Publiées régulièrement, ces analyses inédites d’ouvrages sont en accès libre, tout comme les recensions publiées dans l’édition mensuelle.
« Le “phénomène guerre” est un animal polymorphe qui questionne désormais tous les citoyens, ne serait-ce parce qu’ils sont des cibles potentielles », nous rappelle dans son dernier livre Pierre Servent, ancien conseiller ministériel et porte-parole du ministère de la Défense. Il s’agit ici pour lui de « rendre accessible ce qui est complexe » en partant des grands enjeux géostratégiques, mais aussi de « sortir du franco-centrisme en s’ouvrant sur les réalités du monde ».
L’ambition de l’auteur de ce livre, universitaire et enseignant à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, est de « donner des clés historiques de comparaison entre les univers islamique et européen en étudiant leurs repères temporels, spatiaux, sociaux, leurs références religieuses et leurs appartenances communautaires et politiques, et ce, à travers toute leur chronologie et toute leur géographie ». Le sous-titre du livre, « Histoire croisée de deux civilisations », donne bien la tonalité qu’Olivier Hanne a entendu donner à son travail : « Sur un sujet aussi complexe et aussi piégé [prend-il soin de nous avertir], si l’on ne veut pas raisonner à vide, il faut en passer par la notion de civilisation, car c’est bien de cela qu’il s’agit derrière l’impression d’apparente incompatibilité entre l’Europe et l’Islam : l’impossible rencontre entre deux univers dont les définitions englobent la religion, mais aussi la dépassent ».
Désormais, tout ouvrage de stratégie et de géopolitique sera certainement examiné sinon jugé à l’aune de la guerre en Ukraine, surtout s’il traite de la puissance dans toutes ses formes et ses manifestations. On n’imputera pas à Frédéric Encel d’avoir conclu son ouvrage par cette note optimiste : « Il est en cette fin du premier tiers du XXIe siècle un authentique motif d’optimisme : on n’a jamais autant négocié. Le constat peut paraître évident, poursuit-il, si l’on considère que la capacité technique à discuter, échanger, débattre et – donc – négocier – s’est si tellement perfectionnée, notamment grâce aux moyens de communication, que la planète est devenue un village planétaire. »
Le capitaine de la Luftwaffe Nicolaus von Below, de vieille noblesse prussienne, entre à la Chancellerie du Reich le 16 juin 1937 comme « aide de camp Luftwaffe » d’Hitler. Il ne la quittera que le 29 avril 1945 à travers Berlin en ruines. Entre ces deux dates, il aura passé la plupart de son temps au contact d’Hitler, souvent même dans son intimité. Chargé de la liaison avec la Luftwaffe, il remplit auprès du Führer une fonction difficile et importante pour laquelle il doit être en mesure de le renseigner à tout moment. Il doit ainsi se tenir au courant de l’état des forces, de la situation de l’industrie aéronautique, des développements techniques et des prévisions de production. Il lui faut aussi connaître parfaitement le fonctionnement de la « machine militaire » pour transmettre les remarques et les ordres d’un chef qui répugne à écrire. Von Below devient en outre en 1944 l’homme de liaison d’Albert Speer, grand maître de l’économie de guerre du Reich. C’est dire l’importance du personnage au sommet de l’État.
Dans son dernier livre, Max Schiavon, après nous avoir déjà donné, il y a quelques années, une remarquable biographie de Weygand, s’intéresse à son successeur et cherche à percer ce qu’on a appelé le « mystère Gamelin » : comment cet officier considéré parmi les plus brillants de sa génération et possédant la confiance des dirigeants politiques, a-t-il pu conduire nos armées au désastre en 1940 ? La réponse est certainement à rechercher au niveau de son caractère, ce que l’auteur fait avec brio tout au long de son récit.
Né en Palestine en 1915 (ce qui en faisait donc un « sabra » dans le vocabulaire israélien), de parents qui avaient immigré au début du siècle et rejoint un kibboutz, Moshe Dayan conserva toujours une certaine distance à l’égard de l’esprit communautaire si répandu à cette époque dans son environnement familial. « Le collectivisme absolu, la vie en groupe de même que l’égalité ne conviennent ni à mes habitudes ni à mon tempérament », écrivit-il plus tard. Le conformisme non plus : en 1935, il invite à son mariage la tribu arabe locale au grand complet au grand dam de son entourage.
Alors que l’agression russe contre l’Ukraine s’intensifie tout en faisant planer le risque d’embrasement international, le think-tank américain se projette déjà sur l’après-guerre. « Quel sera donc l’état du monde après cette guerre à l’issue incertaine ? », s’interrogent les analystes. Ceux-ci s’accordent, d’entrée de jeu, sur le fait que la guerre en Ukraine marque le début d’une nouvelle ère qui sera définie à la fois par le résultat sur le terrain militaire et la réponse internationale.
L’assassinat politique est aussi vieux que le monde. Si le suicide imposé à Socrate peut entrer dans cette catégorie, le meurtre de César aux ides de mars 44 av. J.-C. également. Il répond en effet à une logique éternelle, car comme l’explique l’universitaire médiéviste Colette Beaune dans un livre coécrit avec l’homme politique Nicolas Perruchot, « tout assassinat d’un dirigeant politique est une protestation explicite ou non contre l’ordre du monde, tout assassin pense pouvoir l’améliorer par son geste, tout assassin espère changer le monde… Le but de la violence n’est pas celle-ci, mais au contraire le rétablissement d’une société plus juste… ».
Irak, Syrie, Liban, Yémen, Libye : la liste des États arabes en faillite est imposante et menace directement l’Europe. Échec du confessionnalisme politique au Levant et en Irak, dans le contexte d’une guerre confessionnelle entre sunnites et chiites, également étendue au Yémen, absence d’identité commune en Libye. C’est tout un modèle étatique de l’État-nation, importé par les puissances européennes au moment de la colonisation de ces pays par la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, qui sombre dans un chaos généralisé. À l’exception du Yémen, ces États sont des créations coloniales qui se sont souvent imposées contre des majorités qui ont été vaincues militairement. Ce fut particulièrement vrai pour l’État irakien, l’État syrien et en Libye.
Enlevé à Bagdad en janvier 2020 avec trois de ses collègues de l’association humanitaire « SOS Chrétiens d’Orient », Alexandre Goodarzy ne retrouvera la France qu’après trois mois de captivité dans des conditions difficiles. Il nous relate cette épreuve dans ce livre, mais pas seulement. L’essentiel pour lui est ailleurs. Même si beaucoup a déjà été fait, notamment par le biais de l’association dont il est l’un des dirigeants et pour laquelle il a passé plusieurs années en Syrie. Aujourd’hui le monde chrétien oriental représente 3,5 millions de chrétiens répartis sur l’Irak, la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine et Israël (si l’on ne compte pas les Coptes égyptiens). La Syrie fut, il y a deux mille ans, le premier pays chrétien.
Le réchauffement climatique en Arctique est trois fois supérieur à celui du reste de la planète. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), démontre de façon irréfutable que ce dernier est responsable de la réduction de l’extension de la banquise à la fois en superficie, mais également en épaisseur. La mer libre laissée par la fonte de la banquise permet d’envisager un trafic maritime de plus en plus important à travers l’Arctique sur une période estivale plus large, passée de quatre à six mois. Si d’aucuns y voient une opportunité de nouvelles routes maritimes plus courtes qui pourraient se substituer aux routes historiques via le canal de Panama ou le canal de Suez, Hervé Baudu démontre qu’il faut raison garder quant à l’optimisme affiché sur les réelles économies réalisées.
La mer de Chine méridionale, espace maritime situé au sud de la Chine, à l’ouest des Philippines et à l’est du Vietnam, est déjà le théâtre où s’opposent les deux grandes puissances d’aujourd’hui, la République populaire de Chine et les États-Unis d’Amérique. Ce n’est d’ailleurs nul hasard si, malgré l’aide massive octroyée à l’Ukraine, en Javelin ou en Stinger, Washington entend garder des réserves substantielles en cas de conflit à propos de Taïwan. Ces sujets sont de plus en plus abordés par la presse occidentale comme asiatique, les événements qui s’y déroulent alimentent les réflexions, les études ou les hypothèses des experts et commentateurs sur les évolutions de l’ordre mondial. Les risques d’escalade sont donc multiples, même si la situation n’a rien à voir avec celle des années 1950 ou 1960 : l’interdépendance économique entre les deux pays et la mondialisation des échanges commerciaux restent un garde-fou.
L’actuelle guerre en Ukraine, dont l’ampleur et la férocité ont été surprenantes, ne doit pas occulter les autres théâtres géopolitiques et guerriers. Dans cette optique, le vaste Maghreb/Moyen-Orient fait bien figure de zone de fractures et de ruptures. Le conflit du Yémen, qui passe au second plan, perdure, et de temps en temps des drones lancés par les Houthistes frappent des installations pétrolières saoudiennes. Récemment une série d’attentats, perpétrés par l’État islamique ou une de ses créatures a causé une dizaine de victimes en Israël. Si l’Europe doit se passer de pétrole et de gaz russe, c’est en priorité vers l’Arabie saoudite, les EAU et le Qatar qu’elle se tournera avant que l’Iran ne revienne sur le marché pétrolier.
Gérard Chaliand est l’un de nos grands géopoliticiens, voyageur, homme de lettres. Longtemps en marge des institutions de recherche, aujourd’hui spécialiste reconnu des guérillas et du terrorisme, il publie ici le deuxième tome de ses mémoires qui courent de 1981 à 2021, où se croisent récits intimes, rencontres excentriques et analyses des terrains d’enquête qui l’ont occupé durant ces quarante années, jalonnées de séjours prolongés en Afghanistan, en Irak, en Arménie ou en Chine, sans oublier les États-Unis, qu’il connaît bien.
Au lendemain du retrait controversé des forces américaines d’Afghanistan, des experts s’appesantissent sur la conduite de la guerre globale contre le terrorisme lancée après les attentats du 11 septembre 2001. Qui a donc gagné cette guerre ? S’interroge fort opportunément le célèbre magazine, d’obédience libérale, dans un dossier digne d’intérêt.
Grâce à la gestion habile de ses ressources financières, issues de sa manne pétrolière, sa position stratégique à la pointe de la péninsule Arabique, et l’intelligence et la stratégie de son dirigeant, le prince héritier Mohamed ben Zayed Al Nahyane (MBZ), les Émirats arabes unis sont en mesure de poursuivre leur ambition de grande puissance régionale : en Somalie, à Djibouti et en Érythrée, où ils ont établi une base à Assab, ils ont massivement étendu leur emprise sur le terrain. Ils exercent également une influence certaine au Soudan, faisant appel notamment aux mercenaires de ce pays. En Somalie, la société DP World, le troisième gestionnaire de ports du monde, a obtenu la gestion du port de Berbera. L’expérience de MBZ en Égypte et en Libye confirme que la force armée peut être employée avec succès pour sécuriser les intérêts géopolitiques des EAU.
On a beaucoup écrit sur le terrorisme depuis quelques décennies, mais on ne s’est généralement attaché qu’à l’une de ses variantes ou qu’à une période historique particulière. Le livre de l’historien militaire américain John Lynn constitue au contraire l’une des études les plus complètes jamais parues sur le sujet et en aborde véritablement toutes les facettes, ce qui fait son intérêt.
La question russe, car c’est d’elle dont il s’agit, ne cesse de nous interpeller, alimentée constamment par le durcissement des relations entre l’Occident et la Russie, à laquelle celle-ci répond par le perfectionnement constant de son outil militaire et son rapprochement de plus en plus prononcé avec la Chine. Les Européens, l’Otan et les États-Unis ont les yeux rivés sur la frontière russo-ukrainienne, où leurs grands yeux ont perçu les préparatifs d’une guerre dont le déclenchement, qui ayant suscité scepticisme, de part et d’autre, a bien eu lieu et ce d’une manière aussi massive qu’inattendue ! La France, appuyée en cela par l’UE, a cherché à prévenir la Société militaire privée (SMP) Wagner d’intervenir à Bamako, à l’encontre de laquelle Bruxelles vient d’édicter un train de sanctions, mais sans résultat, ce qui a été l’une des raisons du départ de Barkhane du Mali. Ajoutons les agissements du « satellite » biélorusse, dépendant de plus en plus de Moscou, la présence russe en Syrie, ses ambitions africaines, la liste des contentieux s’allonge et les imprévus s’approfondissent.
Le 23 novembre 1961, le général de Gaulle réunit à Strasbourg près de 5 000 officiers pour célébrer le dix-septième anniversaire de la libération de la ville. Le climat est lourd après une tentative avortée de putsch militaire à Alger. Tout en évoquant la fin des conflits de décolonisation, le général de Gaulle dessine le nouveau rôle des forces armées françaises « dans les conditions qui sont celles de notre temps » et dans le cadre de la « grande politique » qu’il compte mettre en œuvre pour que la France retrouve son rang. Dans ce contexte postcolonial, il s’agit pour la France d’assurer son rang international en même temps que sa sécurité et son indépendance. Cette autonomisation militaire s’accompagne d’une autonomisation diplomatique à l’égard des États-Unis et vers une Europe des Six qui se doterait d’une personnalité en matière de défense sous leadership français. Ce grand dessein gaullien a suscité finalement moins de transformations qu’espéré, les autres États, ouest européens, préférant dépendre du protecteur américain. A-t-on beaucoup progressé depuis soixante ans ? Telle est l’une des graves questions auxquelles Michel Goya répond avec force.
Les peuples arctiques, dont on connaît surtout les Inuits au Canada ou les Samis en Scandinavie fascinent les hommes des régions tempérées. L’étude de ces communautés a produit de très belles pages dans la littérature de Jean Malaurie à Paul-Émile Victor. Du fait du réchauffement climatique, le passage maritime de la Route du Nord par l’est, le long des côtes sibériennes, ouvre des perspectives nouvelles. De même ces horizons nouveaux recèlent bien des ressources énergétiques, minérales ou halieutiques. L’augmentation des températures en Arctique aura pour conséquence que la banquise d’été, présente depuis plus de 100 000 ans, aura disparu au cours des cinquante prochaines années. Entre 1979 et 2019, la banquise arctique a perdu 75 % de son volume et le pôle Nord, au cœur de l’océan Arctique, sera libre de glace en été d’ici les vingt prochaines années. Il n’y a pas que la banquise qui disparaît, la terre aussi. Le sol perpétuellement gelé, connu sous le nom de pergélisol, disparaît à un rythme sans précédent, laissant derrière lui des côtes érodées, des marais humides et de grands cratères tandis que les sols s’affaissent.
Né à Bakou en 1963, officier dans la marine soviétique puis ingénieur aux États-Unis, Andrei Martyanov est l’auteur de Losing Military Supremacy. The Myopia of American Strategic Planning (Clarity Press Inc., 2018), dont nous avions à l’époque rendu compte ici même. Le présent livre est en quelque sorte la suite logique du précédent et s’intéresse à la véritable révolution militaire que constitue selon lui le développement des nouvelles armes hypersoniques. L’ouvrage commence par une réflexion sur la notion de puissance, car « la politique se définit par des éléments de puissance, notamment économique et militaire ».
La sonnette d’alarme retentit encore aux frontières orientales de l’Ukraine. De fortes concentrations de forces évaluées entre 110 000 et 130 000 hommes y ont été acheminées, avec leur équipement lourd, afin d’y conduire pour Moscou des manœuvres, afin de préparer une invasion estime Kiev, se basant sur les observations américaines. Le président Volodymyr Zelensky avait choisi, pour sa part, la date symbolique du 1er décembre – 30e anniversaire du référendum sur l’indépendance – pour proposer un dialogue direct avec Moscou afin d’apporter une solution à la crise ukrainienne, alors que les responsables russes ne se considèrent pas parties au conflit enjoignant au contraire au gouvernement ukrainien d’entrer en contact direct avec les « insurgés » de Lougansk et du Donbass.
La Révolution française est certainement l’événement historique qui a fait couler le plus d’encre depuis deux siècles. Elle a généré aussi une quantité énorme de recherches universitaires et ce dans des domaines très différents, de l’histoire militaire à l’économie, en passant par la sociologie et la science politique. De ces études, il est désormais possible d’extraire quantité de données chiffrées et de tableaux statistiques permettant de comprendre cette période dans sa globalité et dans ses multiples dimensions. Une nouvelle méthode de présentation des données, l’infographie, permet de visualiser immédiatement les différents côtés d’une question, avec la clarté et la simplicité que permet le designgraphique moderne.
Sur la carte de l’Europe actuelle, la Hongrie n’apparaît que comme un petit pays d’un peu plus de 93 000 km² peuplé d’environ 9 800 000 habitants. Cette situation est le résultat du traité de Trianon, signé le 4 juin 1920, qui vit l’ancien royaume millénaire amputé de 70 % de son territoire. L’onde de choc provoquée par cet événement se ressent jusqu’à nos jours. L’insistance sur le passé traduit la difficulté à construire une nouvelle identité libérée des deux totalitarismes du XXe siècle que la Hongrie a connus et qu’elle peine à interroger. Telle est la trame centrale de l’ouvrage de Catherine Horel qui va au-delà des péripéties conjoncturelles ou des événements ponctuels. On le voit bien. L’intégration dans l’Union européenne n’a pas suffi à gommer ces souvenirs qui resurgissent régulièrement et expliquent en partie l’attitude du Premier ministre Viktor Orbán, qui ne cesse de défier ses partenaires européens en s’obstinant à mener une politique contraire aux valeurs qu’ils prétendent lui imposer.
Ils furent près de 15 000, les combattants de l’Union française dans la bataille de Diên Biên Phu, coupés de tout sauf du ciel, grâce à la modeste aviation française d’Indochine renforcée par quelques poignées de pilotes civils américains, pour faire face à un adversaire au moins cinq fois supérieur en nombre, galvanisé par la force du patriotisme et de l’idéologie combinés, aguerri par des années de lutte clandestine et puissamment renforcé par l’aide des « pays frères », chinois et russe. Le 7 mai 1954, jour où les soldats de l’Armée populaire du Vietnam (APV) submergèrent le centre de résistance du camp retranché de Diên Biên Phu, ils étaient à peine 10 000. Au terme de longues semaines de captivité, il ne devait finalement en revenir qu’un peu moins de 3 300.
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