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  • Conflit Ukraine-Russie, l’heure de tous les dangers : quelle paix, quelles perspectives ? (T 1783)

Conflit Ukraine-Russie, l’heure de tous les dangers : quelle paix, quelles perspectives ? (T 1783)

Hugues Pernet, « Conflit Ukraine-Russie, l’heure de tous les dangers : quelle paix, quelles perspectives ? (T 1783)  », RDN, 18 décembre 2025 - 11 pages

Archives : Le 8 décembre 2025, à Londres, les dirigeants de l'Ukraine, du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne ont discuté de l'engagement diplomatique avec les États-Unis et du renforcement du soutien à la défense de l'Ukraine (Photo © President of Ukraine / Flickr)
Archives : Le 8 décembre 2025, à Londres, les dirigeants de l'Ukraine, du Royaume-Uni, de la France et de l'Allemagne ont discuté de l'engagement diplomatique avec les États-Unis et du renforcement du soutien à la défense de l'Ukraine (Photo © President of Ukraine / Flickr)

Guerre en Ukraine se situe actuellement entre une impasse militaire et des négociations risquées. Alors que l’Ukraine, affaiblie par la corruption et la fatigue du conflit, affronte une Russie déterminée, les négociations sous médiation américaine pourraient aboutir à un accord inéquitable, avec des cessions territoriales et des garanties de sécurité incertaines. L’Europe, spectatrice, doit repenser sa stratégie pour éviter une fragmentation et préparer l’après-guerre.

Ukraine-Russia conflict, a time of great danger: what peace, what prospects?

The war in Ukraine is currently caught between a military stalemate and risky negotiations. As Ukraine, weakened by corruption and conflict fatigue, faces a determined Russia, negotiations mediated by the United States could result in an unfair agreement, with territorial concessions and uncertain security guarantees. Europe, a spectator, must rethink its strategy to avoid fragmentation and prepare for the post-war era.

Les empires comme les États-Unis, la Fédération de Russie, la République populaire de Chine ou l’Union indienne ont une conception longue du temps en matière internationale, ce qui détermine leur action et la manière de l’analyser. L’Union européenne (UE), elle, n’est pas un empire, tant s’en faut. Sa perception du temps international est fragmentée au gré des processus électoraux dans chaque État-membre et de l’émergence de tendances lourdes comme celle des extrêmes dans le spectre politique.

En France, la prise en considération du temps est, depuis un certain nombre d’années, fonction d’une politique de communication et non d’une politique étrangère. Cette approche a sa propre logique avec ses mérites et ses limites. Elle répond aux aspirations prêtées à la population nationale. La diplomatie, quant à elle, se doit de prendre principalement en compte des États étrangers, alliés, adversaires ou neutres, qui n’ont pas nécessairement les mêmes objectifs ni les mêmes intérêts que la France. Ainsi, à titre d’exemple, lorsque l’on appelle à un cessez-le-feu immédiat dont on ne peut ignorer qu’il ne répond pas aux intérêts d’une des parties, on répond ou devance l’attente d’une opinion publique en quête de justice internationale. En revanche, ce type d’annonces ne sera pas lu de la même manière à Moscou où on considérera, à tort ou à raison, qu’il s’agit d’un message traduisant la faiblesse de l’Ukraine sur le plan militaire. De même, la multiplication des rencontres au sommet avec le Président Zelensky, exprime une solidarité à toutes épreuves dont témoignent les autorités françaises à l’égard de l’agressé ce qui répond également aux attentes des médias dans leur ensemble. Néanmoins, l’agresseur y verra de la précipitation et de l’improvisation.

En Ukraine, la perception du temps est celui de la guerre avec sa triste logique. Elle est, de plus, éclairée par les pages sombres d’une histoire récente, la politique d’assimilation de l’empire russe puis de l’URSS, cette dernière n’ayant pas hésité à organiser une grande famine à l’origine de la mort de plusieurs millions d’Ukrainiens (Holodomor en 1932-1933) mais également par les faiblesses du monde occidental tels que révélées par le mémorandum de Budapest de 1994, censé garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, sans qu’aucune mesure effective n’ait été prévue à cette fin.

Aujourd’hui, la situation paraît des plus préoccupante. C’est l’heure de tous les dangers tant pour l’Ukraine que pour l’UE et la France. Le temps de la guerre, plus long qu’anticipé n’est pas encore arrivé à son terme alors que la fatigue se fait jour. Cependant l’impasse militaire et diplomatique qui perdure depuis bientôt quatre ans pourrait connaître une issue à relativement court terme.

Une médiation improbable

Si on l’observe sous le prisme du droit international, le processus de paix engagé par Donald Trump est, pour le moins, sujet à interrogation. Dès avant son élection, il s’est, en quelque sorte, autoproclamé médiateur d’un conflit, à l’origine duquel il n’avait aucune responsabilité et qu’il entendait résoudre en 24 heures. Par-delà l’outrecuidance d’un propos de campagne, il est tout à fait paradoxal que l’idée ait pu prospérer. Elle comblait, en réalité, un vide généré par l’impasse dans laquelle se trouvaient les belligérants en manque de contacts efficaces et que le sort des armes n’arrivait pas à départager de manière incontestable.

Le médiateur autoproclamé a depuis lors été élu président des États-Unis, pays qui était, à l’époque, le principal fournisseur d’armes et de renseignements permettant à l’agressé, l’Ukraine, de résister, d’une part, et de frapper l’agresseur, la Russie, d’autre part. Le plus surprenant est donc que Moscou ait accepté ce médiateur en pleine connaissance de cause. Depuis lors, le médiateur agréé par les deux adversaires, il faut le relever, a infléchi nettement sa position en faveur de l’agresseur.

Cette médiation, aussi étrange soit-elle, a pour mérite d’exister, soulignant de manière cruelle l’absence de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l’UE et de la France notamment qui se sont placées dans une situation particulière en refusant ou en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour dialoguer sur le fond et dans la discrétion avec l’agresseur. Bruxelles, tout comme Paris, est dans la position d’être l’avocat de l’agressé sans avoir un accès direct au dossier désormais aux mains exclusives de Washington disposant ainsi du monopole de l’information qu’il distille au gré de ses intérêts et des événements…

Ce processus fonctionne cependant de manière assez classique par des navettes. Un plan russe transmis à la partie américaine lors de la rencontre d’Anchorage (Alaska) le 15 août dernier a été remis au Président Zelensky qui, en association avec les principaux pays européens, l’a amendé. Une nouvelle mouture a été présentée par le nouveau chef de délégation ukrainienne aux responsables américains en Floride. Le texte amendé a été présenté au Président russe par Steve Witkoff. Un nouveau cycle d’échanges entre Américains et Ukrainiens se tient à Berlin. D’autres devraient suivre…

Un plan injuste par construction, mais peut-être nécessaire

Quelle que soit l’option, le plan qui en résultera ne peut être qu’injuste par construction dans la mesure où il impliquera, à des niveaux variables selon la capacité de conviction des négociateurs, des concessions au maître du terrain de la part de l’agressé. La question principale est celle d’une cession de territoires, de facto dans le cadre d’un cessez-le-feu, ou de jure dans le cadre d’un traité de paix. Il s’agirait pour l’essentiel :

– Du Donbass, territoire particulier, contesté dès l’origine par la Russie, dans la mesure où il abritait une importante minorité russe sur laquelle Moscou avait obtenu un droit de regard significatif, dans la mesure où la République socialiste fédérative soviétique (RSFS) de Russie se voyait reconnaître le droit de protéger ses ressortissants résidant en Ukraine, dans le cadre du traité du 19 novembre 1990.

– De la Crimée, terre colonisée par Catherine II au XVIIIe siècle non, contre les Ukrainiens, mais contre les Turcs et les Tatars. Plus tard, la guerre de Crimée opposa de 1853 à 1856 les Anglais et les Français, non pas aux Ukrainiens, mais aux Russes.

– Les régions de Zaporijjia et de Kherson faisant la jonction entre le Donbass et la Crimée n’ont, à notre connaissance, pas fait l’objet de revendications spécifiques lors de la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine en 1991.

L’appartenance à l’Ukraine de ces territoires, à l’exception des oblasts de Zaporijjia et Kherson, était donc contestée par Moscou dès avant l’indépendance de l’Ukraine. Cela ne justifie en aucun cas une agression mais cet irrédentisme, qui ne pouvait pas être ignoré des gouvernements occidentaux, aurait dû faire l’objet d’un traitement politique notamment en recourant à une structure fédérale du nouvel État et, à tout le moins, du respect du principe de précaution. La création du processus de Minsk en 2014 pourrait constituer une sorte de reconnaissance implicite de la spécificité de cette région.

La question est aujourd’hui scindée en deux parties. Il semble acquis qu’un gel soit accepté par l’Ukraine en ce qui concerne les territoires occupés par les Russes. En revanche, le débat se focalise sur les territoires non conquis. Moscou se déclare déterminé à les conquérir par la force si nécessaire et propose un échange avec les territoires occupés dans d’autres régions, ce que Kyiv rejette catégoriquement. L’idée d’une zone démilitarisée pourrait offrir une piste qui sera probablement rejetée par Moscou cette fois-ci.

Cependant, ces territoires font partie intégrante de l’Ukraine en 1991 lors de son indépendance. Une cession, sous quelque forme que ce soit, sera une reconnaissance du fait accompli justifié par le principe de réalité. Il convient de relever que nombreux ont été les découpages de territoires en Europe même. Ainsi, en 1945, la Pologne, pays agressé par l’Allemagne nazie, a dû céder d’importants territoires à l’Est, au profit de la Lituanie dont la capitale Vilnius, n’était autre que la ville polonaise de Wilno, de la Biélorussie et de l’Ukraine, la Galicie notamment et la ville de Lviv en particulier. De même, l’Allemagne a dû céder d’importants territoires en compensation à la Pologne et reconnaître formellement, lors de sa réunification, ligne Oder-Neisse comme sa frontière orientale intangible. L’appartenance formelle à l’Ukraine de ces territoires contestés depuis 35 ans représente peut-être une période courte au regard de l’histoire… D’autres concessions sont également attendues comme la limitation des forces armées ukrainiennes et l’interdiction de rentrer dans l’Otan, en particulier.

Si la situation paraît propice pour parvenir à une suspension des hostilités, elle n’est pas dénuée de risques pour Kyiv. L’Ukraine est en position particulièrement délicate, voire de faiblesse, à la suite du scandale de corruption qui touche l’entourage immédiat du Président. Sur le front, son armée, tout en résistant admirablement et vaillamment, est manifestement un peu à la peine. Le front n’a pas craqué, mais le doute peut être mauvais conseiller. De son côté, l’entourage du Président russe peut se tromper en faisant miroiter une percée prochaine du front. À l’inverse, le cercle du Président ukrainien pourrait minimiser les réalités de terrain. C’est donc dans cette incertitude que se trouvent les négociateurs.

Le danger dans la précipitation de la négociation telle qu’elle se présente aujourd’hui serait une double peine pour l’Ukraine qui pourrait concéder des territoires, de facto ou de jure, contre des garanties de sécurité insuffisantes comme en 1994. Le problème réside dans ce contexte non pas seulement en Russie avec ses exigences mais également aux États-Unis mêmes qui se refusent, tout comme dans le cadre du mémorandum de Budapest de 1994, d’accorder des garanties de sécurité sérieuses et contraignantes. Le risque pour l’Ukraine est de se faire à nouveau imposer un simple habillage n’engageant pas réellement les États-Unis.

Le Président Trump pourrait être tenté d’utiliser la position de faiblesse des autorités ukrainiennes après le scandale de corruption ayant entraîné la démission des deux ministres liés à l’énergie et du chef de cabinet du Président, sans omettre la fuite d’un de ses proches. Dans ce contexte, les entretiens que vient d’avoir le chef du FBI, Kash Patel, avec Rustem Umerov en Floride, le nouveau négociateur ukrainien après la défection du chef de cabinet du Président Zelensky, Andriy Yermak, laissent penser qu’une pression insidieuse pourrait être exercée sur la partie ukrainienne. Cela reste à confirmer.

On ne peut se cacher que la situation est grave pour le Président Zelensky. Le scandale de corruption porte sur un sujet particulièrement critique et sensible puisqu’il touche les livraisons pour assurer les réparations du parc énergétique particulièrement visé par les bombardements russes. Penser qu’alors que les citoyens ukrainiens souffrent de pénuries d’énergie, des membres de l’entourage présidentiel aient pu profiter de la situation pour s’enrichir par corruption n’est pas anodin. Le contexte est d’autant plus grave que le Président lui-même a commis un faux pas en signant un décret pour tenter de placer les institutions anti-corruption sous la tutelle directe de l’administration présidentielle qu’il a été contraint d’annuler à la suite de la pression de la rue et des contributeurs occidentaux. De surcroît, d’autres scandales avaient déjà secoué l’armée ukrainienne en 2023 sur la conscription.

Cette faiblesse pourrait être utilisée par un Président américain en quête, d’une part, d’une solution à n’importe quel prix pour l’Ukraine et, d’autre part, de l’accréditation de son narratif intérieur selon lequel cette guerre est celle de Joe Biden, son prédécesseur. En effet, laisser entendre que le Président démocrate ait pu collaborer avec une administration ukrainienne corrompue risque d’être utilisé sans vergogne par le Président républicain.

Dans le contexte actuel, l’Ukraine lutte, comme indiqué dans notre précédente tribune (1), sur deux fronts, militaire contre les forces russes et diplomatique contre l’administration américaine. Volodymyr Zelensky est placé devant un dilemme complexe à gérer, voire impossible à trancher, sous peine soit de se suicider politiquement, soit de poursuivre le conflit sur des bases maximalistes, justes moralement, comme il l’a de nouveau exprimé lors de la conférence de presse du 1er décembre dernier à l’Élysée, mais peut être peu réalistes. Le problème majeur de l’Ukraine comme de ses partisans c’est qu’il ne semble pas y avoir de plan B.

Des dangers nombreux

Les positions exprimées par Kyiv pourraient être contradictoires. Le grand écart entre les ambitions affichées et les moyens pour les réaliser paraît s’accentuer à moins d’être dans une forme de déni, source d’erreurs d’analyse majeures. Sauf imprévus ou ressources cachées, la position diplomatique et militaire de l’Ukraine se dégrade lentement mais sûrement. Le front n’est pas rompu aussi la négociation pourrait ne pas s’apparenter à une forme de capitulation, mais la position est moins bonne qu’en 2023 après que les armées ukrainiennes aient repoussé les armées russes au-delà de Kyiv et de Kharkiv.

Il appartient au Président Zelensky et aux autorités politiques ukrainiennes qui devraient être plus ouvertement associées à la réflexion et à la décision, de se prononcer en se défiant, d’une part, des analyses complaisantes sur les faiblesses de la Russie et, d’autre part, sur les ressources de l’Ukraine et de ses alliés dont le caractère virtuel pourrait être trompeur. Le Président ukrainien, sous la pression américaine, semble désormais envisager une élection présidentielle si les conditions de sécurité sont assurées et une consultation populaire sur la cession de territoires.

Volodymyr Zelensky, comme tout Président, doit, par principe, se défier de son entourage et de ses alliés et se forger sa propre opinion. Il lui appartient de savoir s’il est susceptible de disposer à un horizon raisonnable des moyens d’inverser de manière, si ce n’est décisive, du moins suffisamment forte, le cours actuel de la conjoncture.

Il lui appartient donc de savoir si le moment est venu ou pas. La décision pour le Président Zelensky est vitale et affectera dans la durée le destin de l’Ukraine. Le Président Poutine est dans une situation différente, elle n’est pas vitale pour son pays mais juste tactique. Il lui appartient de savoir s’il doit finaliser une pause, sous la forme d’un traité léonin par rapport à l’Ukraine mais avec des gains limités par rapport à ses ambitions initiales.

La probabilité est d’aboutir, à un horizon encore difficile à définir, à un repli tactique rendu nécessaire car la Russie est en échec relatif, elle ne peut pas le méconnaître. D’ailleurs, le simple fait que Moscou ait accepté, ce qui eût été impensable du temps de l’URSS, de recourir à la médiation de Washington pour un sujet relevant, selon elle, de son étranger proche, en est la preuve. Ses forces armées ne sont pas parvenues à prendre le contrôle de Kiev ni même de Kharkov, première capitale de l’Ukraine soviétique dans les années 1920, qui est symbolique à ce titre. Ce repli tactique laisse cependant ouverte la possibilité de poursuivre par d’autres voies des objectifs inchangés, le contrôle et la neutralisation de l’Ukraine, sans parler de la Moldavie et de la Géorgie, notamment.

Les Russes, au-delà de Vladimir Poutine, sont conscients du coût de la guerre et de leur incapacité à dominer militairement de manière incontestable l’Ukraine. Des replis tactiques ont déjà été utilisés par le passé comme lors du traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 par lequel la Russie bolchévique consentait à se séparer de l’Ukraine avant de la reconquérir par les armes commandées par le même Trotski, signataire dudit traité – l’armistice du 11 novembre 1918 rendait caducs les traités passés par l’empire allemand, dont celui de Brest-Litovsk.

Il faut donc évaluer toutes les marges de manœuvre futures que les négociateurs russes vont vouloir se ménager en cas de traité, limitation des garanties de sécurité, non-adhésion à l’Otan, armée ukrainienne réduite etc. Le problème tient au fait que les Américains, qui détiennent certaines clés du conflit par leur aide essentielle à l’Ukraine en matière de renseignements notamment, sont à l’origine de l’absence de garanties de sécurité nucléaires pour l’Ukraine en 1994 et qu’aujourd’hui il risque d’en aller de même. Démocrates et Républicains ne souhaitent pas aller au-delà d’un habillage en ce qui concerne les garanties. La ratification par le Congrès des États-Unis des éventuels engagements américains sera un élément déterminant.

Les propositions européennes qui viennent se substituer à ce défaut américain sont utiles, voire nécessaires mais peut-être insuffisantes. Là également, le cadre juridique sera essentiel pour garantir la pérennité des engagements souscrits. En fait, la meilleure garantie que l’UE, collectivement et individuellement, puisse apporter à l’Ukraine c’est de se forger une crédibilité politique, économique, diplomatique et militaire. C’est une entreprise à long terme. Il existe une opportunité, rendue possible par le défaut américain, il nous appartient de la saisir concrètement. Cependant, la position américaine n’est sans doute que tactique. On voit mal Washington renoncer aux avantages que lui procure l’Otan surtout depuis qu’elle a imposé une augmentation substantielle des contributions de ses alliés accompagnée d’une réduction sensible de ses propres engagements. Il faut le rappeler, l’Otan a deux fonctions principales qui la rendent difficile à rejeter. D’un côté, l’alliance était conçue comme un rempart contre l’URSS puis la Fédération de Russie ; de l’autre, elle rend juridiquement impossible l’accès de l’Allemagne à l’arme atomique. En l’espace de trois décennies l’Allemagne s’est réunifiée et est en passe d’avoir le plus important budget militaire en Europe…

In fine, le danger majeur d’un éventuel traité mettant fin aux hostilités serait que les Russes ne le conçoivent que comme un repli tactique. C’est d’ailleurs, sans le dire aussi clairement, la position ukrainienne lorsqu’elle plaide pour un cessez-le-feu dont l’objet serait de laisser ouverte la porte pour un retour des territoires illégalement occupés par les Russes par différentes voies, politiques mais également militaires à terme… Pour que la situation soit pérenne il serait impératif que l’Ukraine dispose de garanties de sécurité nucléaires du type article 5 de l’Otan, toute autre solution serait bancale ou incomplète. Il nous reste à convaincre d’une part, les Américains et, d’autre part, les Russes et nous mettre enfin en ordre de marche.

Pour ce qui concerne la France, l’augmentation de son budget alloué à la défense va dans la bonne direction ; il reste cependant à confirmer la tendance dans la durée. Nous entrons dans des plages de temps qui dépassent l’horizon politique et électoral. Il semble nécessaire d’envisager une réflexion sur notre stratégie nucléaire à la lumière des changements opérés en Russie où l’on n’exclut plus des frappes autres que purement défensives. Peut-être conviendrait-il d’envisager des recherches voire des mises au point pour des armements nucléaires miniaturisés pour des actions au niveau du théâtre de manière à pouvoir réagir avec souplesse à des situations nouvelles ?

Dans le domaine conventionnel, de nombreux dangers nous guettent, comme celui d’investir dans des matériels d’une autre guerre. L’expérience des combats en Ukraine est sans nul doute étudiée, mais les gouvernants pourraient se heurter à l’inertie des grands groupes industriels qui pourraient vouloir privilégier des matériels lourds et coûteux devenus inopérants, si ce n’est obsolètes, et se montrer réticents à l’émergence de startups innovantes, mais risquées.

L’apparition généralisée des drones en constante évolution et dont le stockage n’est pas une solution est une question complexe. La formation de pilotes de drones est centrale et va devoir être confiée à nos écoles militaires qui devront s’adapter. Une ouverture pourrait être faite en donnant, si cela est possible, à certains de nos blessés une seconde chance en étant affectés à la manipulation des drones.

Un vaste programme stimulant, mais qui doit impérativement s’inscrire dans la durée. S’il ne faut pas être en retard d’une guerre, il faut également ne pas se tromper de cible. Si la France fait bien l’objet de menaces et d’actions inamicales, elle pourrait ne pas être la cible immédiate et principale de la Russie. La désintégration de l’UE par toutes sortes de moyens, politiques, économiques, informationnels, voire terroristes, paraît davantage être l’objectif recherché. Éviter que l’UE ne s’érige en puissance est un objectif partagé, sans nul doute, par Moscou, Washington et Pékin. Si, le réarmement de la France est un impératif dans ce monde troublé, un retour aux fondamentaux pourrait s’avérer être de bonne diplomatie de manière à préserver l’avenir. Une défense « tous azimuts » serait peut-être préférable ?

Quelles perspectives ?

L’activité diplomatique est actuellement concentrée sur la manière de mettre fin à ce conflit aussi bête que brutal et meurtrier. L’Europe et les pays qui la composent n’en ont pas la maîtrise d’œuvre, ce qui est regrettable. Le rôle dans lequel elle s’est placée est celui d’être, d’un côté, le soutien indéfectible de l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie et, de l’autre, celui d’avocat et de conseil de l’Ukraine dans sa relation complexe avec Washington.

Si cette préoccupation immédiate est vitale à court terme, il conviendrait peut-être de se pencher sur les perspectives à long terme. Aujourd’hui, nous sommes focalisés sur le champ de bataille, mais le désastre est général et beaucoup reste à reconstruire. L’Europe peut y avoir toute sa place en prenant des initiatives généreuses et visionnaires.

La perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE est une option dont le caractère symbolique et la portée politique sont indéniables. Toutefois, si l’UE ne fait pas un effort conséquent pour se structurer avant son ouverture à l’Ukraine, elle risque l’implosion à terme, ce qui bénéficierait aux États-Unis, à la Chine, ainsi qu’à la Russie. Les contradictions internes à l’UE seraient exacerbées avec une adhésion de l’Ukraine sans une préparation initiale en profondeur des deux parties. Les revendications sur la Politique agricole commune (Pac) verront la Pologne et la France s’opposer à l’Ukraine ; l’octroi massif de crédits nécessaires à la reconstruction matérielles, mais surtout morale, du pays vont se décider dans la douleur, de même la question de la lutte contre la corruption va s’envenimer, car on ne peut exclure a priori que l’aide apportée jusqu’à présent n’ait pas fait l’objet de quelques détournements.

Lorsque la question de l’intégration des pays de l’Europe de l’Est s’est posée dans les années 1990, le débat portait déjà sur la nécessité de procéder à l’approfondissement avant de se lancer dans l’élargissement. Bruxelles a fait l’économie des réformes structurelles avec les conséquences que l’on subit aujourd’hui. Si, l’UE ne procède pas à des réformes avant l’adhésion de l’Ukraine les risques d’implosion seront d’autant plus grands que le centre de gravité de l’Europe se sera encore déplacé plus à l’est. Aujourd’hui déjà, les orientations diplomatiques de l’UE sont largement dictées par les préoccupations de l’est de l’Europe. Demain, cette tendance sera accentuée et l’élément déterminant pourrait être le sort éventuel de la Lettonie ou de la ville de Narva en Estonie. En effet, il convient d’être prudent sur les capacités d’intervention de la Russie, sous quelque forme que ce soit. Elles sont importantes, comme il est d’ores et déjà possible de le relever en Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie et Roumanie, auxquelles il faudra adjoindre une Ukraine peut être moins soudée qu’en temps de guerre. La composante orthodoxe de ces différents pays sera sans nul doute utilisée comme vecteur de pénétration de l’influence russe dans cette zone.

Le débat sur l’utilisation des avoirs de la banque centrale russe gelés montre la diversité d’intérêts au sein de l’UE, mais également un certain manque de volonté à financer la reconstruction du pays. Ces avoirs sont un gage que l’on pourrait conserver pour la négociation finale sans abattre dès à présent cet atout majeur. C’est là une question de tactique mais elle révèle, selon la manière de négocier, plus que l’on croit.

L’ONU, quant à elle, a brillé par son absence. Il faut néanmoins souligner le travail remarquable d’une agence onusienne, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont le rôle a été déterminant pour préserver le nucléaire civil et éviter toute action sur les centrales nucléaires qui aurait pu avoir des conséquences incalculables. Or, il convient de le relever et même de le souligner car cela semble mal appréhendé en France – qui pourtant est une puissance nucléaire. « L’équilibre de la terreur », façonné au fil des décennies passées entre les États-Unis et l’URSS puis la Fédération de Russie, a fonctionné alors même qu’il est en pleine déliquescence.

En effet, le dialogue stratégique entre Washington et Moscou a été nourri par-dessus les têtes de l’Ukraine et de ses alliés pendant tout le conflit qu’il a, en fait, façonné en lui imposant un caractère asymétrique. Par exemple, lorsque les Ukrainiens ont frappé un radar de veille stratégique, l’administration Biden a immédiatement réagi en bridant la portée des missiles livrés à Kyiv, de même les Russes ont-ils préalablement informé Washington de l’utilisation de missiles stratégiques comme l’Oreshnik, enfin, après le coup d’éclat ukrainien sur les bombardiers stratégiques russes en Extrême-Orient, les Présidents américain et russe ont longuement échangé.

Cet équilibre stratégique est aujourd’hui à reconstruire. Américains et Russes vont s’y employer notamment pour intégrer ou brider la composante chinoise qui vient déséquilibrer la parité sur la base de laquelle était bâti l’équilibre de la terreur. Américains et Soviétiques s’étaient accordés sur un concept au nom barbare « la destruction mutuelle assurée » ou MAD en anglais. Il va désormais falloir intégrer ou brider, voire réduire, les nouveaux arrivants (Inde, Pakistan, Corée du Nord, Israël) et les prétendants comme l’Iran. L’Europe, la France, en particulier en qualité de puissance dotée, ne pourrait-elle pas prendre une initiative dans ce domaine pour justement veiller à ce que les puissances non dotées, comme l’Ukraine, reçoivent des garanties de sécurité nucléaires de la part de la communauté internationale. Ce serait peut-être une manière de tenter de sortir par le haut de cet imbroglio insoluble. Cela amène à s’interroger sur notre participation active ou non à ce dialogue qui finira par reprendre entre Moscou et Washington ou si, comme par le passé, nous préférons nous tenir à l’écart…

Conclusions provisoires

La ligne défendue par l’administration Trump, pour chaotique, immorale et brutale qu’elle puisse paraître, pourrait répondre à une vision stratégique cohérente. La solution du problème russo-ukrainien permettrait d’ouvrir des perspectives importantes à Washington, dont l’objectif pourrait être de participer à la reconstruction de l’Ukraine – considérée comme un marché captif – et de se lancer dans des investissements lucratifs en Russie avec, cependant, des perspectives stratégiques. Redresser la Russie suffisamment pour faire contrepoids à la Chine sans lui permettre toutefois de retrouver un niveau menaçant pour les États-Unis. Il s’agirait d’une tentative de découpler Moscou de Pékin en rééquilibrant le rapport de force entre les deux amis d’aujourd’hui et adversaires d’hier et de demain. Naturellement, Moscou est consciente de ce qui pourrait apparaître comme un jeu de dupes, mais pourrait, néanmoins, y trouver un intérêt tactique en revenant de plain-pied dans le concert des Nations, sachant qu’une fois les investissements réalisés elle serait susceptible de reprendre la main. C’est donc un espace ouvert que propose Donald Trump.

A contrario, l’approche européenne et française en particulier, dans sa présentation actuelle, induit un espace fermé dans la durée. On se concentre exclusivement sur la défense de nos principes dans le conflit russo-ukrainien, ce qui est tout à fait légitime et louable. La conséquence pourrait être l’érection d’un nouveau rideau de fer en Europe, mais doté d’un trou béant en faveur des États-Unis qui ne se priveront pas durablement de ne pas coopérer avec la Russie. Nos entreprises durablement pénalisées en étant privées d’un accès au marché alors même que leurs concurrents américains y investiraient. Le débat pourrait se résumer entre idéalisme et réalisme. Il est clair que la Russie ne reprendra langue avec l’Europe que si elle y trouve un intérêt. Il nous reste donc à rechercher des solutions, notamment par la diplomatie et non par une politique de communication à usage interne, qui offrent des perspectives intéressantes sans pour autant renier nos idéaux et nos valeurs, d’où l’intérêt peut-être de rechercher une sortie par le haut.

Il conviendrait sans doute de réfléchir en parallèle, dès à présent, à l’étape suivante sans méconnaître l’extrême gravité de la crise que pourrait traverser l’Ukraine en cas de solution totalement injuste du conflit. La société ukrainienne pourrait ne pas être à l’abri d’une crise majeure comme celle qu’a connue l’Allemagne au lendemain de l’armistice de 1918 avec une République de Weimar qui a conduit à la montée des extrêmes et, finalement, à la guerre. Au coup de poignard dans le dos pourrait s’ajouter un conflit générationnel entre les combattants, âgés, ayant servi pendant quatre ans sur le front, alors que les jeunes générations étaient autorisées à se rendre à l’étranger… C’est donc également à une possible crise morale et politique gravissime à laquelle il faut se préparer à faire face en Ukraine.

 

(1) Pernet Hugues, « Le conflit russo-ukrainien, proche d’un moment décisif ? », RDN, Tribune n° 1772, 21 novembre 2025 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1888).

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