diplomat at the Centre of the Action
Henry Jacolin was the French ambassador to Bosnia-Herzegovina from 1993 to 1995. His testimony sheds much-needed light on the difficulty of his mission in a situation in which the various sides involved sought confrontation, rather than peace. Although unsatisfactory, the status quo has avoided the worst.
Le ministère m’a annoncé ma nomination à cette position dont j’allais être le premier titulaire alors que j’étais encore en poste comme ambassadeur de France à Fidji et couvrant d’autres pays dans la zone Pacifique. Les consignes que j’ai reçues avant mon départ ont été aussi concises que simples : « Vous suivez la situation, vous rendez compte et vous faites attention à vous ». Je présente mes lettres de créances le 12 février 1993 au président Izetbegovic qui remercie la France pour cette nomination et m’entretient de ses préoccupations principales : le nettoyage ethnique et le blocage de l’aide humanitaire par les Bosno-Serbes en Bosnie orientale. Je vous précise qu’à mon arrivée à Sarajevo, je suis le seul ambassadeur en poste et en résidence dans le pays jusqu’au mois de septembre 1993.
Quelles sont alors votre perception et votre compréhension de la situation locale ?
Quand j’arrive dans la capitale de ce nouvel État, le conflit dure déjà depuis à peu près un an et aucune solution ne semble devoir se dégager. Les trois parties belligérantes (bosniaque, bosno-croate et bosno-serbe) s’affrontent en de nombreux points du pays en fonction, notamment, de l’éparpillement de leurs populations respectives. Sarajevo, tenu majoritairement par les Bosniaques, est assiégé par les Serbes de Bosnie. Mostar est dans une position critique, le centre de la ville bosniaque étant coincé par les Bosno-Croates à l’ouest et par les Bosno-Serbes à l’est. Lors de mes divers déplacements, je découvre la tragédie vécue au quotidien par les habitants et la réalité du nettoyage ethnique ; je perçois surtout la mauvaise foi des uns et des autres érigée en règle de conduite ainsi que l’incompréhension de ceux qui subissent cette guerre. La situation semble inextricable mais mon rôle, en tant qu’ambassadeur de France, n’est pas de participer à sa résolution, mais d’y aider. J’entretiens des relations avec tous les acteurs bosniaques (Président, Premier ministre, parlementaires, maires et autres autorités) et acquiers la confiance du Président et du Premier ministre. Par ailleurs, mon action porte sur la coopération culturelle et intellectuelle afin d’aider la population locale à sortir de son isolement dû au siège ; c’est ainsi que je peux ouvrir un centre culturel français à Sarajevo le 14 juillet 1994.
Différents plans de paix ont été proposés jusque-là (plan Carrington, plan Vance-Owen, plan Stoltenberg-Owen) par la communauté internationale. Qu’est-ce qui ne marche pas ?
Ces plans, finalement, ne consistent qu’à séparer les belligérants sur une base géographique et à leur attribuer un territoire. Alors que le plan Vance-Owen partage le pays en dix cantons (3 bosniaques, 3 croates, 3 serbes et le canton fédéral de Sarajevo), le plan Stoltenberg-Owen le divise en 3 régions (une par groupe ethnique). Leur logique est relativement simple mais ils seront rejetés successivement par l’une ou l’autre partie qui s’estime flouée pour les raisons parfois les plus spécieuses. Par ailleurs, le diable se niche dans les détails surtout lorsqu’il est question de frontières, ou délimitations géographiques, au statut mal défini.
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