Depuis 15 ans, les relations militaires France-Royaume-Uni ont été encadrées par les accords de Lancaster House. Cet article propose une analyse maritime des perspectives pour une relance de ces accords attendus en été 2025. Il retrace les succès passés, notamment en matière de dissuasion nucléaire, d’équipements militaires communs et d’interopérabilité. Malgré des tensions (Brexit, AUKUS et rivalités industrielles), il souligne la nécessité d’approfondir la coopération face aux menaces actuelles. Trois priorités émergent pour les marines : le partage sécurisé d’informations, la coordination des groupes aéronavals, et le renforcement du réseau d’échange d’officiers. L’ambition est claire : les deux puissances maritimes européennes plus forte et intégrée.
Perspectives de défense au sommet 2025 entre le Royaume-Uni et la France. Un point de vue maritime
La signature de l’accord de Lancaster House (1) entre le Royaume-Uni (R-U) et la France en novembre 2010 a marqué une étape importante dans l’approfondissement de la coopération entre les deux pays. S’appuyant sur la déclaration de Chequers (2) de 1995, qui portait sur l’alignement des intérêts vitaux des deux nations, cet accord a été signé en 2010 après la crise financière mondiale et l’élection d’un nouveau gouvernement au R-U. La situation sécuritaire en Europe était alors stable, tandis que les principaux efforts de défense portaient sur la lutte contre le terrorisme mondial et les opérations expéditionnaires en cours en Irak et en Afghanistan. Dans ce contexte, la signature de deux traités portant sur la gestion des stocks nucléaires et la coopération en matière de défense et de sécurité a offert des deux côtés de la Manche un cadre leur permettant d’approfondir et de renforcer leurs relations.
Les succès de Lancaster House ont été importants, même s’ils ont souvent été minimisés. En effet, il ne faut pas sous-estimer la valeur de la collaboration en matière de recherche nucléaire et l’établissement d’un engagement soutenu et régulier à de nombreux niveaux entre les gouvernements et les armées des deux pays ; les relations entre les responsables ont permis une meilleure compréhension des rôles respectifs dans les processus de prise de décision des deux parties. La Combined joint expeditionary force (CJEF) a atteint la Full operational capability (FOC) ; le fait qu’elle ne soit pas encore déployée ne doit pas masquer un niveau d’interopérabilité inégalé parmi les alliés européens. La coopération en matière d’armement par le biais de programmes bilatéraux tels que le Maritime mine counter measures (MMCM) et le futur missile anti-navire/futur missile de croisière (FMAN/FMC) a bénéficié d’une étroite collaboration industrielle, notamment par l’intermédiaire de sociétés telles que MBDA. Enfin, au niveau tactique, le réseau d’officiers échange et d’officiers de liaison donne vie à la relation quotidienne entre les deux pays.
Pour autant, au niveau politique les relations entre les deux pays n’ont pas toujours été au beau fixe. Les troubles politiques intérieurs dans les deux pays, le Brexit (3), les embarcations d’immigrés clandestins dans la Manche et l’alliance Australia-United Kingdom-United States (AUKUS) (4) en septembre 2021 ont généré des tensions, tandis que des événements mondiaux, tels que la pandémie de Covid-19, ont recentré les deux pays sur la défense de leurs intérêts nationaux. Plus récemment, l’évolution rapide de l’environnement sécuritaire mondial, symbolisée par la guerre illégale de la Russie en Ukraine et les menaces qui pèsent sur la cohésion de l’Otan, a posé de nouveaux défis qu’il convient de relever. Le récent leadership bilatéral des deux dirigeants britanniques et français en faveur de la paix en Ukraine indique qu’il s’agira d’un thème dominant cet été.
C’est dans ce contexte, à la suite du sommet de 2023 mais aussi, plus récemment, de la déclaration des dirigeants conjoints de juillet 2024, dans laquelle ils partagent l’ambition d’une « coopération en matière de défense revigorée pour refléter l’ère moderne » (5), qu’un accord de Lancaster House renouvelé et actualisé est proposé. La signature d’un tel accord pourrait avoir lieu lors d’un sommet dès juin 2025 et devrait jouer un rôle clé dans l’élaboration de la coopération militaire bilatérale et au-delà, y compris au sein de l’Otan et des alliés et partenaires européens. Lors du High Level Group dirigé par la Direction générale des relations internationales et stratégiques (DGRIS) d’Alice Ruffo et le Director General for Security Policy (DG SECPOL) Paul Wyatt en novembre 2024, il a été décidé de créer un groupe de travail sur l’actualisation des traités de Lancaster House afin de faire progresser les plans de collaboration visant à actualiser les traités de 2010.
Quels pourraient être les enjeux et, le cas échéant, les nouvelles initiatives susceptibles de resserrer encore davantage la coopération entre nos deux pays ? Rédigé du point de vue d’un officier supérieur de la Royal Navy, actuellement en France en tant qu’auditeur du Centre des hautes études militaires (CHEM), et utilisant mon expérience de travail dans les deux pays au cœur de la relation bilatérale, cet article vise à présenter mes propres suggestions concernant les perspectives stratégiques d’un futur accord de Lancaster House en 2025, en mettant l’accent sur ce que cela pourrait signifier pour les deux marines. En tant que personne extérieure à la Lancaster House Refresh Task Force, mais ayant la possibilité de consulter les membres de manière informelle, cet article représente en grande partie ma propre compréhension, mes points de vue, mes réflexions ainsi que mes recommandations. Il s’agit donc davantage d’une analyse prospective dans laquelle j’examine brièvement les priorités stratégiques en matière de défense et de sécurité pour chaque pays, telles qu’elles se présentent actuellement. Après avoir abordé certaines des difficultés ou des obstacles au progrès, mon objectif est de suggérer les domaines de coopération les plus probables. Je me concentrerai sur les suggestions et les idées visant à renforcer la coopération dans l’environnement maritime.
Priorités du Royaume-Uni et de la France en matière de défense
Face à la remise en cause permanente des systèmes établis pour la paix et la sécurité en Europe et au-delà, Paris et Londres ont récemment réagi en augmentant leurs budgets de défense et en prévoyant des plans de modernisation.
La Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 a marqué un changement clair vers une économie de guerre en réponse à la situation en Ukraine, avec les plus fortes augmentations des dépenses de défense depuis les années 1960 (6) prévues pour prendre effet dans un certain nombre de domaines, en particulier les munitions et les technologies innovantes. En mettant l’accent sur l’ensemble de la force et le maintien de la préparation aux opérations, la France se concentre clairement sur l’autonomie stratégique, à la fois au niveau national avec sa Base industrielle et technologique de défense (BITD) et, plus récemment, pour soutenir l’émergence de l’autonomie stratégique européenne et réduire la dépendance à l’égard des États-Unis.
Le R-U s’est récemment engagé à porter ses dépenses annuelles de défense à 2,5 % du PIB d’ici à 2027 (7) et a également annoncé des dépenses supplémentaires en matière d’innovation et de technologie dans le but de faire du Royaume-Uni une « superpuissance industrielle de défense ». Outre la recapitalisation des forces armées et l’investissement dans de nouveaux programmes d’équipement, le R-U s’est également engagé à collaborer avec ses alliés et partenaires européens pour améliorer l’état de préparation en matière de défense et de sécurité.
Au-delà de l’Europe, les deux nations ont signalé leur intérêt significatif pour l’Indo-Pacifique, l’échelonnement des déploiements respectifs de porte-avions en 2025 démontrant à la fois la portée et l’intention de contrer l’influence de la Chine. La Grande-Bretagne donne également la priorité à sa coopération militaire avec l’Australie et les États-Unis dans cette région grâce au pacte AUKUS, tandis que la France renforce sa position en tant que nation indo-pacifique (8). Les deux pays investissent dans la dissuasion nucléaire et dans les capacités des avions de sixième génération.
Enfin, les deux nations reconnaissent la nécessité de travailler ensemble. Seuls membres européens du P5 (États dotés) et du Conseil de sécurité des Nations unies, seules armées véritablement de niveau comparable au sein de l’Otan, compte tenu de leur histoire commune, de leur vision similaire du monde et de la nécessité de partager les coûts et les idées, l’impératif politique et militaire d’en faire plus ensemble fait sens.
Les difficultés à surmonter
Avant d’examiner les différents projets, programmes et initiatives qui devraient et pourraient faire renforcer le partenariat franco-britannique, il est important d’être réaliste et de reconnaître certaines des difficultés qui doivent être surmontées. De nature diverse, s’expliquant par des aspects politiques, structurels, économiques ou encore capacitaires, l’examen de ces difficultés justifierait un article en soi ; je me contenterai donc de souligner ici quelques exemples. L’expérience que j’ai acquise en travaillant au cœur des relations entre la France et le R-U m’a permis de constater qu’il s’agit, en quelque sorte, d’une rivalité fraternelle, avec des histoires nationales entremêlées, une concurrence entretenue qui génère des querelles fréquentes, mais avec des intérêts très proches qui, lorsqu’ils sont ciblés, permettent à la famille de s’unir.
Si l’on fait abstraction de près de 1 000 ans d’histoire commune, les tensions politiques récentes ont gravité autour de trois sujets clés : le Brexit, AUKUS et les embarcations de migrants. L’alliance AUKUS, en particulier, a eu un impact important sur la confiance entre les marines. Bien que les personnes impliquées à l’époque aient évolué, près de quatre ans après l’annonce du partenariat trilatéral, le pilier sous-marin en particulier jette toujours une ombre. Londres donne la priorité à des alliances telles qu’AUKUS et, bien sûr, à l’Otan, qui est la pierre angulaire de sa sécurité. À l’inverse, les négociations qui ont suivi le vote du Royaume-Uni en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE) ont été, dans l’esprit de nombreux Britanniques, rendues plus difficiles par la volonté de la France de dissuader d’autres nations qui pourraient également chercher à quitter l’UE. Cette situation est également ressentie avec acuité à l’heure actuelle, alors que les Européens cherchent à prendre davantage le contrôle de leur sécurité, sous l’impulsion de la priorité donnée par la France à l’autonomie stratégique, mais la question fondamentale du rôle du R-U dans la sécurité du continent est en grande partie bloquée… par la France. Pour ma part, je pense que les menaces à la sécurité ne respectent ni les frontières ni les traités et que le R-U reste un élément essentiel de la solution pour la sécurité de l’Europe. À tort ou à raison, sur les deux sujets, l’une des clés pour progresser est d’apprécier la position de l’autre et de trouver des moyens d’aller de l’avant.
L’intérêt personnel des bases industrielles de défense respectives est étroitement lié à la discussion ci-dessus. Je développerai plus loin la nécessité pour nos industries de coopérer, bien qu’elles soient, dans de nombreux cas, en concurrence directe les unes avec les autres. Cette « coopétition », comme je l’appelle, s’est manifestée dans le passé par des divergences entre des programmes lancés en collaboration. Il suffit d’observer la similitude d’apparence entre la Frégate antiaérienne de classe Horizon et le destroyer de type 45 (qui ont des capteurs et des armements communs), ou entre le Typhon et le Rafale ; des projets communs qui, pour des raisons variées dans chaque exemple, sont devenus nationaux. L’intérêt économique national est au cœur du débat. Aucun pays ne souhaiterait céder son industrie à un autre, même si c’était dans l’intérêt de l’autonomie européenne, et surtout pas la France. Néanmoins, outre une saine rivalité, la duplication des efforts est un risque majeur qui peut à la fois diviser les exportations potentielles et réduire les économies d’échelle – pensons au développement parallèle par MBDA UK du missile air-air avancé à courte portée (ASRAAM) contre le Missile d’interception, de combat et d’autodéfense (MICA) de MBDA France, et au développement actuel d’avions de 6e génération. À l’autre extrémité du spectre, l’interopérabilité F35/Rafale reste un défi (9).
L’un des principaux défis est le poids de l’histoire, les responsables cherchant d’une manière ou d’une autre à ce que le moment du Concorde illumine la relation. Ce projet, ainsi que la construction du tunnel sous la Manche, ont été gigantesques et ont montré ce qu’il était possible de faire ensemble. Bien que des projets d’une telle importance bilatérale puissent avoir un potentiel, l’accent devrait être mis cette année sur des résultats plus modestes et plus réalistes ayant un effet tangible.
Enfin, l’un des défis les plus difficiles à relever, lié à l’histoire, à certains des exemples ci-dessus et, malheureusement, à de simples préjugés, est la méfiance et le scepticisme traditionnels et réciproques à l’égard des avantages d’une collaboration accrue. J’ai clairement constaté que les orientations politiques et stratégiques émanant des plus hauts niveaux cherchent à être mises en œuvre et délivrées avec énergie à des niveaux très inférieurs, mais qu’elles peinent souvent à progresser lorsqu’elles se heurtent à l’inertie des sièges respectifs. Qu’il s’agisse de prendre un risque ou d’engager des ressources pour atteindre un objectif stratégique, les plans les mieux conçus sont souvent contrariés par les responsables politiques ou les détenteurs de porte-monnaie qui trouvent des raisons de dire non ou de s’en remettre à des priorités nationales plus importantes. Les exemples que je pourrais citer vont de l’incapacité persistante à fournir des escorteurs pour les groupes aéronavals de l’autre partie à la recherche de nouveaux postes d’échange de personnel.
Domaines de coopération
À première vue – les deux nations cherchant à renforcer la défense en Europe et à investir dans les industries de défense ainsi que dans de nouveaux équipements –, il pourrait y avoir une série d’options de collaboration qu’un traité de Lancaster House réactualisé pourrait contenir et qui serait mutuellement bénéfiques marquant ainsi une intention stratégique commune. La task force chargée de l’actualisation du traité de Lancaster House travaille depuis janvier 2025 à l’identification des propositions à soumettre à l’examen. Dans certains cas, il s’agira probablement de partager des projets existants qui pourraient être alignés, mais il pourrait également s’agir de nouvelles idées qui nécessiteraient l’établissement d’un programme de travail commun.
Le nucléaire
« There is no greater evidence of the value we both attach to the bilateral relationship than our willingness to work together in this most sensitive area » (10)
En commençant par l’une des plus grandes réussites des traités de Lancaster House de 2010, il est important de reconnaître ce que le programme Teutates (11) a apporté en termes de recherche collaborative à l’appui de la dissuasion nucléaire du R-U et de la France. La construction, le financement et l’exploitation conjoints de l’installation de Valduc, d’un centre de développement technologique et d’un pas de tir au Royaume-Uni sur le site de l’Atomic Weapons Establishment (AWE) d’Aldermaston « reflètent les niveaux élevés d’engagement et de confiance mutuels qui existent entre les équipes des deux nations » (12), et garantissent la durabilité et la crédibilité à long terme de nos dissuasions nucléaires.
Paris et Londres entendent capitaliser sur ce succès et visent une coopération plus profonde que jamais, mais il s’agit là d’un sujet très sensible qui dépasse le cadre de cet article. Néanmoins, et à titre de spéculation, gageons que cela provoquera l’alignement de la communication sur ce que les dissuasions nucléaires respectives peuvent apporter à l’Europe, et favorisera la « déconfliction » des déploiements de sous-marins. Cependant, toute discussion visant à davantage coopérer sur le plan opérationnel risque d’entrer en conflit avec la ligne rouge nationale française concernant la participation au Groupe des plans nucléaires de l’Otan (NPG). Toutefois, Teutates reste une base solide pour le reste de la relation – si nous pouvons coopérer sur ce sujet, le plus sensible et le plus souverain, tout le reste devrait être très simple !
Base industrielle et technologique de défense (BITD)
La guerre en Ukraine a mis en lumière la fragilité de la capacité industrielle européenne. Les inquiétudes concernant les stocks et la capacité à augmenter la production sont apparues en même temps que l’attitude optimiste de l’administration Trump à l’égard des alliés européens, ce qui a conduit à des appels en faveur d’une plus grande autonomie stratégique de l’Europe. Dans l’ensemble, les secteurs industriels de la défense britannique et français ont la possibilité de coopérer et de mieux collaborer, mais aussi de favoriser une plus grande résilience. Le « Comité de stratégie industrielle » (CSI) bilatéral en est le vecteur. Pour commencer, le R-U doit s’inspirer du projet français de la Direction générale de l’armement (DGA) visant à identifier les nombreuses petites et moyennes entreprises qui agissent en tant que sous-traitants des entreprises principales, afin de comprendre leur exposition aux risques de sécurité physique et cybernétique, mais aussi afin de connaître leur source d’approvisionnement en matériaux. La création d’un directeur national de l’armement officiel (13) dans le cadre du processus de réforme de la défense devrait être le catalyseur de cette démarche au R-U. Une fois l’analyse effectuée, l’étape suivante consiste naturellement à comprendre les obstacles à l’augmentation de la production pour répondre à la demande croissante à mesure que les tensions géopolitiques s’intensifient. Néanmoins, un tel exercice pourrait dépasser le cadre national, afin d’identifier les groupes d’entreprises qui pourraient bénéficier d’un partage et d’une collaboration en vue d’une éventuelle interopérabilité. La collaboration sur les stratégies industrielles de défense et l’assurance des chaînes d’approvisionnement devraient naturellement se transformer en leadership dans tout le continent afin de réduire le plus grand risque pour l’autonomie stratégique : la duplication.
Au niveau des entreprises, le modèle « One MBDA » devrait être étendu plus largement à nos bases industrielles de défense respectives, ce qui doit certainement être un objectif du CSI. MBDA est souvent citée comme l’une des grandes réussites et il a été question d’un bureau de programme commun pour les armes complexes. Elle n’est cependant pas la seule à opérer des deux côtés de la Manche ; Thales (MMCM) et Airbus (A400M) sont d’autres exemples du secteur qui sont établis dans chaque pays (et, bien sûr parmi beaucoup d’autres). Même si, d’un point de vue militaire national, ces entreprises de défense traditionnelles apparaissent parfois comme des entités séparées et non coopératives, un accord créant un espace pour une collaboration et un partage, plus faciles – une Entente Industrielle – entre les deux nations encouragerait un esprit d’ouverture. À l’avenir, le secteur de l’innovation en matière de défense devrait également bénéficier d’une plus grande impulsion, en particulier dans le développement de domaines tels que l’intelligence artificielle, où des entreprises telles que Helsing sont actives à la fois au Royaume-Uni et en France.
Équipement et armement
Les armes complexes ont été la source d’une coopération franco-britannique fructueuse avant même les Traités de 2010. Storm Shadow (SCALP) et Meteor en sont des exemples, tandis que le Futur missile antinavire (FMAN) et Futur missile de croisière (FMC) l’une des collaborations phares de 2010, a connu quelques difficultés mais devrait être livré d’ici 2028. De même, le programme Maritime Mine Counter Measures (MMCM) a permis d’accomplir de grandes avancées grâce à la coopération de Thales avec les deux marines.
À l’avenir, compte tenu de la priorité que chaque nation accorde aux investissements dans les nouveaux équipements et à la consolidation des armements existants, la poursuite du développement dans le domaine des armes complexes est une étape naturelle. L’une des lacunes prioritaires à combler en matière de capacités découle des enseignements tirés du conflit ukrainien : l’avantage de pouvoir frapper en profondeur une force adverse bien avant qu’elle n’atteigne la ligne de front. Paris et Londres sont déjà membres du projet ELSA (European Long Range Strike Approach), un programme qui vise à développer une capacité de frappe au-delà de 2 000 km. Le Royaume-Uni et la France ont la possibilité d’aligner leurs exigences (y compris les différentes options de lancement) afin d’influencer ce programme européen multinational, en soutenant à la fois le leadership franco-britannique et l’autonomie européenne. Compte tenu du temps écoulé depuis 2010 pour rapprocher le FMAN/FMC de la production, le moment semble également opportun pour annoncer des travaux de développement en collaboration sur un futur missile de croisière/anti-navire, ainsi que des études sur l’avenir des missiles air-air et l’expansion de la coopération des capacités de défense aérienne et anti-missile intégrée. En outre, les décisions relatives aux mises à niveau à mi-vie de toutes les armes existantes, ainsi que l’approfondissement des travaux existants sur la défense aérienne et antimissile intégrée, devraient également être considérées comme des collaborations prioritaires. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine maritime car les leçons récentes tirées de l’utilisation des missiles Aster/Sea Viper en mer Rouge sont extrêmement précieuses.
En dehors des missiles, nous avons des programmes de chasseurs de 6e génération qui se déroulent en parallèle. Le Future Combat Air System (FCAS) est un programme franco-germano-hispano-belge en cours de développement avec Airbus et Dassault ; le Global Combat Air Programme est l’équivalent britannique/italien/japonais avec BAE, Leonardo, MBDA, Rolls Royce et Mitsubishi. Ces deux programmes visent à combiner des aéronefs pilotés et des drones/ailleurs fidèles dans le cadre d’une approche systémique, mais il semble que la raison de ce développement parallèle est largement liée à l’industrie. Ainsi, bien qu’il n’y ait aucun indice de fusion des programmes, des études doivent être menées pour comprendre les points communs et l’interopérabilité potentielle des armements, des sous-systèmes et des concepts d’utilisation. Par exemple, le partage de l’expérience tiré de l’utilisation des systèmes respectifs tel que le combat cloud, et l’exploration du potentiel de connectivité aérienne devraient également être résolument étudiés. Le développement à long terme d’un futur avion d’entraînement interarmées léger pourrait apporter des nouvelles plus positives (14).
En exploitant la capacité d’innovation des deux pays ainsi que les enseignements tirés de l’Ukraine, il serait judicieux de travailler conjointement sur le déploiement à grande échelle de drones et de missiles. Dans le domaine maritime en particulier, l’expérience du développement des MMCM pourrait constituer le point de départ des nouveaux échanges. Il est également possible d’aller encore plus loin avec des technologies de pointe et des domaines plus récents. En 2023, le sommet a évoqué l’évaluation de la coopération dans le domaine des armes à énergie dirigée, ce qui constituerait un programme conjoint passionnant, surtout si l’on tient compte de la rareté des systèmes de défense aérienne et antimissile basés au sol en Europe.
Dans les domaines les plus récents, Britanniques et Français ont beaucoup à offrir ensemble. Par exemple, ils pourraient envisager de développer des capacités communes en matière de contrôle spatial, de navigation spatiale et de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR). Plus important encore, dans la perspective de l’autonomie stratégique, les efforts déployés pour mettre en place de nouveaux réseaux de communication par satellite pourraient constituer une alternative à Starlink. Dans le même temps, l’Espace devenant de plus en plus contesté, la collaboration dans le domaine de la protection et de la sécurité des satellites offrirait à la fois de nouvelles opportunités et une sécurité accrue.
Le domaine cyber reste très spécialisé, en particulier pour les non-initiés, mais il est possible de partager les meilleures pratiques. Une coopération opérationnelle combinée permettrait au Royaume-Uni et à la France d’agir en tant que leaders européens dans ce domaine et de contribuer au développement des exercices cyber de l’Europe et de l’Otan.
Interopérabilité et opérations
Bon nombre des suggestions ci-dessus, si elles sont annoncées cette année, démontreront non seulement une forte volonté de coopération et de collaboration, mais elles amélioreront aussi considérablement l’interopérabilité entre le R-U et la France. L’actualisation du traité de Lancaster House en 2025 offre à la fois la possibilité de relever les défis qui entravent notre capacité à combattre efficacement les uns aux côtés des autres (15), ou de tirer parti des réussites.
La création de la Combined Joint Expeditionary Force (CJEF) a été l’une des annonces les plus médiatisées en 2010 et elle a été, à juste titre, au cœur des relations entre militaires, favorisant la coordination par le biais d’un réseau d’engagement à plusieurs niveaux. Malgré les avancées significatives et les niveaux enviables d’inter-opérabilité, la CJEF n’est pas encore opérationnelle, une partie du problème étant liée au mot « expéditionnaire » dans le nom et aux ensembles de missions prescrits. L’actualisation du traité offre l’occasion de relancer le projet et de le rendre beaucoup plus opérationnel. Outre une nouvelle dénomination, le conflit ukrainien rend nécessaire un nouvel ensemble de missions qui permettrait au R-U et à la France d’offrir une force plus importante pour une mission de dissuasion ou de réassurance davantage alignée sur l’Otan. Cela nécessitera naturellement un engagement supplémentaire des forces dans des exercices plus importants et plus fréquents, exigeant à son tour une capacité plus approfondie et à plus long terme de coordonner l’allocation des forces au projet.
Le commandement et le contrôle sont essentiels à cet égard, la difficulté de partager des informations classifiées apparaissant comme un obstacle récurrent à la réalisation d’opérations de haut niveau à de nombreux niveaux et dans différents domaines. Un thème récurrent des événements et exercices combinés est la difficulté de communiquer et de partager des informations classifiées, ce qui est particulièrement pertinent pour les deux marines. Les communications sécurisées qui peuvent être intégrées jusqu’à la ligne de front changeront la donne des opérations. Plus fondamentalement, l’établissement de normes techniques communes permettrait une plus grande intégration industrielle, afin de simplifier le processus de communication entre les équipements, même s’ils sont achetés séparément.
Zoom sur le maritime
La coopération dans le domaine maritime repose sur des bases solides, nos marines ayant l’habitude de travailler ensemble, peut-être plus que les armées de terre et de l’air en raison de la fréquence des déploiements effectués l’une à côté de l’autre sous les auspices des groupes navals permanents de l’Otan. L’un des principaux titres de Lancaster House évoquait le potentiel de coopération dans le domaine des porte-avions, avec des spéculations sur une plateforme commune et la capacité d’exploiter les aéronefs de l’autre. Cela ne s’est jamais concrétisé et j’ai évoqué les difficultés d’intégration des escortes dans les groupes d’attaque des porte-avions de l’autre partie. Le Strategic Interoperability Framework existant décrit une hiérarchie de projets et de comités de collaboration dont les officiers supérieurs des deux parties sont responsables de la mise en œuvre. Outre les programmes d’armement déjà mentionnés (par exemple FMAN/FMC) conçus pour approfondir la coopération en matière de défense aérienne maritime, il faut un effort concerté pour tenir enfin la promesse d’escortes réciproques dans les GAN (groupes aéronavals) à mesure que leurs déploiements sont mieux synchronisés avec les domaines prioritaires, qu’il s’agisse de démontrer leur portée et le soutien des priorités américaines dans l’Indo-Pacifique ou de renforcer la puissance européenne au sein de l’Otan. Cela pourrait également impliquer le développement d’un élément d’état-major maritime combiné permanent sous l’égide du futur CJEF.
Le projet existant de connaissance du domaine maritime dans le golfe de Guinée offre une superbe plateforme pour développer la coopération en matière de sécurité maritime au sens large. La capacité de partager des renseignements de manière bilatérale et d’engager un dialogue plus approfondi sur la sécurité maritime permettrait aux deux pays d’agir plus rapidement pour contrer les menaces de violation des sanctions par les flottes clandestines ou les menaces directes contre les infrastructures sous-marines essentielles. Cela nécessiterait probablement l’extension d’une architecture CIS pour permettre le partage de données en temps réel, mais si l’on prend l’exemple du golfe de Guinée, l’investissement en vaudrait la peine.
L’interopérabilité pourrait être davantage soutenue par une initiative bilatérale « Open Seas », qui pourrait simplifier (voire supprimer) les procédures d’obtention des autorisations diplomatiques pour des escales. En gros, le but sera de réduire les démarches bureaucratiques et encourager plus d’échanges entre les unités. En outre, cette initiative pourrait renforcer la lettre d’intention de 2019 et améliorer le soutien logistique mutuel.
Bien que de nombreuses propositions et solutions mettent l’accent sur les solutions technologiques, la clé du succès sera de faire correspondre le niveau d’ambition avec les ressources, en particulier le réseau des officiers d’échange. Lancaster House a étendu le réseau maritime à environ quinze officiers d’échange (16). Le moment est venu d’évaluer s’ils occupent les bonnes positions et surtout, de chercher à les renforcer, en particulier si nous voulons construire un cadre suffisant pour surmonter l’inertie institutionnelle résiduelle que j’ai décrite. Investir à la fois dans le réseau et dans le personnel de la défense renforcera la capacité d’absorber l’ambition croissante ainsi que les demandes concurrentes qui font que les officiers d’échange et même les attachés sont souvent mal employés. Plus précisément, les marines devraient chercher à placer des officiers de liaison dans leurs quartiers généraux respectifs, comme le font les deux autres armées, afin de soutenir une appropriation réalignée et dédiée par les chefs d’état-major de la marine, avec une supervision et une appropriation du réseau pour soutenir directement les états-majors internationaux des quartiers généraux respectifs et libérer les attachés navals du défi direct du Command & Control (C2). Un réseau élargi et mixte, avec des postes plus subalternes en mer et à terre, permettrait à ceux qui souhaitent s’investir dans cette relation d’avoir un plan de carrière déterminé avec de réelles perspectives.
D’autres passerelles devraient être explorées par le biais de jumelages ou d’affiliations au niveau de l’unité, en s’inspirant du programme de « liens d’amitié » des armées. L’École navale et le Britannia Royal Naval College entretiennent déjà des liens étroits (17) qui devraient être étendus à d’autres établissements de formation, mais l’impact le plus important serait de jumeler des unités de mer similaires et d’encourager des échanges occasionnels de pollinisation croisée.
Le sommet de cet été et le renouvellement des traités de Lancaster House offrent au Royaume-Uni et à la France la possibilité de renforcer leurs positions en tête du pilier européen au sein de l’Otan et de donner l’exemple d’une collaboration sur la voie d’une plus grande autonomie stratégique européenne. Ce faisant, le sommet offre une réelle opportunité d’élargir les possibilités. Il s’agit à la fois d’un laboratoire et d’un exemple pour l’unité de la défense européenne, ainsi que d’un moyen de faire progresser la cohésion des alliés, sans parler de l’alignement des stratégies de défense britannique et française dans un monde de plus en plus multipolaire.
Je ne pense pas que nous assisterons à un nouveau moment Concorde qui changera la donne, bien que la perspective d’une coopération nucléaire encore plus approfondie puisse être considérée comme telle, pas nécessairement à grande échelle, mais comme la démonstration ultime de la confiance.
Cette année, la véritable opportunité réside dans la consolidation et l’amélioration des accords, modèles et structures existants dans les domaines politique, industriel, militaire et de l’armement. Pour réussir, il est essentiel de trouver des moyens d’encourager une plus grande collaboration industrielle dans le domaine de la recherche et du développement, afin de soutenir des décisions d’achat communes et de meilleure qualité. La croissance économique étant une priorité essentielle pour les deux nations, nous ne pouvons pas nous permettre de poursuivre la concurrence pour les exportations ; le développement partagé permettra de réduire les coûts d’approvisionnement et d’améliorer l’interopérabilité pour une offre d’exportation plus attrayante.
Pour les marines, je propose trois priorités essentielles :
• Interopérabilité numérique – le fait de permettre à nos forces de partager des informations et des renseignements éliminera l’un des principaux obstacles à la collaboration. Faciliter le partage d’informations secrètes et supérieures ne nous rendra pas seulement plus conscients, mais renforcera également la confiance dans le travail bilatéral, en éliminant la stigmatisation et les préjugés.
• Assurer la coopération entre les porte-avions – en garantissant la présence d’escortes réciproques et de navires auxiliaires dans les groupes d’intervention des porte-avions de l’autre partie.
• Augmenter l’ambition et développer le réseau – non seulement pour améliorer la liaison et les échanges quotidiens, mais aussi pour démontrer viscéralement que nous sommes sérieux dans notre volonté de promouvoir le partenariat entre Paris et Londres.
L’invitation de Sa majesté le roi Charles III au président de la République Emmanuel Macron pour une visite d’État du 8 au 10 juillet (18) laisse penser que les négociations entreront bientôt dans une phase cruciale. L’approfondissement et le renforcement sont la seule façon d’obtenir des résultats pour les deux pays et pour l’Europe, en général.
(1) NDLR : pour une analyse des accords de Lancaster House, dix ans après, voir Guitton Alice, « Dixième anniversaire des traités de Lancaster House, 2 novembre 2020 », RDN, n° 834, p. 29-33 (www.defnat.com/).
(2) Déclaration conjointe franco-britannique sur la coopération nucléaire entre les deux pays, Londres le 30 octobre 1995 (www.vie-publique.fr/).
(3) NDLR : Au sujet du Brexit, voir le numéro de novembre 2020 de la RDN : « La relation de défense franco-britannique au temps du Brexit », bilingue, 172 pages (https://www.defnat.com/sommaires/sommaire.php?cidrevue=834).
(4) Zajec Olivier, « L’AUKUS, une surprise stratégique pour la France ? », RDN, n° 852, été 2022, p. 43-47 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=22937&cidrevue=852).
(5) Communiqué de presse conjoint de la France et du Royaume-Uni, 18 juillet 2024 (www.elysee.fr/).
(6) Miller Sergio, « French Defence Response to Russia », WavellRoom, 22 novembre 2023 (https://wavellroom.com/).
(7) Young Sarah, « UK to become ‘defence industrial superpower, Finance Minister says », Reuters, 26 mars 2025 (https://www.reuters.com/world/uk/uk-become-defence-industrial-superpower-finance-minister-says-2025-03-26/).
(8) Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), « Stratégie de défense française en Indopacifique », 2019, 24 pages (www.defense.gouv.fr/).
(9) Lagneau Laurent, « L’armée de l’Air et de l’Espace préoccupée par le manque d’interopérabilité entre le Rafale et le F-35 », Zone militaire – Opex 360, 9 mars 2022 (www.opex360.com/).
(10) Declaration on Security and Defence, France-UK Summit, 31 janvier 2014 (https://assets.publishing.service.gov.uk/).
(11) Le traité Teutates a été signé entre la France et le Royaume-Uni à Lancaster House, à Londres, le 2 novembre 2010 par le président de la République française et le Premier ministre britannique. Ce traité matérialise la coopération franco-britannique sur le nucléaire de défense. Commissariat à l’énergie atomique (CEA), « Teutates, 10 ans de coopération franco-britannique », novembre 2020, 20 pages (https://www-teutates.cea.fr/pdf/plaquette-epure-fr.pdf).
(12) Ministry of Defence, The United Kingdom’s future nuclear deterrent: the 2022 update to Parliament (Corporate report), 8 mars 2022 (www.gov.uk/).
(13) La réforme de la défense réorganise la production du ministère britannique de la défense en quatre piliers : le département d’État, le quartier général stratégique militaire, la direction nationale de l’armement et la défense nucléaire.
(14) « Lancaster House treaty puts UK and France in Europe’s cockpit », Aeralis, 10 mars 2025 (https://aeralis.com/).
(15) En Estonie, nos unités ne sont pas capables d’effectuer des entraînements communs en raison de défaut d’interopérabilité de nos SIC.
(16) Le réseau de personnes des marines est exclusivement constitué d’officiers d’échange, celui de l’Armée de terre d’officiers de liaison et celui des forces aériennes d’un mélange.
(17) Voir l’École navale sur le réseau social X à propos du jumelage entre les deux institutions (https://x.com/Ecole_navale/status/1807700745237537051).
(18) Moench Mallory, Coughlan Sean, « Macron to travel to UK for French state visit in July », BBC News, 13 mai 2025 (https://www.bbc.com/news/articles/czx0dl7ljeno).









