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  • Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session
  • L’Europe spatiale de défense doit allumer ses boosters

L’Europe spatiale de défense doit allumer ses boosters

Marc Oria (d'), "L’Europe spatiale de défense doit allumer ses boosters " Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session

L’espace est au cœur des équilibres militaires, technologiques et géopolitiques mondiaux. Il est un lieu de confrontation indirecte de puissance tant sa maitrise procure un atout considérable en matière de défense et de sécurité. Acteur historique de premier rang dans ce domaine, l’Europe est confrontée aujourd’hui à une forte concurrence et un risque avéré de déclassement. Si elle veut pouvoir garder son statut de puissance spatiale, elle doit à présent se donner les moyens de son ambition et « allumer ses boosters » en matière d’investissements, de gouvernance des programmes, et de cohérence des politiques institutionnelles et industrielles pour une performance opérationnelle et économique accrue au niveau mondial.

L’Espace est devenu un champ de bataille. Incontestablement. Parce que maîtriser l’Espace permet aujourd’hui de disposer d’un avantage décisif dans la collecte de renseignement, les télécommunications, le positionnement et la gestion des crises. Parce qu’il est un domaine stratégique de souveraineté, d’influence géopolitique et donc de confrontation en matière de sécurité et de défense. Les grandes puissances l’ont bien compris : les États-Unis et la Chine, mais aussi d’autres acteurs émergents, investissent massivement dans des programmes civils et militaires de plus en plus intégrés, illustrant la transformation rapide de l’Espace en un champ de conflictualité stratégique.

Dans ce contexte, l’Europe semble à la croisée des chemins. Elle est historiquement une puissance spatiale de premier plan. Pionnière dans plusieurs domaines, elle a su construire au fil des décennies une capacité spatiale solide, portée par quelques États engagés très tôt dans le domaine comme la France, et par une coopération institutionnelle fiable. Pourtant, l’accélération actuelle du secteur spatial mondial fait peser une pression inédite sur le modèle européen. Révolution du New Space, multiplication des acteurs, investissements en forte croissance, progrès technologiques de rupture : autant de paramètres qui témoignent d’une profonde mutation au sein d’un milieu qui fait l’objet aujourd’hui de compétition et de confrontation, voire d’affrontements potentiels.

Dans ce nouveau paysage, l’Europe semble ne pas avoir pris le virage des nouveaux enjeux spatiaux suffisamment tôt. Son risque de déclassement, notamment dans le spatial de défense, est avéré. Si elle veut garantir une autonomie et une liberté d’action dans un domaine aujourd’hui décisif pour la défense et la sécurité, l’Europe doit « allumer ses boosters » en se fondant sur un capital technologique, industriel et institutionnel solide et adapter sa stratégie de développement du secteur spatial de défense pour relever les défis stratégiques majeurs.

Le bouleversement économique du secteur spatial

Depuis le début des années 2010, le secteur spatial connaît une transformation d’une ampleur majeure, portée par l’émergence du New Space et des progrès technologiques structurants. Cette nouvelle dynamique est caractérisée par l’entrée importante d’acteurs privés, ayant permis d’ouvrir un nouveau champ de possibilités capacitaires et industrielles : standardisation des composants, miniaturisation des satellites, cycles de développement raccourcis et production en série apparaissent dans un secteur où la réalisation de gros systèmes sur mesure, long et coûteux à développer, et fortement dépendants de la commande publique, était la norme exclusive il y a encore quelques années. Contrairement au modèle historique dominé par les agences étatiques ou multilatérales comme la National Air and Space Agency (NASA) américaine ou l’European Space Agency (ESA), le New Space promeut une approche entrepreneuriale, agile et ouverte au capital-risque, permettant notamment de proposer sur le marché des nouveaux types de satellites faciles à concevoir, au coût plus modeste, rapides à déployer. Cette évolution ouvre l’accès à l’Espace à de nouveaux acteurs étatiques ou non étatiques, tout en nivelant certaines capacités technologiques autrefois réservées à quelques puissances de haut rang dans le secteur.

Cette rupture a été amorcée principalement aux États-Unis, avec des entreprises comme SpaceX, Planet Labs, OneWeb ou encore Rocket Lab. Avec un coût d’accès à l’orbite basse réduit de plus de 40 % (1), un nombre de tirs annuels inédits pour un acteur public comme privé (2), et sa constellation fortement distribuée de petits satellites de communication Starlink assurant une couverture mondiale et une agilité accrue, SpaceX a redéfini certains standards industriels du secteur et a bouleversé les équilibres économiques du spatial mondial. Cette logique de réduction des coûts et de massification des constellations permet une plus grande flexibilité stratégique, tout en favorisant la résilience par la redondance et la dispersion orbitale. Dans la continuité du pionnier américain, des acteurs étatiques et privés ont décidé d’emboîter le pas, en particulier en Chine et en Inde.

Toutefois, le New Space n’est pas apparu comme par magie. Si les États-Unis en sont les principaux bénéficiaires, c’est aussi grâce à un fort soutien public initial (22,6 milliards de dollars sur deux décennies (3)) via des contrats institutionnels stratégiques de la NASA, du Pentagone ou de l’Agence [américaine] pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA), permettant par exemple à SpaceX d’assumer la prise de risque tout en bénéficiant d’une sécurité financière solide. De fait, l’émergence de ce nouveau standard reste très dépendante d’une mise de fonds publique pour lancer durablement la dynamique économique. Par ailleurs, si les constellations de petits satellites permettent aujourd’hui une réactivité, une agilité et une résilience accrue (la perte de quelques satellites ne remettant pas en cause les capacités du système global), elles ne peuvent remplacer les satellites « traditionnels » plus lourds et plus coûteux, aux performances bien plus élevées et répondant à des besoins spécifiques notamment dans le secteur de défense et de sécurité.

Enfin, cette dynamique du New Space comporte aussi des risques structurels importants qu’il ne faut pas ignorer : risque de saturation de l’orbite basse et de dépendance à des acteurs privés, asymétries d’accès à certaines ressources comme les fréquences de communication entre satellites et stations sol, ou les trajectoires préférentielles, déni d’accès possible (4). Elle oblige les puissances spatiales, dont l’Europe, à repenser leurs modèles économiques, stratégiques et industriels.

Un milieu aux enjeux stratégiques majeurs

Le spatial est désormais au cœur des équilibres militaires, technologiques et géopolitiques mondiaux. Ce changement de statut s’observe dans la militarisation (5) croissante de l’Espace, la multiplication des menaces sur les infrastructures orbitales comme sur les segments sol, la compétition intense pour l’occupation de certaines orbites et la nécessité, pour chaque puissance d’assurer la résilience de ses capacités spatiales. Ce milieu convoité, aujourd’hui contesté, se révèle être un lieu de confrontation indirecte de puissance au sein duquel la conflictualité est réelle, tant sa maîtrise procure aujourd’hui un atout et un avantage considérables en matière de défense et de sécurité. Ainsi l’Otan a reconnu officiellement l’Espace comme un « milieu opérationnel à part entière », au même titre que la terre, la mer, l’air et le cyberespace (6).

L’exemple de la guerre en Ukraine illustre parfaitement cette nouvelle réalité et le facteur multiplicateur de force que revêtent les capacités spatiales. L’utilisation massive de moyens spatiaux civils et militaires pour les opérations a marqué une rupture dans la conduite des conflits. Les images commerciales (de Maxar Technologie par exemple) et les communications satellitaires via Starlink ont permis aux forces ukrainiennes de disposer d’un avantage opérationnel significatif, contribuant à rendre les champs de bataille davantage transparents et interconnectés (7). Ces outils ont notamment facilité la conduite de frappes de drones et la synchronisation entre unités mobiles.

Les menaces qui pèsent sur les infrastructures spatiales sont nombreuses et de plus en plus sophistiquées. Les capacités antisatellites (ASAT) depuis le sol sont désormais maîtrisées par plusieurs pays dont la Chine, la Russie et l’Inde (8). Moins visibles, des agressions « sous le seuil » émergent : cyberattaques, brouillages intentionnels, tentatives d’espionnage via des satellites de proximité, utilisation potentielle d’armes à énergie dirigée. Des satellites « butineurs » à l’instar du russe Luch-Olymp (9) ou « nettoyeurs de débris » comme le récent SJ-21 chinois, démontrent un savoir-faire technologique de rapprochement et de désorbitation contrôlée d’objet spatiaux. De là à utiliser cette capacité de mobilité discrète pour écarter un objet indésirable d’une position orbitale, il n’y a qu’un pas… Cette discrétion d’opération dans l’Espace, complexe aujourd’hui à détecter comme à identifier et qualifier, rend l’attribution des attaques potentielles difficile, limitant de facto la capacité de dissuasion ou d’entrave.

Enfin, ces évolutions renforcent les besoins de résilience et de réactivité. Les systèmes spatiaux doivent désormais être conçus pour résister aux agressions, se reconfigurer rapidement, ou être redéployés à grande vitesse. L’agilité, tant techno-
logique qu’opérationnelle, devient une exigence stratégique. Elle suppose une capacité à renforcer ou « réparer » une constellation en cas de déni d’accès, à maintenir la continuité des services critiques (navigation, observation, télécommunication) et à disposer d’un réseau autonome de détection des risques et des menaces spatiales. Ce besoin est d’autant plus prégnant que la multiplication à venir de constellation de nombreux satellites en orbite basse fait courir des risques accrus de collisions. Pour les puissances spatiales, il ne s’agit plus seulement de placer des satellites en orbite, mais de garantir leur résilience et la continuité de service dans un environnement de plus en plus dense et désormais contesté.

Des concurrents investissant massivement dans le spatial de défense

De ce fait, la réaction des États est quasi globale : de plus en plus de pays concurrents de l’Europe augmentent le budget consacré au domaine spatial, et notamment de défense.

La Chine est l’acteur le plus marquant de cette nouvelle donne. Elle s’approche des 70 lancements par an et développe des constellations souveraines (Beidou, de 30 satellites pour le positionnement, bientôt Guowang [« réseau national »] avec 13 000 satellites de communications dont les premiers ont été lancés fin 2024). Elle a mis en orbite une station spatiale habitée (Tiangong, « Palais céleste »), et démontre des capacités d’action dans l’Espace. Sa stratégie spatiale, centralisée et intégrée, vise à assurer une autonomie totale dans tous les segments. Le budget spatial chinois pour 2024 avoisinerait les 20 Mds $ (10), soit le 2e mondial, et aurait plus que doublé en 10 ans. La Chine aurait envoyé plus de 700 satellites en orbite dont environ 250 à usage militaire (11).

Les États-Unis, pour leur part, conservent leur leadership, soutenu par des efforts budgétaires conséquents – près de 80 Mds $ en 2024 (12) (soit près de 60 % des dépenses spatiales mondiales) – afin de maintenir une avance technologique et une suprématie en matière de défense (environ 250 satellites militaires en orbite). Sa Defense Space Strategy, publiée en 2020 (13), fait clairement apparaître l’objectif de garantie de supériorité spatiale face à des menaces croissantes, et de développer par conséquent un avantage militaire global dans l’Espace. Créée en 2019, la US Space Force, 6e branche de ses forces armées, met en œuvre des capacités de haut niveau et affiche ses priorités, soutenues par un budget de 30 Mds $ en 2024 (14) : la surveillance de l’Espace, la détection de missiles et la guerre orbitale (15). Par ailleurs, la collaboration public-privé est au cœur de leur stratégie : SpaceX, Blue Origin ou encore Sierra Space participent à la construction d’un écosystème capable de déployer rapidement des constellations massives à usage civil et militaire (16).

La Russie, bien que frappée par les sanctions économiques et les difficultés industrielles, conserve une posture militaire affirmée dans l’Espace. Son budget, plus restreint, qui se situerait entre 2,5 et 3 Mds $ en 2024, soutient un programme spatial fédéral couvrant la période 2016-2025 qui inclut des objectifs liés à la défense, tels que le développement de systèmes de surveillance de l’Espace et de télécommunications. Elle maintient surtout des capacités de guerre électronique spatiale, développe des satellites-inspecteurs et teste régulièrement des armes antisatellites, laissant à penser qu’elle s’oriente plutôt vers une stratégie du faible au fort.

L’Inde, acteur ayant une expérience solide dans le domaine spatial avec un budget d’environ 1,6 Md $ sur l’année courante 2025-2026 (17), possède aujourd’hui des systèmes spatiaux militaires dans le domaine de l’observation, des communications et de la navigation. Ayant créé une Defence Space Agency (DSA) au sein des forces armées indiennes, le pays projette de lancer une constellation de 52 satellites d’ici 2 à 3 ans dans le domaine de l’observation.

Acteur en pleine montée en puissance, le Japon intègre l’Espace au premier plan de sa National Security Strategy publiée en 2022 (18) et renforce ses capacités militaires en consentant ces dernières années un effort budgétaire inédit (environ 5,8 Mds d’euros en 2025 (19)) pour financer notamment des capacités d’observation et d’alerte avancée.

D’autres pays comme la Corée du Sud, Israël, l’Iran ou le Brésil, identifient également l’Espace comme secteur stratégique, avec des ambitions de surveillance régionale.

Une Europe progressivement en ordre de marche

Dans ce contexte hyperconcurrentiel, l’Europe est confrontée à une compétition à la fois technologique, économique, militaire et diplomatique, dont l’ampleur a considérablement augmenté ces dernières années. Historiquement, elle fait incontestablement partie du trio de tête des puissances spatiales, aux côtés des États-Unis et de la Russie. Structurée autour de quatre piliers que sont l’Agence spatiale européenne (ESA), les agences nationales des États, l’Union européenne (UE), et une industrie spatiale solide (20), l’Europe a lancé des programmes phares, à commencer par l’emblématique lanceur Ariane permettant d’obtenir un accès autonome à l’Espace dès les années 1970 depuis le Centre spatial guyanais (CSG) de Kourou. Dès lors, les agences nationales ont conçu et mis en œuvre des systèmes spatiaux militaires et de défense, développés en propre ou en coopération, dans les domaines de l’observation (21), les communications sécurisées (22), la surveillance de l’Espace (23), l’écoute électromagnétique (24), totalisant une vingtaine de satellites militaires ou duaux aujourd’hui. Pour les systèmes plus onéreux, l’UE a pris le relais, avec une maîtrise d’œuvre ESA (25), pour conduire des programmes d’envergure : Galileo, système dual de navigation par satellites avec un haut niveau de précision ; Copernicus, système d’observation fournissant des données critiques en matière de surveillance environnementale, de sécurité maritime et de gestion des catastrophes. Enfin, l’excellence européenne a également été démontrée par la conception de grands programmes complexes scientifiques ou d’exploration (ExoMars (26), JUICE (27)) portés par l’ESA. Fort de cette assise historique solide, l’Europe a réagi ces dernières années pour faire face aux nouveaux enjeux stratégiques portés par le domaine spatial.

La France a été une nouvelle fois pionnière en publiant sa Stratégie spatiale de défense (28) en 2019 et en créant dans la foulée le Commandement de l’Espace (CDE) sous la tutelle du Chef d’état-major d’une armée devenue de l’Air et de l’Espace. Elle ambitionne de renforcer les capacités spatiales militaires dont celles contribuant à la veille spatiale, de faire évoluer le cadre juridique notamment en cas de réponse à une agression dans l’Espace, et de consolider les coopérations internationales. Le programme Yoda (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile) de deux petits satellites patrouilleurs situés en orbite géostationnaire pour la surveillance et la protection des satellites
stratégiques, incarne l’ambition française dans le domaine de la résilience orbitale. De même, le futur petit satellite expérimental Toutatis (Test en orbite d’utilisation de techniques d’action contre les tentatives d’ingérences spatiales) permettra de tester des technologies de détection et d’interception de menaces spatiales en orbite basse. Une stratégie nationale spatiale est également en cours d’élaboration avec une publication prévue en 2025 (29).

L’Allemagne, pour sa part, a créé en 2021 un commandement militaire de l’Espace (Weltraumkommando) dans le but de concevoir et conduire des opérations spatiales, et met en priorité le renforcement de ses capacités d’observation avec le
programme SARah (30) et de surveillance spatiale avec son centre équipé de radar notamment (31). La stratégie spatiale nationale de 2023 (32) de l’Allemagne insiste
également sur les notions de souveraineté dans le domaine, et la coordination avec les programmes européens.

L’Italie, l’Espagne et les pays nordiques renforcent également leurs capacités. Les deux premiers ont créé leur commandement militaire propre (respectivement Comando delle Operazioni Spaziali en 2020 et Mando del Espacio en 2024), et prévoient le remplacement de satellites d’imagerie radar duaux pour le premier (COSMO-SkyMed de 2nde génération) et la réalisation d’une constellation de communications militaires sécurisées pour le second (Spainsat NG). Par ailleurs, la Suède a publié sa première stratégie de défense spatiale en 2024 (33).

Le Royaume-Uni, pour sa part, a accéléré sa politique spatiale de défense depuis le Brexit avec la création du UK Space Command, rattaché lui aussi à son armée de l’air, et la publication de sa stratégie de défense spatiale en 2022 (34). Londres, bien que dépendant assez significativement de moyens américains, exploite notamment le réseau Skynet pour ses télécommunications militaires et développe le programme Minerva de microsatellites à des fins de renseignement.

Au niveau supranational, l’adoption le 10 mars 2023 d’une stratégie spatiale de l’UE pour la sécurité et la défense (35) marque une inflexion doctrinale importante. Elle reconnaît l’Espace comme un domaine critique de puissance et de sécurité,
nécessitant des efforts conjoints au niveau européen. La nomination d’un commissaire européen chargé à la fois de la Défense et de l’Espace incarne cette volonté forte de porter l’Espace à un haut niveau stratégique pour la sécurité du continent. Les ambitions incluent l’indépendance d’accès à l’Espace, le soutien de la recherche et du développement au sein des entreprises européennes de toute taille, et l’incitation à l’achat européen (36). Dans le domaine d’accès à l’Espace, la récente mise en service d’Ariane 6 (37), et le succès tant attendu de Vega-C (38) comme lanceur intermédiaire, permettent de retrouver une capacité opérationnelle après plusieurs mois de rupture. Concernant les systèmes spatiaux, le lancement en 2022 du programme IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite) constitue une étape majeure vers une souveraineté européenne en matière de communications satellitaires sécurisées et résilientes pour les usages civils et gouvernementaux : il prévoit la mise en orbite d’une constellation de 300 satellites d’ici la fin de la décennie. S’ajoute le programme EUSST (European Union Space Surveillance and Tracking) permettant d’obtenir une capacité européenne de surveillance de l’Espace avec la participation de quinze États-membres (dont la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne) mettant en réseau leurs actifs nationaux dans le domaine (39). La stratégie promeut également la coopération entre l’UE et l’Otan, l’organisation atlantique ayant un programme de surveillance de l’Espace bénéficiant de données américaines conséquentes.

En dehors de ses géants industriels historiques dont ArianeGroup, Airbus Defense and Space, Thales Alenia Space et OHB, un tissu dynamique de Petites et moyennes entreprises ou de taille intermédiaire (PME/ETI) et de start-up participent activement à l’émergence d’un New Space européen. Ainsi, les Français Unseenlabs, Aldoria, Latitude et MaiaSpace conçoivent des systèmes respectivement pour la
surveillance maritime (constellation de nano-satellites), la surveillance de l’Espace et les petits lanceurs ; les Allemands Isar Aerospace et Rocket Factory développent des microlanceurs comme le Britannique Skyrora ou l’Espagnol PLD Space.

Par ailleurs, l’Europe augmente son budget dédié au secteur spatial. L’UE consacre en moyenne un peu plus de 2 Mds € par an à son programme. Pour les agences nationales et pour l’année 2024, la France a dépensé 3 Mds € (dont 1,05 Md pour l’ESA), l’Allemagne 2,45 Mds € (1,17 Md pour l’ESA), l’Italie 2,3 Mds € (881 millions € pour l’ESA), le Royaume-Uni 1,3 Md € (449 M € pour l’ESA) (40). Le budget de l’ESA a quasiment doublé en 10 ans (7,79 Mds € en 2024), celui de la France a augmenté d’environ 30 %, celui de l’Allemagne de 45 %, celui de l’Italie a quasiment quadruplé. Globalement, le cumul de l’ensemble des budgets consacrés à l’Espace sur le continent s’élève à 12 Mds € environ en 2024. L’Europe reste donc dans le top trois mondial avec une dynamique croissante, même si l’écart est significatif et se creuse d’années en années avec le géant américain et plus récemment la Chine.

Une Europe devant accélérer davantage

L’Europe se trouve aujourd’hui à un tournant décisif. Face à des compétiteurs historiques et nouveaux qui investissent massivement, elle se doit de réagir rapidement et stratégiquement pour éviter un déclassement, voire une perte d’autonomie, et consolider sinon retrouver une puissance dans ce domaine. Cette mobilisation implique une action coordonnée sur plusieurs axes fondamentaux, tous interdépendants, dont l’enjeu est la souveraineté technologique, l’autonomie d’accès à l’Espace, et la sécurité de ses infrastructures. C’est l’ambition présente à la fois dans la stratégie 2040 de l’ESA (41), la stratégie spatiale de l’UE de 2023 pour la sécurité et la défense, et dans les politiques spatiales des principales puissances européennes. Il s’agit maintenant de concrétiser dans la durée les objectifs annoncés en allant encore plus loin, dans la continuité des dynamiques déjà lancées dans tous les domaines inhérents aux activités spatiales de défense.

Une mise en cohérence nécessaire des politiques spatiales du continent

Si l’UE a adopté une stratégie spatiale en matière de défense et de sécurité, l’Europe ne dispose pas d’une doctrine spatiale de défense commune. Le manque de coordination stratégique se double par ailleurs d’une volonté des États-membres de préserver leur souveraineté nationale. Chaque pays tend à conserver ses propres infrastructures quitte à créer des redondances, et poursuit ses propres programmes de défense faisant l’objet, au mieux, d’une coopération bilatérale ou multilatérale. À titre d’exemple, si le partage des capacités d’observation par satellite a été la base de la coopération entre la France, l’Allemagne et l’Italie jusqu’à aujourd’hui (42), ces deux derniers pays ont récemment affiché une volonté d’indépendance dans le domaine en annonçant le développement de constellations d’observation optique. Cette posture est contre-productive tant que le marché reste contraint en volume : elle empêche l’émergence de programmes européens intégrés ou de complémentarité capacitaire, dilue de facto les budgets globaux, et rend l’industrie moins visible et moins attractive pour les investisseurs privés. Cette fragmentation empêche la constitution de capacités mutualisées et limite la masse critique nécessaire à l’échelle continentale.

Rendre compétitif l’accès à l’Espace pour rester souverain

L’autonomie d’accès à l’Espace constitue le socle de toute stratégie spatiale souveraine. L’arrêt d’Ariane 5, les retards d’Ariane 6, l’interruption de la coopération avec la Russie sur les lancements Soyouz suite à la guerre en Ukraine, et l’arrêt temporaire des lancements Vega-C suite à un échec au lancement en décembre 2022, ont mis l’Europe dans une position délicate. Plusieurs missions clés comme Galileo ou Copernicus ont dû être repoussées ou réorientées vers des lanceurs américains. Même si Ariane 6 et Vega-C sont aujourd’hui opérationnels, la société Arianespace qui assure la commercialisation des tirs, a perdu son leadership face à la cadence de lancements et à la
compétitivité tarifaire d’un SpaceX. Si à court terme le lanceur Ariane 6 confirme sans nul doute sa fiabilité, il devra assurément prouver sa viabilité commerciale (de même que Vega-C), facteur décisif pour sécuriser les futures missions institutionnelles et développer les perspectives commerciales. Il s’agit également, en parallèle, de promouvoir activement les projets de microlanceurs européens portés en partie par les entreprises nouvelles, tout en gardant à l’esprit que le marché ne pourra pas soutenir un nombre conséquent d’acteurs dans ce domaine : en phase d’industrialisation, des choix rationnels devront probablement être pris afin d’assurer, là aussi, une viabilité commerciale à moyen terme. Par ailleurs, l’investissement dans les technologies de réutilisation, à l’image de Prometheus (43), Themis (44) et Callisto (45), apparaît comme une priorité. À moyen terme, le développement de lanceurs partiellement ou totalement réutilisables est indispensable pour rester compétitif face aux nouveaux standards du marché mondial, notamment ceux liés au développement rapide des constellations de satellites en orbite basse.

Dans le même cadre, la pérennisation du CSG en tant que pilier de la politique spatiale européenne, est également une priorité stratégique. Pour y parvenir, en sus des lanceurs Ariane et Vega-C actuels, il est nécessaire d’ouvrir ce site à des projets innovants et à des opérateurs privés, dans une logique de mutualisation des coûts et de stimulation de la demande. Par ailleurs, la multiplication de plateformes de lancement secondaires, comme celles d’Andoya en Norvège, Esrange en Suède ou potentiellement d’El Hierro aux Canaries, constitue une opportunité précieuse pour renforcer la résilience du système européen de mise en orbite, mais ne doit pas aboutir à une concurrence intra-européenne délétère : la recherche de cohérence est donc primordiale dans le domaine, en sécurisant les atouts qui contribuent directement à la souveraineté du continent.

Une gouvernance pour favoriser la performance opérationnelle et économique

Comme le précise le rapport Draghi (46) de septembre 2024, l’un des principaux freins à la mise en place d’une dynamique réactive au sein de l’Europe dans le domaine spatial est celui de sa gouvernance qui reste fragmentée. Trois types d’acteurs existent aujourd’hui : l’UE qui lance des programmes sur ses fonds au profit de l’ensemble des pays de l’Union ; l’ESA qui concentre l’expertise scientifique, conduit des programmes en propre et assure la maîtrise d’œuvre de ceux de l’UE ; et les États eux-mêmes qui développent leurs propres capacités, seuls ou en coopération. Même si l’article 189 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (47) formalise cette répartition, il ne peut garantir une coordination optimale et efficace, chaque entité agissant selon ses propres priorités, compliquant ainsi la définition d’une vision commune de la puissance spatiale européenne. Cette multiplicité d’acteurs (48) entraîne des chevauchements de compétences, une certaine dilution des responsabilités, voire des tensions entre intérêts civils et militaires. Le programme Galileo a ainsi pris un retard substantiel en raison de désaccords institutionnels.

Pour y remédier, il s’agirait d’assurer une coordination et une cohérence globale des rôles et périmètres de l’ensemble des acteurs, en particulier dans le domaine des programmes, de manière à optimiser les efforts pour un effet global davantage porteur de puissance. À cette fin, les responsabilités relatives de l’UE et de l’ESA pourraient être aménagées suivant une forme de verticalité plus marquée. L’UE pourrait ainsi prendre une responsabilité politique et stratégique accrue du secteur spatial pour l’Europe, notamment de défense, et pour l’expression de besoins capacitaires ; l’ESA continuerait alors dans son domaine d’expertise à savoir la maîtrise d’œuvre de programmes spatiaux et les travaux de recherche et développement au profit de l’UE (49). L’Union pourrait également œuvrer en faveur d’une mise en cohérence des politiques spatiales nationales entre elles et avec une feuille de route européenne, et rechercher une synergie accrue entre les besoins civils et militaires afin d’opter pour des usages davantage duaux réduisant les coûts. L’organisation adoptée pour le projet IRIS² peut en ce sens servir de référence : issue d’une initiative de l’UE, la Commission européenne en est le maître d’ouvrage et l’ESA le maître d’œuvre technique, le programme étant réalisé par un consortium industriel avec de nombreux acteurs européens. Cette dynamique pourrait aussi prendre forme à des échelles plus réduites : le DIU américain, créé en 2015 (50), pourrait inspirer une initiative européenne adaptée.

Par ailleurs, comme annoncé dans la stratégie spatiale de l’UE, l’Europe ambitionne d’écrire une loi spatiale européenne pour harmoniser les règles entre États-membres et créer un véritable marché unique européen dans le domaine spatial (51), en favorisant les investissements privés et facilitant l’accès au marché aux start-up et aux PME. Cette loi vise également à renforcer la souveraineté technologique de l’Union, en capitalisant sur le programme Horizon Europe (52) et le Fonds européen de défense (FED) qui seront utilisés pour développer des technologies critiques dans le domaine spatial. Cette initiative doit pouvoir se concrétiser rapidement.

Enfin, la règle du retour géographique de l’ESA (53), garantissant à chaque État-membre une part équitable de contrats industriels en fonction des investissements consentis dans les programmes (54), génère une grande complexité sur la conduite des projets et l’organisation industrielle, et augmente les coûts. Si cette règle a permis à
certains États de pouvoir investir dans le domaine spatial avec des investissements mesurés, elle ne permet pas de promouvoir suffisamment les acteurs industriels les plus performants, ce qui peut contribuer à affaiblir les grands acteurs historiques du secteur (allemands, italiens et français). Des aménagements à cette règle permettraient de rendre les programmes spatiaux européens plus compétitifs, notamment dans le domaine des lanceurs au sein duquel de nombreux projets sont en cours et la concurrence rude (55).

Pour une industrie plus agile et plus compétitive

Cette fragmentation se reflète également dans les politiques industrielles. Plutôt que de converger, les États développent leurs propres écosystèmes, parfois en concurrence. La France mise sur Airbus Defence and Space (groupe européen dont la compétence spatiale est majoritairement en France), Thales Alenia Space (joint-venture entre le Français Thales et l’Italien Leonardo, dont la compétence satellitaire est essentiellement en France également) et ArianeGroup (groupe franco-allemand) ; l’Italie promeut Avio (développeur national du lanceur Vega) ; l’Allemagne soutient son champion OHB. Ceci est d’autant plus critique que la perte de compétitivité de
l’industrie spatiale européenne est un fait avéré, conséquence notamment de l’émergence du New Space américain et du déclin de la télévision par satellite. La compétition est encore plus rude dans la course aux microlanceurs : PLD Space espagnol, Isar Aerospace/Rocket Factory Augsburg/HyImpulse allemands, Orbex/Skyrora britanniques, Latitude/MaiaSpace français… Plus de 40 fournisseurs de petites plateformes satellitaires et une douzaine de prétendants à la fabrication de fusées coexistent en Europe, sous-tendus par des dynamiques avant tout nationales, sans logique d’agrégation, ni effet d’échelle suffisant. L’efficacité industrielle en est freinée, d’autant que le marché reste très majoritairement financé par la commande publique, et dont la taille est trop réduite pour assurer une viabilité à long terme (contrairement aux marchés internes des États-Unis et de la Chine).

Dans cette optique, la mise en place d’une stratégie industrielle cohérente entre grands donneurs d’ordre, PME et start-up est essentielle. De surcroît, il est indispensable de rationaliser les efforts industriels, de flécher les commandes publiques vers des acteurs européens, et de favoriser la viabilité des acteurs industriels dont le nombre, le périmètre et l’envergure doivent être en cohérence avec le marché. Le White Paper for European Defence (56) de 2025 de la Commission européenne fait notamment part d’une volonté de mieux soutenir l’industrie européenne de défense en systématisant davantage l’agrégation des besoins des États-membres et en construisant un véritable marché européen pour la défense. Cette stratégie doit aussi prendre en compte la diversité croissante des besoins opérationnels, allant des satellites de plusieurs tonnes aux nano-satellites légers, en passant par les missions orbitales à caractère scientifique, militaire ou commercial. Elle doit favoriser la conception et la mise en œuvre de capacités spatiales davantage fondée sur des constellations de petits satellites, permettant une résilience et une agilité accrues aujourd’hui nécessaires pour faire face aux enjeux de conflictualité.

L’agilité industrielle est un autre facteur clé qui doit être davantage et rapidement recherché. L’Europe doit accélérer l’innovation, raccourcir les cycles de développement et renforcer les liens entre les grands industriels et les start-up. L’idée de la création d’une agence européenne d’innovation de rupture, à l’image de la DARPA américaine, a déjà été évoquée à plusieurs reprises (57), et pourrait être une option pertinente pour répondre à cet enjeu d’agilité notamment dans le domaine spatial. Elle pourrait également aider à la reconquête d’une véritable souveraineté technologique, de nombreux composants critiques utilisés dans les satellites européens étant encore aujourd’hui importés. La relocalisation de la production de microprocesseurs spatiaux, le développement de logiciels embarqués robustes et propriétaires, ainsi que la maîtrise des capteurs optiques et des systèmes de propulsion doivent être placés au cœur des politiques industrielles.

Des investissements à consentir en cohérence avec les ambitions

Le secteur spatial européen subit un sous-investissement financier, notamment public (58), au regard des ambitions affichées, ce qui limite la capacité d’innovation, ralentit les programmes majeurs et freine l’émergence d’un écosystème compétitif. En particulier, le financement privé est faible pour le secteur spatial où le marché de défense reste trop restreint. De ce point de vue, les start-up éprouvent des difficultés pour passer à l’échelle et pour assurer leur pérennité faute de contrats commerciaux en nombre suffisant : alors que les États-Unis dominent les levées de fonds avec 12 Mds $ d’investissements privés en 2023 (59) (+30 % par rapport à 2022), les jeunes pousses européennes lèvent « seulement » 942 M € (60).

Il est impératif d’augmenter de manière significative cet effort, au profit de la réalisation de capacités comme au profit de l’innovation de rupture vers les ETI, PME et start-up, pour déboucher in fine sur des programmes ambitieux et garantir la souveraineté européenne. Conformément au plan Rearm Europe/Readiness 2030 de l’UE, l’Europe doit s’engager à doubler ses investissements spatiaux d’ici 2030 pour atteindre 30 Mds € par an.

Pour ce faire, il est indispensable de pouvoir coordonner l’ensemble des leviers financiers accessibles, comme l’EUDIS (EU Defence Innovation Scheme) (61) qui permet de stimuler l’innovation dans le secteur de la défense au profit des PME, start-up et acteurs non traditionnels, et l’EDIS (European Defence Industrial Strategy) visant à renforcer la Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), et améliorer sa réactivité. Par ailleurs, le NATO Innovation Fund (1 Md €) peut soutenir des start-up européennes développant des technologies spatiales avancées.

Vers des capacités spatiales plus résilientes et plus agiles

La sécurité des infrastructures spatiales devient impérative dans un contexte de prolifération des menaces. À ce titre, il s’agit de parvenir à une connaissance fiable de la situation spatiale, la protection physique des systèmes spatiaux et la capacité de riposte notamment en orbite. Pour le premier, l’Europe doit renforcer ses capacités de surveillance de l’Espace, en soutenant et en élargissant le programme EUSST, afin d’acquérir une autonomie accrue dans le domaine (tout en respectant la souveraineté des États) et réduire la dépendance aux données américaines. Des moyens supplémentaires doivent être alloués au développement de radars au sol, de télescopes orbitaux et de satellites patrouilleurs. Pour le deuxième, il est indispensable de poursuivre l’accroissement de la résilience des systèmes spatiaux, dans l’Espace comme au sol, par le renforcement de la protection passive (physique et électromagnétique) ou par la redondance importante des moyens (constellation d’un nombre significatif de satellites en orbite). Pour le troisième, le développement de capacités d’action dans l’Espace doit se poursuivre, capitalisant sur les démonstrateurs en cours de développement.

Par ailleurs, la résilience et l’agilité passent aussi par la diversification des capacités spatiales, qui doit rester un axe de développement fort, et par les partenariats. L’équilibre entre satellites hautement qualifiés et constellations distribuées est à trouver. Le développement de plateformes modulaires, capables d’être lancées rapidement par microlanceurs pour remplacer des actifs critiques en cas de crise, est à poursuivre. Afin de compléter ses capacités ou enrichir ses données, l’Europe doit également
renforcer ses alliances stratégiques avec le Japon, le Canada, l’Inde ou l’Australie, comme avec l’Otan (notamment dans le domaine de la surveillance de l’Espace).

Enfin, si le droit spatial international actuel, basé sur le Traité de l’Espace de 1967 (62), interdit les armes de destruction massive ou les bases militaires dans l’Espace, il reste flou sur les opérations hybrides telles que le brouillage, la cyberattaque ou l’espionnage orbital. Des puissances comme la Chine, les États-Unis ou la Russie ont adopté une posture pragmatique, testant régulièrement des capacités de déni d’accès orbital. L’Europe, en revanche, conserve une approche légaliste et défensive, sans moyens offensifs ou dissuasifs adaptés à ces menaces, qui impose donc aujourd’hui d’investir massivement dans des moyens suffisamment décourageants face aux agressions potentielles.

Le bon moment pour « allumer les boosters »

Pour redevenir un acteur influent, capable de garantir sa souveraineté stratégique dans l’Espace, et faire peser un facteur de puissance dans ce milieu, l’Europe dispose encore d’atouts structurants : une base industrielle solide, une expertise reconnue, une tradition d’excellence scientifique et des États engagés. Si l’Europe a clairement pris conscience de son retard, elle reste confrontée à de nombreux défis. Les programmes existants comme Galileo, Copernicus et bientôt IRIS² posent les fondations d’une souveraineté stratégique partagée. Néanmoins, sans accélération coordonnée des investissements, une simplification de la gouvernance et une mutualisation réelle des moyens de défense, l’Europe risque de consolider des succès ponctuels sans parvenir à établir une puissance spatiale souveraine, résiliente et durable.

La France, pionnière européenne dans le domaine spatial, doit continuer à jouer un rôle moteur pour impulser une dynamique collective à l’échelle continentale et tirer avantage de ses atouts majeurs : un leadership technologique fondé sur des infrastructures solides et des entreprises historiques majeures et expertes ; une capacité d’innovation dynamique, portée par un écosystème en croissance ; et une stratégie de défense spatiale ambitieuse.

Le moment est donc crucial. L’Europe peut encore transformer un risque de déclassement en une opportunité historique. Pour cela, elle doit se donner les moyens de ses ambitions pour bâtir une véritable Europe spatiale de Défense. Comme le rappelait le président de la République Emmanuel Macron dans son discours du 16 février 2022 à Toulouse sur la stratégie spatiale européenne : « Il nous faut assumer de soutenir massivement nos grandes universités, nos grands organismes de recherche, de poursuivre des grands programmes avec nos industriels historiques et de nouveaux acteurs, et de bâtir cette stratégie spatiale européenne clef pour notre souveraineté. (63) »

(1) Gallois Dominique, « La fusée Ariane 6 en piste pour son premier lancement », Le Monde, 8 juillet 2024.

(2) 138 lancements en 2024. Alcantarilla Romera Alejandro, « SpaceX Achieves Record-Breaking 2024, Looks Ahead to 2025 », NASA Space Flight, 3 janvier 2025 (https://www.nasaspaceflight.com/2025/01/spacex-roundup-2024/).

(3) Leparmentier Arnaud, « L’empire d’Elon Musk a bénéficié de 38 milliards de dollars de contrats et d’aides publiques », Le Monde, 26 février 2025.

(4) Les Ukrainiens se sont vu couper l’accès à Starlink (Internet par satellite) et Maxar (imagerie satellitaire) de manière temporaire en mars 2025 sur ordre de l’administration Trump.

(5) Ensemble des activités visant à utiliser l’espace extra-atmosphérique à des fins militaires.

(6) Secrétaire général de l’Otan, Rapport annuel 2019, 2020 (https://www.nato.int/).

(7) Penent Guilhem et Schlumberger Guillaume, Guerre en Ukraine : révélatrice de ruptures dans le secteur spatial ? Note de l’Ifri, février 2023, Institut français des relations internationales, 22 pages (https://www.ifri.org/).

(8) Tir chinois le 11 janvier 2007, tir russe le 15 novembre 2021, tir indien le 27 mars 2019 sur un de leurs anciens satellites respectifs.

(9) Ce satellite s’est rapproché en 2017 du satellite franco-italien Athena-Fidus. La ministre des Armées de l’époque, Florence Parly, avait alors déclaré : « tenter d’écouter ses voisins, ce n’est pas seulement inamical. Cela s’appelle un acte d’espionnage. », cité dans « La France accuse la Russie de tentative d’espionnage par satellite », Le Monde, 7 septembre 2018 (https://www.lemonde.fr/).

(10) Novaspace, « Government Space Programs—A Comprehensive Overview of Governement Space Strategies, Activities and Budgets until 2033 », décembre 2024 (https://digital-platform.euroconsult-ec.com/).

(11) Nadarajah Hema, « Chine : les ambitions célestes d’une puissance mondiale », Fondation Asie Pacifique du Canada, 9 mai 2024 (https://www.asiapacific.ca/fr/publication/china-global-powers-celestial-ambitions).

(12) Novaspace, op. cit.

(13) Voir notamment son résumé (https://media.defense.gov/).

(14) Department of the US Air Force, Fiscal year 2024 budget overview, 2024 (https://www.saffm.hq.af.mil/Portals/84/documents/FY24/Budget/FY24%20Budget%20Overview%20Book.pdf).

(15) US Space Force, Space Warfighting : A Framework for Planners, mars 2025 (https://www.spaceforce.mil/).

(16) Comme Starshield, constellation de satellites militaires développée par SpaceX pour répondre aux besoins de l’agence de renseignement NRO et du Département de la Défense (DoD) des États-Unis.

(17) India Budget, Ministry of Finance, « Notes on demand for grants 2025-2026: Department of Space », 2023, p. 316-318 (https://www.indiabudget.gov.in/doc/eb/sbe95.pdf).

(18) Cabinet of Japan, National Security Strategy of Japan, décembre 2022 (https://www.cas.go.jp/).

(19) Ambassade de France au Japon et Centre national d’études spatiales (Cnes), Bulletin Espace Japon, n° 62, mars 2025 (https://jp.ambafrance.org/).

(20) De grands groupes comme ArianeGroup, Airbus Defence & Space, Thales Alenia Space, ou encore Otto Hydraulik Bremen (OHB), forment l’épine dorsale de la base industrielle et technologique spatiale européenne.

(21) Dont Helios puis Composante spatiale optique (CSO) en France pour l’imagerie optique ; SAR-Lupe puis SARAh en Allemagne, Cosmo-Skymed en Italie et Paz en Espagne pour l’imagerie radar.

(22) Dont Syracuse (Système de radiocommunication utilisant un satellite) en France ; Skynet au Royaume-Uni, Sicral et le dual Athena-Fidus en Italie.

(23) Dont le radar Graves (Grand réseau adapté à la veille spatiale) en France, les radars Gestra et Tira en Allemagne.

(24) Ceres (Capacité de renseignement électromagnétique spatiale) en France.

(25) L’ESA conçoit, planifie, coordonne et réalise le projet spatial au profit de l’UE.

(26) Recherche de traces de vie sur Mars.

(27) Exploration des lunes glacées de Jupiter.

(28) Groupe de travail « Espace », Stratégie spatiale de défense (rapport), ministère des Armées, 2019 (https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/194000642.pdf).

(29) Sa coordination a été confiée au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). La stratégie n’est pas encore publiée au moment où cet article est écrit (mai 2025).

(30) Le premier satellite a été lancé en 2022, mais les 2e et 3e satellites lancés en 2023 sont inopérants du fait d’une défaillance du déploiement des antennes ; un remplacement des satellites défaillants est à l’étude.

(31) German Space Situational Awareness Center (Weltraumlagezentrum) est exploité conjointement par les forces armées allemandes et l’Agence spatiale allemande (DLR).

(32) Ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie, Raumfahrtstrategie der Bundesregierung, septembre 2023 (https://www.bmwk.de/Redaktion/DE/Publikationen/Technologie/20230927-raumfahrtstrategie-breg.html).

(33) Ministry of Defense, The Role of Space in a New Security Situation—Sweden’s Defence and Security Strategy for Space, juillet 2024 (https://www.government.se/).

(34) UK Ministry of Defense, Defence Space Strategy: Operationalising the Space Domain, février 2022 (https://assets.publishing.service.gov.uk/).

(35) European Commission, European Union Space Strategy for Security and Defence, 10 mars 2023 (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52023JC0009).

(36) Kubilius Andrius, « Commissioner’s speech at the European Space Conference », 28 janvier 2025 (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_25_333).

(37) Tir inaugural le 9 juillet 2024.

(38) Tir inaugural le 13 juillet 2022.

(39) La coordination de ce programme est assurée par l’Agence de l’UE pour le programme spatial (EUSPA), créée en 2021 et qui est responsable de la gestion opérationnelle des composantes clés du programme spatial européen (Galileo, Copernicus, EUSST et bientôt IRIS²).

(40) Novaspace, « Defense Spending Drives Government Space Budgets to Historic High », 15 janvier 2025 (https://nova.space/press-release/defense-spending-drives-government-space-budgets-to-historic-high/).

(41) Publiée le 20 mars 2025, la Stratégie 2040 (https://esamultimedia.esa.int/) fournit une vision et une stratégie à long terme pour les 15 prochaines années. Elle comprend cinq objectifs : protéger notre planète et le climat, explorer et découvrir, renforcer l’autonomie et la résilience européennes, stimuler la croissance et la compétitivité, et inspirer l’Europe.

(42) Depuis 2010, la France participe à des échanges d’images entre ces satellites optiques Helios puis CSO et les satellites radar allemands SAR-Lupe puis SARAh, ainsi que les satellites italiens COSMO-Skymed. Voir Direction générale de l’armement, « La France reçoit ses 1res images de satellites radar allemands et italiens », ministère de la Défense, 12 juillet 2010 (https://archives.defense.gouv.fr/).

(43) Precursor Reusable Oxygen Methane Cost Effective Propulsion System est un programme de moteur-fusée réutilisable, économique et moderne de l’ESA lancé en 2015 par le Cnes et ArianeGroup.

(44) Prototype européen de premier étage de lanceur réutilisable développé par ArianeGroup pour le compte de l’ESA et du Cnes.

(45) Cooperative Action Leading to Launcher Innovation in Stage Toss-back Operations est un démonstrateur destiné à réaliser des essais en vol pour maîtriser le retour complexe d’un lanceur. Ce projet est mené en partenariat avec la France, l’Allemagne et le Japon.

(46) Draghi Mario, The Future of European Competitiveness (Part B): In-Depth Analysis and Recommendations, Commission européenne, 9 septembre 2024 (https://commission.europa.eu/).

(47) « 1. Afin de favoriser le progrès scientifique et technique, la compétitivité industrielle et la mise en œuvre de ses politiques, l’Union élabore une politique spatiale européenne. À cette fin, elle peut promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et le développement technologique et coordonner les efforts nécessaires pour l’exploration et
l’utilisation de l’Espace. 2. Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires, qui peuvent prendre la forme d’un programme spatial européen, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États-membres. 3. L’Union établit toute liaison utile avec l’Agence spatiale européenne. 4. Le présent article est sans préjudice des autres dispositions du présent Titre. » (https://eur-lex.europa.eu/).

(48) À laquelle s’ajoute également l’Agence de l’UE pour le programme spatial (EUSPA).

(49) Certains États étant membres de l’UE et non de l’ESA (et inversement), il s’agirait de mettre en place des partenariats en fonction des programmes initiés.

(50) La Defense Innovation Unit vise à faire le lien entre le secteur technologique civil (notamment les start-up et entreprises innovantes) et le Pentagone, afin d’intégrer rapidement les technologies émergentes dans l’arsenal de défense. Dans le domaine des drones, le DIU a notamment permis de répondre à un besoin de missions de reconnaissance en moins de 2 ans.

(51) Kubilius Andrius, op. cit.

(52) Programme-cadre de l’UE pour la recherche et l’innovation, le programme Horizon Europe est doté d’un budget d’environ 95,5 Mds € pour la période 2021-2027. Dans le domaine spatial, il finance des projets qui soutiennent l’innovation technologique, la compétitivité industrielle et les capacités stratégiques autonomes de l’Europe.

(53) Cette règle s’applique aux programmes lancés par l’ESA et non ceux dont elle est la maîtrise d’œuvre pour l’UE.

(54) ESA, Convention for the establishment of a European Space Agency, septembre 2005, article VII et annexe V (https://aerospace.org/sites/default/files/policy_archives/ESA%20Convention%20Sep05.pdf).

(55) L’ESA a lancé un appel d’offres majeur intitulé European Launcher Challenge (ELC) visant à stimuler le développement de nouveaux lanceurs européens. Chaque projet sélectionné (processus en cours en 2025) pourra bénéficier d’un financement de 169 M €.

(56) Partie intégrante du Rearm Europe Plan–Readiness 2030 (https://www.europarl.europa.eu/).

(57) Notamment par le président Emmanuel Macron lors de son discours de 2017 à la Sorbonne (https://www.elysee.fr/), au sein du rapport annuel 2023 de l’ESA (https://www.esa.int/), et dans le rapport Draghi de septembre 2024 sur la compétitivité européenne (op. cit.).

(58) Kubilius Andrius, op. cit.

(59) Overman Todd et Yi Sylvia, « “Small” Space Companies: Growth Comes at a Cost », GovCon & Trade, 22 novembre 2024 (https://www.bassberrygovcontrade.com/small-space-companies-growth-government-contracts/).

(60) Wood Anna, « Europe’s Spacetech Funding Gap Threatens Industry », Startups Magazine, novembre 2024 (https://startupsmagazine.co.uk/article-europes-spacetech-funding-gap-threatens-industry).

(61) Lancée par la Commission européenne en 2022 dans le cadre du FEDéf.

(62) À retrouver dans Nations unies/Bureau des affaires spatiales, Traités et principes des Nations unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique et résolutions connexes de l’Assemblée générale, 2008 (https://www.unoosa.org/).

(63) Macron Emmanuel, « Déclaration du président de la République sur le spatial européen », Toulouse le 16 février 2022 (https://www.vie-publique.fr/discours/283870-emmanuel-macron-16022022-spatial-europeen).

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