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  • Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session
  • L’Intelligence artificielle (IA) dans la Marine : vers une transformation des équipages des bâtiments de combat

L’Intelligence artificielle (IA) dans la Marine : vers une transformation des équipages des bâtiments de combat

Jean-Michel Pimbert, "L’Intelligence artificielle (IA) dans la Marine : vers une transformation des équipages des bâtiments de combat " Europe : fin de l'innocence stratégique – Regards du CHEM - 74e session

Si l’arrivée à maturité de l’exploitation de l’Intelligence artificielle (IA) au sein d’une Marine progressivement « data-centrée » va considérablement accélérer le développement des drones, elle va aussi va engendrer une profonde transformation des métiers opérationnels : pour être performant, chaque marin devra devenir un spécialiste de la manipulation de la donnée dans son domaine de spécialité. Les marins embarqués étant libérés d’une grande partie des tâches d’exploitation et de mise en œuvre des équipements, l’organisation des bâtiments de combat devra être repensée. L’ampleur du changement dépendra de la place laissée à l’homme dans une boucle décisionnelle que l’on cherche constamment à accélérer pour gagner au combat.

L’émergence de l’utilisation de l’IA au sein de la Marine nationale

« Pour gagner, il faut mieux comprendre et décider avant l’adversaire. C’est le rôle de l’intelligence artificielle. L’IA dans la Marine ce n’est pas demain, c’est maintenant ». Tels sont les propos formulés par l’amiral Nicolas Vaujour, Chef d’état-major de la Marine nationale (CEMM) dans un post LinkedIn au mois de février 2025 (2). Plus qu’une injonction, ces propos illustrent le virage qui a été pris par la Marine dans le domaine de la donnée (3) puis de l’IA (4) il y a plusieurs années déjà. En effet, dès 2018, l’Amiral commandant la Force d’action navale (Alfan) (5) transmettait une note à l’État-major de la Marine (EMM) faisant état du potentiel de l’IA sur la performance et l’organisation du central opérations des frégates (6). 2018, ce n’est pas si éloigné, mais à l’époque, l’IA n’était encore qu’un sujet d’initiés et son niveau de maturité était assez éloigné de ce qu’il est aujourd’hui. Cependant, l’idée que le travail des marins allait davantage être tourné vers l’exploitation du traitement massif de données était déjà posée.

Cette dynamique s’est concrétisée par la création du Centre support de la donnée de la Marine (CSD-M), en 2020, qui a ensuite inclus l’IA (CSDIA-M). Plus récemment, cinq Data Hub embarqués (DHE (7)) ont été mis en place sur les bâtiments du Groupe aéronaval (GAN) déployés jusqu’en mer de Chine méridionale dans le cadre de la mission Clemenceau 25 (8).

Nous ne sommes pour autant qu’aux débuts de l’utilisation de l’IA au niveau opérationnel : s’il est difficile d’identifier précisément l’ensemble des impacts potentiels, il est certain que l’IA va bouleverser les méthodes de travail dans les années à venir. Il est donc nécessaire, dans une démarche prospective d’anticiper les évolutions RH induites sur nos unités de combat afin d’être en mesure d’adapter à temps le système de recrutement et de formation. On pourrait objecter que cette étude n’a aucun sens en raison du développement massif des drones qui, « dopés » à l’IA, viendraient totalement supplanter les unités habitées dans les années à venir : nous verrons pourquoi cela est improbable. Cela étant dit, il conviendra d’examiner les changements induits par l’IA sur les métiers et l’organisation du travail, avant de pouvoir en déduire les évolutions prévisibles sur le format global des équipages, en prenant en compte le retour d’expérience des évolutions passées. 

Développement des drones, mais maintien des bâtiments armés par des équipages pour combattre en mer

L’IA va engendrer une formidable amélioration de l’efficacité des drones. Elle permettra en effet à chaque drone de s’affranchir de télécommande (9), et donc d’un opérateur, pour exécuter une mission complexe. La mission pourra lui être donnée en transmettant un ordre simple, comme un chef de patrouille le ferait à son équipier. C’est en cela que l’IA est, à terme, le vrai déterminant de la dronisation et c’est en cela qu’elle n’est pas qu’un simple effet de mode mais une vraie opportunité pour coordonner facilement l’action d’une multitude d’effecteurs.

Pour autant, il est peu probable que la multiplication et l’amélioration constante de la performance des drones conduisent à l’éviction totale des plateformes habitées, notamment lorsque l’on considère le besoin de conduire des opérations en haute mer (10) dans la durée. Le premier facteur à prendre en compte est la capacité à durer tout en se déplaçant sur de grandes distances, qui impose un ravitaillement régulier des drones. Le deuxième facteur est la capacité de mise en œuvre, de maintenance préventive et de gestion des avaries des drones (11). Le troisième facteur est la nécessité de disposer d’une plateforme locale de commandement, pour faire évoluer la mission de ces drones dans la durée tout en s’affranchissant de la vulnérabilité des systèmes de communication à longue distance. Le quatrième facteur est la capacité à collecter et de traiter localement des données pour mettre à jour de façon autonome les modèles d’IA en boucle courte (voir infra), avec les capacités de calcul et de stockage associées.

Les drones seront des multiplicateurs d’efficacité à faible coût : ils permettront de se passer de plateformes habitées pour des tâches simples et agiront en complément des plateformes habitées qui demeureront nécessaires pour exécuter les tâches les plus complexes et les plus exigeantes (12) dans la durée. On peut ainsi imaginer que la « brique élémentaire » du combat naval du futur en haute mer sera constituée d’un bâtiment de commandement et de support habité, doté de capacités offensives et défensives à longue portée, et de taille suffisante pour stocker, mettre en œuvre et ravitailler un ensemble de drones de surface, sous-marins et aériens. Ce bâtiment de combat (13) hébergera un volume de données massif, issu à la fois de son système de capteurs mais aussi de sa capacité à recevoir régulièrement – en dehors des phases de brouillage – des données de l’extérieur (14).

Évaluer l’impact de l’IA sur l’organisation des futurs bâtiments

L’étude de l’impact de l’IA sur l’organisation de l’équipage d’une frégate est particulièrement intéressante dans ce contexte. D’une part, une frégate dispose d’un haut degré de connectivité, d’un nombre important de senseurs et d’effecteurs et de sources d’énergie suffisantes pour alimenter les calculateurs d’une IA localement. D’autre part, sa polyvalence fait que son organisation structure la flotte de surface : elle est aisément transposable vers des bateaux plus grands ou plus petits, ainsi que vers les sous-marins, modulo le différentiel de connectivité. Les conclusions tirées de cette étude, qui se veut un éclairage de l’horizon à 20 ans (15), permettront, le moment venu, d’ébaucher non seulement l’organisation du bâtiment de combat du futur de façon réaliste mais aussi, avec les adaptations nécessaires, de déterminer les principes d’organisation d’une grande partie des forces de la Marine.

L’impact de l’IA ne sera pas homogène selon les métiers, dont la nature est assez différente sur l’ensemble de l’équipage d’une frégate. Ces métiers sont actuellement répartis selon trois groupements sur les frégates : groupement « opérations », grou-pement « navire » et groupement « équipage ». Chaque groupement étant chargé de la maintenance et de l’exploitation de ses équipements.

Des évolutions majeures au sein du groupement « opérations »

Le groupement opérations, chargé de l’exploitation et de la maintenance des armes et des senseurs, sera particulièrement touché par l’implémentation de l’IA : c’est bien cela que mettait en avant le courrier d’Alfan de 2018. Aujourd’hui, il semble possible d’aller beaucoup plus loin au regard de l’accélération du développement de l’IA. Passons rapidement sur la capacité à réaliser les opérations de maintenance correctives et préventives : la tendance lourde depuis de nombreuses années est une diminution et une simplification drastique de ces tâches (16) ; l’IA va permettre de poursuivre dans cette dynamique en automatisant avec une grande efficacité le traitement des pannes. L’ensemble des données techniques de conceptions, correctement « digérées » par l’IA, doit permettre cela. Il restera alors à effectuer l’opération physique de réparation, à la portée d’un « simple » opérateur.

L’exploitation des armes et des senseurs sera évidemment le domaine où l’impact de l’IA sera majeur. Le réglage des senseurs sera optimisé en fonction de la mission et des paramètres d’environnement. La détection et la classification des pistes seront automatiquement réalisées par l’IA (17), avec une précision et une rapidité bien supérieures à celles d’un opérateur. La gestion tactique de l’hélicoptère embarqué également. L’officier de quart opérations pourrait alors être seul au central opérations, dialoguant directement avec une IA pour commander l’ensemble des systèmes. Avec deux questions cependant : s’il est seul, comment se forme-t-il ? Et comment s’effectue la veille des multiples réseaux de communications, habituellement répartie entre une dizaine d’opérateurs ? L’IA pourra toujours apporter une solution en synthétisant l’essentiel des échanges. La question sera celle de la place que l’on veut laisser à l’homme dans la boucle décisionnelle : si on veut qu’elle reste centrale, il semble utile de conserver un à deux adjoints à l’officier de quart opérations (18).

Si l’on veut que l’IA soit performante dans les tâches de détection et de classification, il faudra qu’elle puisse être entraînée sur une base de données de référence de qualité. Ce qui signifie, si l’on souhaite conserver l’ascendant, que cette base de données puisse être mise à jour dans un temps assez court pour s’adapter aux conditions environnementales et tactiques (19). Il faudra d’une part, disposer des données – c’est l’objectif des DHE –, et d’autre part, sélectionner les données pertinentes qui viendront alimenter les Bases de données (BDD) de référence. Il y aura donc toujours besoin d’officiers mariniers spécialistes par domaine de lutte : ils ne seront plus de quart, mais employés à des tâches d’analyse a posteriori et de mise à jour des BDD pendant la journée, et rappelés si nécessaire la nuit pour une expertise particulière ou un dépannage de matériel. Ils pourront également, dans le temps restant, contribuer à la planification tactique au sein d’un bureau « opérations » qui aura considérablement grossi pour devenir un petit centre d’analyse, de production de renseignement (20) et de planification data centré. Le niveau requis pour effectuer ces tâches est plutôt un niveau d’officier marinier supérieur : fonctionnellement, il n’y a aucun besoin d’opérateur élémentaire. Néanmoins et une fois de plus, comment devient-il expert sans avoir été formé au niveau élémentaire ? Il faudra donc lui adjoindre un à deux jeunes marins qui ont vocation à devenir experts.

Dans les réflexions de 2018, l’élaboration et la compréhension des manœuvres tactiques avaient été exclues du « champ de compétence » de l’IA, jugée notamment incapable de prendre en compte une rupture de contexte stratégique, la prise en compte du facteur humain (fatigue, adhésion, peur, courage, etc.) ou la prise de risque. En fait, l’IA est certainement apte à prendre en compte tous ces facteurs, sans doute mieux qu’un être humain, pour peu qu’elle ait été « nourrie » par des données pertinentes dans chaque domaine, et que la question lui ait été formulée de façon suffisamment précise. Dans un premier temps, il sera sans doute toutefois difficile de lui faire totalement confiance, n’en maîtrisant pas les éventuels biais (21). Par ailleurs, en optimisant tous les facteurs d’une problématique opérationnelle, l’IA risque de générer des idées de manœuvre très robustes, mais assez prévisibles, et donc, au final, peu efficaces (22). Car l’objectif majeur d’une idée de manœuvre est justement de générer un effet de surprise pour sidérer l’adversaire. C’est pourquoi il apparaît nécessaire, à ce stade, de garder l’homme au cœur du processus décisionnel (23).

Des évolutions plus modérées au sein des groupements « navire » et « équipage »

La situation du groupement « navire » est singulièrement différente de celle du groupement « opération ». En effet, la conduite des installations de propulsion et de servitudes du bâtiment nécessite actuellement peu de personnel de quart : l’essentiel de l’activité est tourné vers la maintenance des installations. Contrairement aux installations du groupement opérations, cette maintenance est encore en grande partie réalisée sur des installations mécaniques, ce qui nécessitera toujours un nombre important de marins (24). Il sera difficile de faire autrement, sauf à disposer de robots capables d’évoluer dans un bateau soumis au roulis et au tangage, et aptes à se réparer eux-mêmes, ce qui semble peu probable à court terme (25). S’il faut toujours quelques cadres pour diriger les opérateurs au quotidien et pour diriger les opérations de maintenance majeure, il y aura en revanche nettement moins besoin de personnel très expérimenté pour maîtriser les dépannages complexes ou la conduite en mode dégradé (26). La gestion de la planification et de la coordination des travaux lors des phases de maintenance majeures réalisées à quai, qui échoit principalement au groupement « navire », nécessitera également moins de personnel, avec un niveau d’expertise moindre. L’IA est en effet à même de gérer facilement cette complexité, que l’être humain a actuellement du mal à appréhender, même avec des logiciels d’aide à la décision. Le constat est similaire dans le domaine de la prévention des accidents du travail, même si le besoin d’effectuer des contrôles in situ demeurera.

Le Groupement équipage est le plus divers car il comprend les services de manœuvre et de navigation d’une part, et les services de soutien logistiques, administratif et santé d’autre part. L’impact de l’IA y sera donc très variable. La partie manœuvre et navigation devrait être peu affectée car les opérateurs ont encore un nombre significatif de tâches physiques à réaliser, en particulier pour les manœuvres portuaires et les ravitaillements en mer. Il en est de même pour le soutien logistique (dont restauration) et santé, où les tâches sont essentiellement physiques. On peut en revanche imaginer que les tâches de quart vont diminuer, la présence permanente d’un opérateur pour commander la barre et les machines en passerelle, voire d’un veilleur, étant désormais superflue. Le soutien administratif pourra être totalement automatisé. Il pourrait cependant être utile de conserver une interface humaine pour le soutien RH de proximité, auquel les marins sont traditionnellement attachés.

Afin de définir comment la réorganisation de l’équipage pourrait se décliner en pratique, il est intéressant d’appliquer ce raisonnement cas pratique du dimensionnement d’un équipage de Fremm qui disposerait de l’IA.

Déterminer les évolutions en s’appuyant sur le cas pratique des Fremm

Un format d’équipage intégrant la production de compétences

La transition de la Frégate anti-sous-marine (FASM) des années 1980 (Classe Georges Leygues), armée par un équipage de 230 marins, à la Frégate multi-missions du début des années 2010 représentait une rupture technologique importante. L’EMM visait ainsi un équipage à 94 marins, via une automatisation poussée : l’optimisation RH était en effet une donnée d’entrée du programme. Si un tel équipage permettait d’opérer le bateau, la charge de travail individuelle de chaque marin, largement sous-estimée, conduisait à une usure rapide des équipages, notamment en opérations (27). Par ailleurs, la capacité à produire les compétences avait été absente des réflexions d’organisation, largement sous-traitées à l’industriel dans le cadre du programme. La traditionnelle pyramide de grades était devenue un cylindre, incapable de générer un vivier suffisant de cadres et d’experts.

Dans les premières années des Fremm, cela n’a pas posé de difficultés, car celles-ci pouvaient non seulement bénéficier des experts créés par le reste de la flotte, mais aussi de la réinjection de marins expérimentés issus des bâtiments désarmés (28). Pour pallier ces difficultés, le plan d’armement des Fremm a progressivement été augmenté : treize ans après la première sortie à la mer de l’Aquitaine, il a été relevé à 136 marins. Il est intéressant de constater que la FAN avait milité pour un plan d’armement à 135 marins dès le début du programme. Dans un contexte de déflation des effectifs, cette proposition n’avait pas été retenue par l’EMM (29).

On peut tirer plusieurs enseignements de cette manœuvre. Le premier est la nécessité de ne pas se focaliser uniquement sur les aspects fonctionnels et de prendre en compte les aspects organiques d’une transformation de l’organisation : charge de travail annexe, génération de compétences. Le deuxième est qu’il est difficile d’anticiper avec justesse une évolution RH dans un contexte où les évolutions techniques sont de plus en plus rapides. Sans renoncer à être ambitieux (30), il faut réserver des marges d’évolution suffisantes, aussi bien en qualité qu’en quantité (31), pour être en mesure d’ajuster l’organisation par itérations successives dans les premières années d’exploitation.

Bilan des évolutions RH possibles (32)

Prenant en compte le retour d’expérience mentionné supra, les évolutions qualitatives et quantitatives pourraient être définies comme suit. Concernant le groupement équipage, l’impact de l’IA sera limité : seules les fonctions de soutien administratif seront très touchées. Pour le groupement navire, les évolutions seront également limitées, car il restera de nombreuses tâches physiques à réaliser : quelques postes d’experts ne seront plus nécessaires (à bord en tout cas) et les opérateurs de quart pourront passer d’alerte, ce qui permettra d’améliorer la capacité d’auto-entretien et la résilience au combat.

C’est au sein du groupement opérations que les réorganisations peuvent être les plus importantes. Le nombre de marins nécessaires pour opérer le bateau pourrait être jusqu’à 35 % inférieur, avec une efficacité opérationnelle supérieure. Avec un impact très variable selon les catégories : peu de changement chez les officiers, forte diminution du nombre d’officiers mariniers du niveau Brevet de maîtrise (BM), faible diminution du niveau d’officiers mariniers Brevetés supérieurs (BS), faible diminution du nombre d’officiers mariniers titulaires du Brevet d’aptitude technique (BAT) forte diminution du nombre de marins Brevetés élémentaires (BE) (33). Cette évolution devra cependant être pondérée par les besoins d’entretien courant de bateaux dont la taille a tendance à croître au fil des générations (34). Tendance qui devrait être amplifiée par la dronisation.

Pour être complète, l’analyse de ces évolutions RH doit être passée au filtre des tâches transverses à réaliser collectivement par l’ensemble de l’équipage et de son organisation au combat :

• Au poste de combat, la gestion des opérations et de la passerelle de navigation ne nécessitera que très peu de renfort en personnel. La gestion des sinistres et avaries de combat, qui s’appuie sur la totalité du personnel, nécessitera toujours des intervenants physiques. L’effet de l’IA sera relativement neutre dans ce cas, car si son emploi permet de réduire la taille des équipages, elle permet simultanément de réduire le nombre de marins de quart et donc d’augmenter le nombre de marins disponibles pour intervenir sur les sinistres et les avaries. La cellule de gestion des priorités d’intervention et de réparation au combat, actuellement armée par une dizaine d’experts, pourra avantageusement être remplacée par une IA (35). Les évolutions envisagées devraient donc être compatibles avec l’ensemble de ces besoins.

• L’ensemble des tâches « physiques » qui sont dévolues aux marins lors de diverses actions opérationnelles comme une opération d’évacuation de ressortissants ou l’interception et la visite de navires suspects par exemple. Elles seront évidemment toujours réalisables avec moins de marins embarqués, mais cela réduira la capacité des bâtiments à maintenir ces organisations gourmandes en personnel dans la durée.

• La garde du bâtiment à quai ou en escale, qui comprend la gestion des sinistres mais également la protection du bâtiment : l’organisation du service devra être adaptée à la taille de l’équipage. L’expérience des Fremm a démontré que cela était possible en prenant ce paramètre en compte dès la conception.

Si l’objectif premier de l’utilisation de l’IA est bien l’amélioration de la performance opérationnelle, la réduction des équipages pourrait devenir un objectif en soi dans les années à venir, pour des raisons démographiques notamment. La dronisation totale d’un bâtiment de combat premier rang n’est pas réaliste (36), mais on pourrait imaginer une réduction plus drastique de l’équipage à terme en réduisant encore le poids de l’homme dans la boucle décisionnelle : Le commandant et son second seraient alors les seuls « opérationnels » du bord, soutenus par une équipe de « maintenanciers » nourris par quelques cuisiniers. Le prix serait une très faible résilience aux sinistres et une incapacité à réaliser une partie des missions listées supra, ce qui semble peu réaliste.

Il convient cependant de ne pas réduire l’analyse RH aux évolutions à bord des unités opérationnelles. Il faudra en effet étendre le périmètre d’action du CSDIA-M (37) pour recueillir puis traiter toutes les données et concevoir une IA qui dispose des performances souhaitées à bord de nos bâtiments de combat. Cette structure devra associer des experts métier et des spécialistes de l’IA (38) notamment car : « Détecter ces problèmes de qualité (de données) n’est pas chose aisée et nécessite une interaction étroite entre les spécialistes des données (les “data scientists”) et les experts métiers » (39). La Direction des ressources humaines du ministère des Armées (DRHMD) a d’ailleurs commencé à travailler sur la structuration de telles filières d’experts (40).

Pour autant, il est peu probable, une fois la capacité mature, que ces experts soient nécessaires à bord des bâtiments. Dans quelques années, utiliser l’IA, c’est-à-dire rédiger des requêtes en formulant une bonne question plutôt que de chercher par soi-même une bonne réponse fera partie de la formation de base des nouvelles recrues (41). Insérer de nouvelles données dans une base pour être « digérées » par une IA également. C’est en revanche l’expertise métier qui fera la différence entre une bonne et une mauvaise requête. C’est aussi l’expertise métier qui permettra de « nourrir » l’IA avec des données de qualité.

Conclusion : un potentiel de transformation important, mais de nombreuses incertitudes

Si elle atteint un niveau de performance suffisant, l’intelligence artificielle devrait profondément modifier la physionomie du combat naval par une dronisation généralisée à tous les milieux et un besoin d’unités habitées moindre pour une même efficacité opérationnelle. À bord de ces unités habitées, l’IA modifiera à la fois la nature du travail à réaliser et l’organisation de celui-ci. De façon générale, la dronisation engendrera un gain RH significatif sur les unités opérationnelles, mais surtout un transfert RH des unités opérationnelles vers les bases qui devront effectuer le traitement massif des données pour mettre à jour les modèles d’IA. Il y aura au bilan un impact général sur l’ensemble de la structure organique de la Marine et un modèle RH (spécialités (42), cursus de formation) à réinventer en conséquence. Quelles que soient les évolutions RH envisagées, l’expérience des Fremm montre cependant qu’il faudra construire ce nouveau modèle progressivement.

Ces transformations radicales ne pourront toutefois avoir lieu que si le niveau de performance de l’IA est élevé, et peut s’appuyer sur des bases de données opérationnelles robustes. Cela impose d’équiper massivement nos unités actuelles en Data Hub embarqués (DHE) et de concevoir les futures unités de combat comme des DHE (43). Autrement dit, pour y arriver, il faut au préalable que la Marine soit data-centrée et que toute la donnée soit accessible : il reste encore du chemin à parcourir. Cela nécessitera en effet d’âpres discussions avec les industriels de défense pour accéder à toute la donnée brute d’une part, et des investissements financiers et humains significatifs afin d’accompagner le développement de nouvelles capacités tout en maintenant les anciennes d’autre part. De façon transitoire, cela n’empêche pas pour autant une montée en puissance progressive de l’IA sur les unités en service et une utilisation plus importante des drones pour améliorer la performance globale. Il faut dès à présent faire évoluer les métiers et les formations pour que tout marin dispose d’une vraie culture de la donnée.

Au bilan, même si l’on dispose d’une IA particulièrement performante, l’ampleur de la transformation dépendra beaucoup de la confiance que l’on voudra bien lui accorder. Autrement dit, de la place que l’on voudra laisser à l’homme dans une boucle décisionnelle que l’on cherche sans cesse à accélérer. Plus que la technique, notre capacité à accepter le fait de déléguer des décisions à une machine pour faire la guerre pourrait être le vrai facteur limitant : il faudra trouver le bon équilibre entre vitesse et contrôle.

(1) Le GTR était une structure qui avait entre autres pour mission de former spécifiquement les marins à la mise en œuvre des équipements à bord des Fremm, en raison du fort différentiel technologique par rapport à la génération précédente.

(2) Vaujour Nicolas, « Vaincre grâce à l’IA », LinkedIn, février 2025 (https://www.linkedin.com/).

(3) Même en l’absence d’IA, une meilleure captation et structuration de la donnée permet un gain substantiel en efficacité. Un exemple simple est l’utilisation de données vectorisées et géo-référencées, ré-employables et combinables à l’infini, en remplacement de Powerpoint à usage unique.

(4) La Marine a dévoilé en 2023 sa Stratégie d’IA pour la guerre navale ou Signal (https://www.defense.gouv.fr/marine/actualites/marine-nationale-devoile-sa-strategie-superiorite-informationnelle-guerre-navale).

(5) La FAN est l’une des quatre composantes de la Marine nationale, qui regroupe l’ensemble des bâtiments de surface.

(6) Réflexions sur le central opérations du futur, lettre n° 25/ALFAN/NP du 5 septembre 2018.

(7) Le DHE est une « verrue » branchée sur le système de combat pour en récupérer les données.

(8) La Fremm Provence a été la première équipée d’un DHE début 2024. Elle a pu commencer à développer des premiers « cas d’usage » opérationnels de l’IA.

(9) Afin de résister au brouillage, ou opérer de façon permanente sous l’eau, milieu opaque à tous points de vue.

(10) On peut considérer que les opérations en zones littorales proches de côtes alliées pourront plus facilement être réalisées par des effecteurs mis en œuvre depuis la terre. Les attaques conduites par l’Ukraine sur la Flotte [russe] de la mer Noire sont particulièrement éclairantes de ce point de vue.

(11) Pour les drones de grande taille. On peut considérer que les petits drones sont consommables et n’ont pas besoin de maintenance.

(12) Le constat est valable pour les bâtiments de surface, les sous-marins et les avions de combat.

(13) Les états-majors également, mais on peut considérer que leur évolution sera comparable à celle des organisations publiques ou privées de taille similaire.

(14) L’accès aux satellites défilants de la constellation Eutelsat (Oneweb), expérimenté en 2024 sur la Fremm Bretagne, permet d’offrir des débits plus de dix fois supérieurs à ceux des satellites géostationnaires utilisés jusqu’alors.

(15) En deçà, il est très peu probable que le niveau de maturité de l’IA soit suffisant pour révolutionner l’organisation des bâtiments.

(16) En raison de la miniaturisation des composants électroniques et de la prédominance du « software » dans les équipements, les opérations de maintenance préventive régulières sont limitées à quelques actions élémentaires sur les systèmes mécaniques (pièces d’artillerie, sonars remorqués, lance-leurres…).

(17) Pour la lutte antinavire et la lutte antiaérienne, la détection la poursuite et la classification des contacts sont déjà largement automatisées. C’est nettement moins le cas en lutte anti-sous-marine (ASM).

(18) Par exemple, un officier marinier supérieur, capable de le suppléer le temps qu’il assiste à un briefing sur une action à venir ou qu’il discute de l’action en cours avec le commandant, et un officier marinier veilleur de fréquences de lutte/rédacteur de requêtes sur demande de l’officier de quart opérations.

(19) Déclinaison du concept C2C24 (Compile to Combat in 24 Hours) de l’US Navy. Barrett Danelle (Rear Admiral), « C2C24 Transforms Navy Operations », Proceedings, vol. 144/8/1,386, août 2018, US Naval Institute (https://www.usni.org/magazines/proceedings/2018/august/c2c24-transforms-navy-operations).

(20) La sélection de données de synthèse destinées à l’échelon supérieur doit ressortir d’un choix humain.

(21) La réflexion humaine est également biaisée, mais il semble que nous soyons plus à l’aise pour appréhender le biais humain. Par ailleurs, la culture collective des armées tend à homogénéiser les biais entre individus.

(22) C’est en vertu de ce principe qu’un bateau qui émet en permanence avec son sonar n’a aucune chance de détecter un sous-marin, alors qu’il peut le prendre par surprise en émettant de façon aléatoire.

(23) Il faut aussi prendre en compte la possibilité de « corrompre » une IA. Ce phénomène peut être minimisé en utilisant plusieurs IA sur un même sujet.

(24) D’autant qu’il est probable que le besoin augmente au fur et à mesure que le bâtiment vieillit.

(25) De ce point de vue, les êtres vivants se distinguent des machines par une capacité à « s’auto-réparer », jusqu’à un certain point.

(26) Sur les bâtiments modernes, la conduite des installations de propulsion et des auxiliaires en mode « normal » étant très automatisée, les opérateurs n’ont presque plus d’actions manuelles à réaliser : ils accumulent donc moins d’expérience au fil des quarts. La conduite en mode dégradé, qui pourrait sembler plus simple en apparence, est ainsi plus complexe.

(27) Le contexte de paix/crise de faible intensité des années 2000 avait également conduit à sous-estimer le besoin de résilience du bateau, pour la coque comme pour l’équipage. Il était peu probable qu’une Fremm ait à faire face à une avarie de combat majeure, et, le cas échéant, elle pouvait être relevée rapidement par une autre Fremm, le projet initial prévoyant la construction de 17 bâtiments. 8 seront finalement construites.

(28) La réduction de format continue pendant plusieurs décennies a permis d’alimenter notre système de génération de compétences à tous les échelons de la hiérarchie, alors qu’en régime établi, il n’est alimenté que par le bas de la pyramide. Jusqu’à l’arrêt des déflations en 2015, le ratio de personnel en formation par rapport au personnel en activité a ainsi été artificiellement sous-dimensionné.

(29) L’objectif était aussi de vérifier que les promesses en matière d’automatisation et d’ergonomie étaient tenues.

(30) Au final, l’équipage d’une Fremm est tout de même réduit de 40 % par rapport à celui d’une FASM.

(31) Le plan de couchage des Fremm initial à 145 bannettes s’est révélé insuffisant au fur et à mesure de l’augmentation des équipages. Il est désormais de 160 couchages et une étude a été lancée en 2024 pour monter à 181, en rognant sur des espaces de stockage et en dégradant un peu le confort.

(32) La référence étant un équipage de Fremm à 136 personnes.

(33) Le BE (opérateur élémentaire), le BAT (opérateur confirmé), le BS (technicien supérieur) et le BM (cadre de maîtrise) sont les quatre niveaux de formation du personnel non officier dans la Marine nationale.

(34) Un gros bâtiment est plus endurant, plus résistant aux agressions et présente plus de marges d’évolutivité.

(35) Les outils actuels ne prennent que très partiellement en compte l’ensemble des données techniques de construction (concernant le câblage notamment) et ne donnent qu’une vision imparfaite de la réalité.

(36) Au regard de l’occurrence des pannes sur un système aussi complexe, la présence de personnel de maintenance à bord est impérative pour durer.

(37) Ou héberger un champion national de la Tech pour lui sous-traiter en partie cette tâche.

(38) C’est dans cette logique que la Marine a embarqué plusieurs experts IA/données à bord des bâtiments du groupe aéronaval à l’occasion de la mission Clemenceau 25.

(39) Riu Aude (capitaine de frégate), Quels sont les freins et les moteurs à l’adoption de l’intelligence artificielle dans les processus RH de la Marine ? (Thèse professionnelle), octobre 2024, p. 14.

(40) Par l’intermédiaire d’un groupe de travail RH IA & données co-piloté avec la Direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication (DGNUM).

(41) C’est déjà le cas dans les écoles d’ingénieur.

(42) Pour gérer l’IA et la donnée, mais aussi pour la mise en œuvre et la maintenance des drones.

(43) Il faudra réinventer la gestion de la confidentialité des données, car l’agrégat massif de données d’un niveau de classification donné peut rapidement devenir une donnée d’un niveau de classification supérieur.

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Novembre 2025
n° 884

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