Suite et fin d'un article dont la première partie a été publiée dans le précédent de la RDN.
De Bandoeng à Brazzaville (fin)
Pour qui sait à quel point le marxisme est obsédé par la puissance, le doute n’est guère permis sur ce que ménage au monde cette fin de millénaire. Les événements peuvent, certes, prendre un cours moins désastreux. Sous Koubilaï, la Chine sut absorber et assimiler la conquête mongole. Avant que ses modernes Gengiskanides aient réalisé sa métamorphose, son attachement à la terre et à la famille, au prix d’un brutal et utile rajeunissement, peut fort bien lui restituer ses traits historiques de nation pacifique et de haute culture. Rien n’assure toutefois que cette réaction aura lieu, ni qu’elle surviendra avant le drame où la conduisent les équipes attelées à sa déshumanisation. Force est donc de s’inquiéter, afin s’il se peut d’y parer.
Reste que ce souci nous est assez particulier. S’il nous oblige à envisager, à court terme, une défense efficace, il n’est pas en Afrique ressenti aussi nettement. Des dangers que nous voyons grandir et se rapprocher n’y troublent guère les esprits. Sans doute une minorité en a-t-elle conscience ; pour le moment, du moins, les élites politiques s’en désintéressent. Nous béons de surprise lorsqu’un prince alaouite quête à Moscou la mansuétude dont Pierre Laval se servit sous Staline pour neutraliser nos communistes, alors que le triomphe de ce parti, au Maroc, mettrait un point final à sa dynastie. Nous ne sommes pas moins étonnés de la longanimité d’un Bourguiba à l’égard de membres du pseudo-gouvernement algérien bien plus éloignés de lui que d’un Mao dont le triomphe lui vaudrait la corde de chanvre. Voici maintenant qu’au Congo, exemple naguère cité d’une colonisation réussie, la proclamation de l’indépendance déclenche le chaos. Si nous allons ainsi de stupéfactions en ébahissements, c’est que, victimes d’une optique aberrante, nous modelons sur nos propres interprétations, la résonance des événements chez des peuples d’une structure mentale ensevelie chez nous sous des siècles d’histoire. Nous nous disons que l’Afrique est jeune ; que, politiquement, économiquement, elle sort à peine de l’enfance, et nous oublions qu’elle a un passé ; que ce passé vivant et récalcitrant ne s’apprivoisera pas, ne s’éduquera pas, ni, s’il le faut, ne sera aboli, sans dure mise à l’épreuve de son savoir encore scolaire et de sa naissante expérience.
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