L’Armée de terre dispose d’un outil doctrinal de planification pour le travail des états-majors. La Méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle tactique (MEDOT) permet de transformer une mission reçue en un ordre d’opération directement utilisable. La MEDOT poursuit son évolution et son adaptation à l’heure des données et du numérique, tout en conservant sa pertinence.
Modéliser la décision militaire à l’ère des données
Modelling Military Decisions in the Era of Mass Data
The French Army possesses a doctrine-based planning procedure for the use of headquarters staffs. Called The method for reaching a tactical operational decision (Méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle tactique—MEDOT), the procedure allows an ordered mission to be transposed into an immediately useable operation order. The MEDOT is in continuous development and adaptation in this era of digital data whilst wholly retaining its relevance.
La Méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle tactique, ou MEDOT, est l’outil doctrinal de planification de l’Armée de terre. Elle structure le travail des états-majors, du niveau brigade au niveau corps. Son principe est simple : transformer une mission reçue en un ordre d’opération, selon un cheminement clair et reproductible. La MEDOT repose sur plusieurs grandes étapes : réception de la mission, analyse, formulation d’un effet majeur et d’un schéma directeur, comparaison d’options, diffusion de l’ordre. Cette séquence n’est pas rigide. Elle peut être adaptée, raccourcie ou « court-circuitée » en fonction du temps disponible et des circonstances. L’originalité de la MEDOT est justement d’avoir été pensée dès l’origine comme une méthode perfectible, conçue pour évoluer avec les besoins.
Modéliser les décisions collectives dans des environnements incertains
L’enjeu dépasse la technique militaire. La MEDOT est un exemple de ce que signifie modéliser une décision collective dans un environnement incertain. Elle impose une grammaire qui contraint le passage de l’information à l’action. Cette grammaire peut être décrite à l’aide de formalismes mathématiques. Trois modèles se prêtent particulièrement à l’analyse : le modèle séquentiel, le modèle bayésien et l’analogie quantique. Il ne s’agit pas de trois logiques concurrentes de la décision, mais de trois manières de représenter mathématiquement le même processus.
La logique séquentielle est celle de la MEDOT. Elle correspond à une chaîne d’états ordonnés : mission reçue, mission analysée, options envisagées, décision arrêtée, ordre diffusé. Chaque état succède au précédent par transition. L’effet majeur fixé par le commandant joue le rôle d’un opérateur de restriction : il réduit l’espace des options possibles et oriente tout le processus. Cette structure explique la rapidité de la MEDOT par rapport aux méthodes alliées. Dans des exercices de coalition, le cycle de décision français est souvent plus court de trente à quarante pour cent. Les ordres produits sont également plus concis, parfois deux ou trois fois moins volumineux que ceux issus de procédures américaines ou otaniennes. Mais la même structure révèle une limite : l’incertitude n’est pas traitée par calcul formel. Elle est absorbée qualitativement, par des branches ou par la délégation aux subordonnés.
Modélisation bayésienne et analogie quantique
Le modèle bayésien, fondé sur le théorème de Bayes, formalise une autre manière de décider. Chaque option de manœuvre est une hypothèse H, dotée d’une probabilité de succès. Chaque nouvelle information D modifie ces probabilités et produit une croyance a posteriori P(H|D). La décision consiste à retenir l’option la plus probable de réussir au vu des données accumulées. Un état-major travaillant selon ce modèle conserverait plusieurs options vivantes en parallèle, pondérées par des probabilités, et les réviserait en permanence au fil des renseignements. La MEDOT, en comparaison, fige tôt un schéma directeur et ne procède pas à des mises à jour quantitatives systématiques. Cependant, cette comparaison montre un espace d’évolution : rien n’interdit d’intégrer des modules de calcul probabiliste dans le cadre séquentiel de la MEDOT. Ce serait une manière de renforcer formellement une adaptation qui existe déjà de façon intuitive au niveau tactique.
L’analogie quantique propose encore une autre lecture. En physique quantique, un système peut être en superposition de plusieurs états, et ce n’est qu’au moment de la mesure qu’il s’effondre dans un état unique. Transposé à la planification, cela revient à maintenir plusieurs plans actifs en parallèle et à n’en choisir qu’un au dernier moment, quand les conditions opérationnelles obligent à trancher. La MEDOT privilégie au contraire un seul schéma directeur, arrêté tôt pour orienter l’action. Toutefois, l’analogie quantique éclaire une possibilité : celle d’organiser la flexibilité non pas par improvisation, mais par préparation parallèle. Grâce à des moyens numériques puissants, un état-major pourrait entretenir plusieurs plans concurrents et n’en actualiser qu’un en fonction des derniers signaux disponibles.
Vers une combinaison évolutive et scientifique
Ces trois modèles ne s’opposent pas. Ils se complètent. Le séquentiel reste indispensable pour donner une structure transmissible et lisible. Le bayésien permettrait d’introduire une mise à jour continue des hypothèses en fonction des données. Le quantique ouvre la voie à une préparation parallèle des branches, pour retarder la décision finale et maximiser la réactivité. La MEDOT, conçue comme une méthode évolutive, peut servir de socle à cette combinaison.
L’utilité d’une telle lecture est triple. Elle est d’abord pédagogique. Décrire la MEDOT comme un modèle séquentiel permet de clarifier son fonctionnement implicite. La décision n’est pas un geste, mais une transformation d’information structurée. Cette clarification aide à former les officiers et à comparer les méthodes entre alliés. Elle est ensuite expérimentale. Formaliser la MEDOT comme une chaîne séquentielle ou comme un graphe probabiliste permet de mesurer, tester, quantifier. Combien de temps dure chaque phase, combien de données sont simplifiées, quelle est la variabilité des résultats ? Ces questions ouvrent la voie à une véritable science de la planification. Enfin, elle est prospective. L’insertion d’outils bayésiens ou l’expérimentation de préparations parallèles sont des prolongements naturels à l’ère des données massives et des systèmes d’aide à la décision.
Le niveau tactique est le plus concerné car, dans un combat saturé d’informations, la rigidité d’une séquence unique peut être insuffisante. Le chef tactique doit intégrer des flux de données en continu et garder plusieurs options ouvertes. La MEDOT lui fournit un cadre clair, mais elle peut être enrichie. Une version bayésienne lui permettrait de recalculer en temps réel la probabilité de succès des options. Une version inspirée de la superposition lui donnerait les moyens de maintenir plusieurs plans prêts à l’emploi et de les effondrer en un choix opérationnel au dernier moment.
Il est important de souligner que ces prolongements ne constituent pas une critique. Ils prolongent une logique inscrite dès l’origine dans la MEDOT : celle d’une méthode conçue pour être améliorée. Son architecture séquentielle est stable, mais ses marges sont ouvertes. Elle constitue à la fois un langage commun et une plateforme d’expérimentation. C’est en ce sens qu’elle est un objet intéressant pour une réflexion scientifique sur la décision.
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En définitive, la MEDOT est plus qu’une procédure nationale. Elle est un exemple de ce que signifie modéliser la décision en contexte militaire. Sa force est d’avoir choisi la clarté d’une séquence et la concision des ordres. Sa pertinence durable viendra de sa capacité à s’ouvrir à d’autres modèles, probabilistes ou parallèles. L’avenir de la décision tactique pourrait ainsi consister non pas à abandonner la MEDOT, mais à la prolonger par des instruments mathématiques qui formalisent mieux l’incertitude et la flexibilité. L’outil français deviendrait alors un socle, une base stable pour des évolutions nécessaires à l’ère des guerres multidomaines. ♦










