Il n’y a pas plus de vingt-cinq ans, une vue cavalière de l’Afrique noire la montrait s’étirant entre quatre môles de fixation : le Nigeria, l’Éthiopie, le Zaïre, l’Afrique du Sud. Ailleurs, quant au poids politique, c’était presque le vide, tant dans l’Ouest balkanisé que dans l’Est où aucun État n’avait assez d’envergure pour rayonner hors de ses frontières.

Ces môles existaient plus en raison d’un poids politique, économique et démographique, écrasant pour leurs voisins, que de leur stabilité, car ils n’avaient pas été épargnés par les épreuves. Celles-ci s’étaient accompagnées d’interventions étrangères : guerre sécessionniste du Biafra de 1967 à 1970 ; campagne d’Éthiopie pendant le deuxième conflit mondial, bientôt suivie de la funeste annexion de l’Érythrée ; soulèvements dans la région minière du Shaba en 1977, 1978 et 1984 ; interminable apartheid en Afrique du Sud. Différant des crises de croissance postérieures aux indépendances et se situant en dehors de la guerre froide, de tels événements soulignaient à la fois l’importance de ces quatre pièces sur l’échiquier africain et le lourd handicap dû à leurs structures mêmes. Si aucun de ces môles ne se trouvait là où, naguère, flottaient les trois couleurs, notre influence ne s’en faisait pas moins sentir à la périphérie du Nigeria, à Kinshasa, bastion de la francophonie, et, depuis cent ans, jusqu’en Éthiopie ; il va sans dire que notre attitude devant l’apartheid nous donnait des espoirs pour plus tard.

Les géants anglophones

À l’évidence, un des événements majeurs dans l’histoire récente de l’Afrique noire est l’entrée en scène de l’Afrique du Sud comme acteur de premier plan. Cet immense pays, un des principaux exportateurs mondiaux de minerais en valeur, doté de ressources qui lui permettaient de produire le tiers des richesses comptabilisées du continent, pourvu d’hommes de haute qualification dans tous les domaines de la pensée, disposant d’une enviable position stratégique, bénéficiant de contacts étroits avec les milieux dirigeants de la finance internationale, payait cher un régime qui lui fermait les portes. Désormais politiquement présentable, servi par l’incomparable prestige de Nelson Mandela, il prend la place qu’il estime lui revenir comme guide de l’Afrique noire. Son récent rôle de médiateur, sous l’égide de l’Onu et de l’OUA, a souligné qu’il est seul au sud du Sahara à pouvoir se poser en arbitre entre les nations. Ainsi, ayant fait ses preuves, sera-t-il en mesure de briguer, non sans le soutien de Washington, une place au Conseil de sécurité quand le jour sera venu d’y admettre à titre permanent un État noir. La préoccupation de tenir son rang se manifeste aussi lorsque l’Afrique du Sud parle de donner un nouvel élan au Mouvement des non-alignés, placé l’an prochain sous sa présidence, lorsqu’elle adhère à la convention de Lomé ou lorsqu’elle présente sa candidature pour les jeux Olympiques de 2004.