Les conséquences de la crise de l'armée sur les relations civil-militaire
L’armée constitue-t-elle une menace pour la stabilité politique en Russie ? Cette question, liée à la crise matérielle et morale que vivent les forces russes depuis la disparition de l’Union soviétique, figure au nombre des préoccupations qui, à Moscou comme en Occident, ont été renforcées par la crise financière et politique qui a frappé la Russie à l’automne 1998. À cette époque, le général Lebed ne fut pas seul à prédire que cette nouvelle secousse allait accentuer les risques de mutinerie et accroître les tensions dans les relations entre le pouvoir politique et l’armée.
Malaise entre « l’Équipe Eltsine » et l’armée
Ces inquiétudes se nourrissent des ambitions politiques affichées au cours des dernières années par certains généraux, ainsi que de l’apparition de plusieurs mouvements tenus par des militaires, dont quelques-uns sont connus pour bénéficier d’un certain crédit au sein des forces. En septembre 1997, le général Lev Rokhline, alors président de la commission de la Douma pour la défense, fondait le Mouvement de soutien à l’armée, aux militaires, à la science militaire et à l’industrie de défense. Parmi les successeurs de L. Rokhline, assassiné en juillet 1998, figure le général Makachov. Candidat à la présidence russe en juin 1991, soutien du putsch manqué d’août 1991, puis appui des parlementaires retranchés au Soviet suprême en octobre 1993, il est aujourd’hui n° 2 de ce même mouvement. L’ancien directeur du service des gardes-frontières (FPS), le général Nikolaev, a créé en juillet 1998 l’Union de la démocratie et du travail, tandis que l’ex-ministre de l’Intérieur, le général Koulikov, dirige le mouvement Guerriers de la Patrie. Le général Boris Gromov, ancien commandant des forces armées soviétiques en Afghanistan et connu pour avoir remis sa démission au début de la guerre en Tchétchénie pour signifier son opposition à cette opération, occupe un siège à la Douma et préside le Mouvement panrusse des vétérans des guerres et conflits militaires locaux (1). Le général Lebed, qui s’est fait élire gouverneur du kraï sibérien de Krasnoïarsk en mai 1998, préside le Parti républicain populaire russe, tandis que le général Routskoï (2) dirige l’oblast de Koursk et se trouve lui aussi à la tête d’une organisation politique (Derjava). Quelles que soient par ailleurs leurs convictions et orientations politiques, ces personnalités militaires ont pour point commun d’exprimer des avis très sévères sur la politique du gouvernement à l’égard de l’armée.
Les dirigeants russes ne semblent pas indifférents à ces signaux. Que certains des militaires qui ont créé ces mouvements (Gromov, Routskoï, Lebed, Koulikov, Nikolaev) soient d’anciens « alliés » politiques répudiés par Boris Eltsine n’est pas fait pour tranquilliser les proches de ce dernier. Et si l’ensemble de ces mouvements n’ont ni une ampleur, ni une audience très importantes, leur existence a néanmoins contribué au renforcement d’un climat de malaise entre la communauté militaire et les pouvoirs politiques. Deux événements, en particulier, auront attiré l’attention de ces derniers sur les risques politiques attachés à la crise des forces armées. En 1996, le général Rodionov, alors ministre de la Défense, était sorti de la réserve que lui dictait théoriquement sa présence au gouvernement en jugeant publiquement que l’armée était au bord de l’insurrection et qu’il était le « ministre d’une armée qui s’effondre et d’une marine à l’agonie ». Les déclarations véhémentes du général Rokhline, lui aussi en fonctions officielles (à la Douma (3)), sur la responsabilité du gouvernement dans l’état déplorable des forces armées, ses appels à la démission du président Eltsine avaient également alarmé le pouvoir politique. Il faut dire que son mouvement bénéficiait du soutien du général Rodionov et du général Lebed, le rendant ainsi susceptible de susciter des adhésions plus variées, et de « gommer », au moins dans une certaine mesure, les divisions qui parcourent le corps des officiers et qui « rassurent » les autorités politiques quant à la perspective d’une réaction d’ensemble de l’armée qui leur serait défavorable.
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