Mai 2022 - n° 850

La guerre en Ukraine et le monde d'après…

« La moindre injustice, où qu'elle soit commise, menace l'édifice tout entier. »

Martin Luther King
136 pages

Troisième mois de guerre entre la Russie et l’Ukraine ! Moscou n’arrive pas à gagner et Kiev n’a pas perdu mais, pour autant, ce conflit de haute intensité, où les combats rappellent ceux de la Seconde Guerre mondiale par leur violence tout en utilisant les ressources de la guerre hybride du XXIe siècle, remet en cause l’échiquier international et engage le monde dans des bouleversements durables et des fractures géopolitiques majeures. Si le 11 septembre 2001 avait ouvert un chapitre dramatique de vingt ans qui s’est refermé avec l’évacuation piteuse de Kaboul en août dernier, le 24 février ouvre une nouvelle ère, une boîte de Pandore dont nul ne peut prédire les conséquences. Certes, il ne s’agit pas d’une troisième guerre mondiale – il faut l’espérer – mais désormais d’une mondialisation de la guerre avec ses conséquences notamment économiques comme le risque de pénurie alimentaire, en particulier pour les pays dépendant du blé ukrainien et la hausse accélérée des prix des matières premières. Lire la suite

  p. 1-1

La guerre en Ukraine et le monde d’après…

La Russie de Vladimir Poutine est engagée dans une confrontation majeure non seulement avec l’Ukraine, mais aussi avec les pays se réclamant de la démocratie et de l’Occident. Ceux-ci n’ont pas vu, ou voulu voir, les évolutions du régime totalitaire de Poutine aux ambitions impérialistes. Lire les premières lignes

  p. 7-13

La guerre en Ukraine rebat complètement les pièces de l’échiquier géopolitique mondial. Si la Russie risque de se fourvoyer dans un isolement durable et regrettable, l’Europe est aussi en train de constater son impuissance stratégique et ses multiples dépendances dont celle à l’égard des États-Unis. Lire les premières lignes

  p. 14-20

La bataille médiatique est une des composantes majeures du conflit avec des enjeux de perception auprès des opinions publiques pour obtenir leur adhésion. À ce jour, Volodymyr Zelensky montre une habileté supérieure à Vladimir Poutine dont la communication paraît complètement décalée et contre-productive. Lire les premières lignes

  p. 21-26

La Suède applique une politique de neutralité depuis 1810 qui s’appuyait sur une défense forte. Pendant la guerre froide, les Suédois ont maintenu un appareil militaire solide qui fut cependant réduit à partir des années 1990. Avec la guerre contre l’Ukraine, la question d’une adhésion à l’Otan devient centrale. Lire les premières lignes

  p. 27-32

La guerre actuelle souligne l’importance de la mer Noire, dont le contrôle est stratégique. La Russie y a des ambitions ouvertes, visant à isoler l’Ukraine. Toutefois, la Convention de Montreux de 1936 limite les potentialités de Moscou, tout en donnant à la Turquie un rôle non négligeable. Lire les premières lignes

  p. 33-36

Le conflit russo-ukrainien est déjà très riche de leçons opérationnelles avec des échecs dans la mise en œuvre de l’échelon opératif pourtant au cœur de la doctrine russe, elle-même issue directement du modèle soviétique. D’où le besoin d’analyser les erreurs de Moscou pour nos propres forces. Lire les premières lignes

  p. 37-44

Les Balkans occidentaux

L’histoire contemporaine des Balkans a été complexe et douloureuse avec des fractures puisant leurs sources dans des rivalités géopolitiques. L’Union européenne et l’Otan ont pris conscience du besoin de renouveler leur action pour mieux associer les États de la région et ainsi réduire les risques de conflits. Lire les premières lignes

  p. 45-52

L’adhésion des pays des Balkans à l’Union européenne est un processus laborieux, tant la situation des États de la région laisse à désirer, au regard des critères d’intégration. Or, face à l’entrisme de puissances comme la Russie, la Turquie ou la Chine, il est urgent pour l’UE de proposer une vraie perspective. Lire les premières lignes

  p. 53-59

Trente ans après le délitement de la Yougoslavie, l’Europe s’y est beaucoup investie et reste active en s’efforçant de développer des instruments efficaces, permettant de contrer les tentations nationalistes. La crise en Ukraine a accéléré cette nécessité pour préserver une paix qui reste fragile. Lire les premières lignes

  p. 60-63

La radicalisation islamiste dans les Balkans occidentaux est une réalité issue de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Cela a facilité le transit de terroristes venant du Moyen-Orient vers l’Europe. D’où le besoin pour l’UE d’être présente et de contribuer à lutter contre cette menace. Lire les premières lignes

  p. 64-67

Les États des Balkans occidentaux ont accru leur effort de défense avec des raisons plus ou moins ambiguës, souvent empreintes d’un renouveau du discours nationaliste. Si le risque de guerre semble peu probable, l’Union européenne doit demeurer vigilante et s’intéresser au devenir des Balkans. Lire les premières lignes

  p. 68-72

Les fractures se sont accrues dans les Balkans avec la guerre en Ukraine. Certains États ont fait le choix de soutenir Kiev tandis que d’autres, comme la Serbie, restent attachés à conserver des liens étroits avec la Russie au nom de l’unité slave. Cela oblige l’Europe à s’intéresser davantage à cette région déjà fragile. Lire les premières lignes

  p. 73-78

L’espace yougoslave a été avant sa décomposition politique une plateforme culturelle innovante bousculant la pesanteur conformiste du système communiste. Cette histoire artistique a contribué à émanciper l’opinion publique des modèles d’expression alors en vigueur. Lire les premières lignes

  p. 79-83

Il y a 50 ans

En 1972, le continent européen est toujours divisé en deux avec à l’Est, le contrôle étroit par l’URSS de ses États satellites, tandis qu’à l’Ouest, le Royaume-Uni vient de dire « Oui » à l’Europe de la Communauté économique européenne (CEE) encore constituée des six États signataires du Traité de Rome en 1967, mais dont la finalité est avant tout économique et non politique. La République fédérale d'Allemagne (RFA) de Willy Brandt s’engage dans une Ostpolitik visant à un meilleur voisinage avec les pays de l’Est. Sur le plan sécuritaire, l’Otan monte la garde face au pacte de Varsovie, confirmant le statut de superpuissance que sont les États-Unis et l’URSS. Lire la suite

  p. 84-84

Opinions

La conflictualité a beaucoup évolué et voit de nouveaux acteurs engagés sur le terrain. Des compétiteurs stratégiques ont vu l’intérêt d’employer des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD). Il serait judicieux pour la France de réfléchir à ce mode d’action qui pourrait renforcer ses capacités opérationnelles. Lire les premières lignes

  p. 85-89

À l’heure de la guerre en Ukraine, la défense de l’Europe est redevenue une priorité avec un engagement concret de l’Union européenne et de l’Otan. Dès lors, il est nécessaire et urgent d’améliorer les processus de coopération entre les deux institutions avec des mécanismes plus efficaces. Lire les premières lignes

  p. 90-97

L’alliance militaire entre la Corée du Sud et les États-Unis s’est accrue ces dernières années, après des périodes de doutes et de remises en question. Aujourd’hui, la relation est forte due à un rapprochement probable avec le Quad. Pour Washington, Séoul est un allié modèle et fiable. Lire les premières lignes

  p. 98-102

La rivalité sino-américaine se développe sur de nombreux champs d’action dont l’économie. Entre indépendance et concurrence, les deux puissances voient leurs économies en compétition. La guerre monétaire entre le dollar et le yuan est une réalité, s’appuyant sur une montée en puissance des forces armées de Pékin. Lire les premières lignes

  p. 103-106

Repères

Les enjeux de défense et de sécurité sont essentiels pour l’Europe, à l’aune de la crise à l’Est. Il importe que les jeunes s’emparent et participent à construire un esprit de défense solide et s’inscrivent dans une démarche renforçant une Europe solidaire et démocratique. Lire les premières lignes

  p. 109-114

Approches régionales

L’Indo-Pacifique est devenu le nouveau centre de gravité géostratégique mondial, avec la Chine aux ambitions ouvertement affichées. La Polynésie française est, de ce fait, l’objet de toutes les convoitises et semble sensible aux projets proposés par Pékin, d’où la nécessité pour Paris de rehausser son effort. Lire les premières lignes

  p. 115-120

Chronique

L’Otan est mise sur pied au début des années 1950 pour répondre à la menace soviétique. Après la chute du Mur, elle bénéficia de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie pour retrouver une raison d’être. La France, membre fondateur malgré son retrait en 1966, a maintenu des liens importants tout en soulignant son indépendance. Lire les premières lignes

  p. 121-124

Recensions

Général Bruno Maigret : Opération Poker, au cœur de la dissuasion nucléaire française  ; Éditions Tallandier, 2021 ; 288 pages - Jérôme Pellistrandi

À l’heure où le rapport de forces et les ambitions impériales redeviennent des modes d’action, la compétition stratégique est désormais au cœur des relations internationales. Les ambitions sont ouvertement affichées et la course aux armements une réalité inéluctable. Pékin développe sa marine à une vitesse jamais connue, capable de produire en quatre ans l’équivalent de notre Marine nationale. Moscou veut reprendre l’initiative et se créer un glacis stratégique en réintégrant les États ayant quitté le joug soviétique après 1989. Plus que jamais, l’outil militaire redevient consubstantiel à la puissance géopolitique. Lire la suite

  p. 125-126

Geoffrey F. Gresh : To Rule Eurasia’s Waves – The New Great Power Competition at Sea  ; Yale University Press, Washington D.C., 2021 ; 376 pages - Thibault Lavernhe

Avec cet essai au titre évocateur, le professeur Geoffrey F. Gresh nous plonge au cœur de la compétition géoéconomique qui fait rage sur les océans et mers du monde, et plus particulièrement dans les zones maritimes qui bordent la masse eurasienne. Pour le professeur de relations internationales à la National Defense University de Washington, le siècle qui s’ouvre sera en effet maritime et eurasien, et le sceptre de Neptune se disputera entre les membres du quartet formé par les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde. Et le centre de gravité de cette compétition sera l’océan Indien. Le grand mérite de Gresh est de faire le lien entre géoéconomie et géostratégie. Toutes les composantes du Sea Power sont ainsi mises en relation pour offrir une analyse exhaustive des logiques qui sous-tendent la coopération, les rivalités et les dépendances entre les quatre grands acteurs maritimes du XXIe siècle. Lire la suite

  p. 126-128

Taline Ter Minassian : Gorbatchev  ; PUF, 2022 ; 174 pages - Eugène Berg

Il n’est pas sans intérêt, en cette période, de se pencher sur la personnalité d’un homme qui avait en horreur d’employer la force, ce qui lui est reproché aujourd’hui en Russie dans les couloirs du pouvoir. L’objectif du petit, mais dense livre de Taline Ter Minassian, professeure d’histoire de la Russie et du Caucase est de nous présenter Mikhaïl Gorbatchev : un homme encore jeune, dynamique, volontaire, mais pressé, arrivant au pouvoir, succédant à une troïka de vieillards cacochymes (1), comme la presse dénommait alors Léonid Brejnev, Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko. Lire la suite

  p. 128-131

Xavier Fréquant et Yassir Guelzim : L’Archipel des Français Libres  ; Éditions Mon autre France, 2021 ; 120 pages - Emmanuel Desclèves

C’est un très beau livre, grand format et magnifiquement illustré, que nous offrent les deux auteurs avec les Éditions Mon autre France dédiées à l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Lire la suite

  p. 131-131

Red Team : Ces guerres qui nous attendent – 2030-2060  ; Éditions PSL-Équateurs, 2022 ; 222 pages - Philippe Wodka-Gallien

Il faut vraiment avoir le moral pour aborder ce livre aux perspectives bien sombres, car c’est un monde déstructuré ultra-violent que nous annoncent les auteurs de ce travail prospectif, à la limite de la science-fiction. L’exercice confié en juillet 2019 à l’équipe de la « Red Team Défense » avait mandat de relever le défi consistant à imaginer nos futurs à l’horizon 2060. À l’animation, les équipes du ministère impliquées dans la préparation de l’avenir de la défense : l’Agence de l’innovation de défense (AID), l’État-major des armées (EMA), la Direction générale de l’armement (DGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Comme l’a écrit sur le site du ministère Emmanuel Chiva, directeur de l’AID : « Les auteurs et les dessinateurs de science-fiction sont parmi les personnes les plus créatives de la planète. Pour pouvoir se projeter sans avoir de préjugés, de barrières mentales, il faut avoir un certain état d’esprit. C’est celui des auteurs et des dessinateurs de science-fiction. » Lire la suite

  p. 132-132

Revue Défense Nationale - Mai 2022 - n° 850

La guerre en Ukraine et le monde d'après…

The War in Ukraine and the World Thereafter…

Vladimir Putin’s Russia is engaged in a major confrontation not only with Ukraine but also with countries claiming to represent democracy and the West. The latter did not see—or chose not to see—developments within Putin’s totalitarian regime towards imperialist ambitions.

The war in Ukraine is completely changing the game with regard to global geopolitics. As Russia risks straying into lasting and regrettable isolation, Europe is recognising its strategic impotence and its numerous dependencies, including that on the United States.

The media battle is one of the major components of the conflict, with the presentation of perceptions aimed at gaining the support of public opinion. To date, Volodymyr Zelensky has shown greater skill than Vladimir Putin, whose communication appears completely out of touch and counter-productive.

Since 1810 Sweden has had a policy of neutrality which has relied on strong defence. During the Cold War, the Swedes maintained a solid military structure which has nevertheless been reduced since the 1990s. With the war against Ukraine, the question of membership of NATO is becoming central.

The current war is highlighting the importance of the Black Sea, the control of which is strategic. Russia has its sights clearly set on this control, the aim being to isolate Ukraine. And yet the 1936 Montreux Convention limits Moscow’s potential and gives Turkey a far from negligible role.

The conflict between Russia and Ukraine has already offered a considerable number of operational lessons, with failures in the deployment of the operational echelon, which is so important to Russian doctrine—itself a direct derivation from the Soviet model. For the benefit of our own forces, we need to analyse Moscow’s errors.

The Western Balkans

Contemporary history of the Balkans has been complex and painful, with schisms built on geopolitical rivalries. The European Union and NATO have woken up to the need to renew their action to achieve better association of the countries in the region and hence to reduce the risk of conflict.

Accession of Balkan countries to the European Union is a laborious process, given that the position of states in the region with regard to the integration criteria leaves much to be desired. Nevertheless, faced with the entryism of powers such as Russia, Turkey and China, it is urgent that the EU offer a genuine perspective.

Thirty years after the cleavage of Yugoslavia, Europe has invested much, and remains active through its efforts to develop effective instruments to counter nationalist leanings. The crisis in Ukraine has boosted the need to maintain this action in order to preserve an ever-fragile peace.

The reality of Islamic radicalisation in the Western Balkans is the result of the break-up of Yugoslavia, which facilitated the transit of terrorists from the Middle East into Europe. Hence the need for the EU to maintain a presence and to contribute to fighting this threat.

Countries of the Western Balkans have increased their defence efforts for reasons of varying ambiguity, often marked by renewed nationalist attitudes. Although there seems little risk of war, the European Union must remain vigilant and maintain an interest in the future of the Balkans.

The war in Ukraine has led to increasing fractures in the Balkans. Some states have chosen to support Kiev while others, such as Serbia, remain fixed on maintaining close links with Russia in the name of Slavic unity. All of which means Europe needs to show greater interest in this already fragile region.

Before its political break-up, Yugoslavia was an innovative cultural centre that livened up the conformist burden of the Communist system. This artistic history contributed to liberating public opinion from the patterns of expression then in force.

Opinions

The nature of conflict has evolved enormously and is seeing new players deployed on the ground. Strategic competitors have seen the value of employing defence and security services companies. It would be wise for France to consider such an action which could boost its operational capabilities.

As war rages in Ukraine, the defence of Europe has once again become a priority, with a solid commitment of the European Union and NATO. There is now an urgent need to improve cooperation processes between the two institutions through more effective mechanisms.

The military alliance between South Korea and the United States has strengthened in recent years following periods of doubt and questioning. The relationship is strong today, aided by a probable rapprochement with the Quad. For Washington, Seoul is a model and reliable ally.

Sino-American rivalry is growing in a number of areas, one of which is the economy. From interdependence to open competition, the two powers see their economies as competitors. There is a genuine monetary war between the dollar and the yuan, evidence for which is Beijing’s increasingly powerful armed forces.

Viewpoints

Defence and security matters are essential issues for Europe in the light of the crisis in the East. It is important that the young accept and participate in building a soundly-based defence spirit and commit to a movement to strengthen Europe’s solidarity and democracy.

Regional Approaches

The Indo-Pacific region has become the new global geostrategic centre of gravity, given China’s openly-declared ambitions. Given this, French Polynesia has become much coveted and would appear sensitive to Beijing’s proposed projects. Paris therefore needs to increase its effort.

Chronicle

NATO was established at the beginning of the 1950s in response to the Soviet threat. Following the fall of the Wall the break-up of the former Yugoslavia allowed it to recover its raison d’être. As a founding member despite its withdrawal in 1966, France has maintained strong links whilst underlining its independence.

Book Reviews

Général Bruno Maigret : Opération Poker, au cœur de la dissuasion nucléaire française  ; Éditions Tallandier, 2021 ; 288 pages - Jérôme Pellistrandi

Geoffrey F. Gresh : To Rule Eurasia’s Waves – The New Great Power Competition at Sea  ; Yale University Press, Washington D.C., 2021 ; 376 pages - Thibault Lavernhe

Taline Ter Minassian : Gorbatchev  ; PUF, 2022 ; 174 pages - Eugène Berg

Xavier Fréquant et Yassir Guelzim : L’Archipel des Français Libres  ; Éditions Mon autre France, 2021 ; 120 pages - Emmanuel Desclèves

Red Team : Ces guerres qui nous attendent – 2030-2060  ; Éditions PSL-Équateurs, 2022 ; 222 pages - Philippe Wodka-Gallien

Revue Défense Nationale - Mai 2022 - n° 850

La guerre en Ukraine et le monde d'après…

Troisième mois de guerre entre la Russie et l’Ukraine ! Moscou n’arrive pas à gagner et Kiev n’a pas perdu mais, pour autant, ce conflit de haute intensité, où les combats rappellent ceux de la Seconde Guerre mondiale par leur violence tout en utilisant les ressources de la guerre hybride du XXIe siècle, remet en cause l’échiquier international et engage le monde dans des bouleversements durables et des fractures géopolitiques majeures. Si le 11 septembre 2001 avait ouvert un chapitre dramatique de vingt ans qui s’est refermé avec l’évacuation piteuse de Kaboul en août dernier, le 24 février ouvre une nouvelle ère, une boîte de Pandore dont nul ne peut prédire les conséquences. Certes, il ne s’agit pas d’une troisième guerre mondiale – il faut l’espérer – mais désormais d’une mondialisation de la guerre avec ses conséquences notamment économiques comme le risque de pénurie alimentaire, en particulier pour les pays dépendant du blé ukrainien et la hausse accélérée des prix des matières premières.

Alors que parmi les buts de guerre de l’« opération militaire spéciale » voulue par Moscou, l’objectif était de repousser l’Otan et de diviser l’UE – tout en démantelant l’Ukraine, un non-État aux yeux du Kremlin, c’est l’inverse qui est en train de se produire. Ainsi, pour les États neutres de la Baltique, l’adhésion à l’Alliance atlantique paraît désormais comme un gage essentiel de sécurité. L’UE, si réticente à envisager l’idée même de hard power, finance désormais des équipements militaires au profit de l’Ukraine, et les pays européens redoublent d’efforts pour à la fois soutenir Kiev, mais aussi pour se prémunir face à la menace russe. Simultanément, les États-Unis qui avaient délaissé la « vieille Europe » pour un pivot vers l’Asie-Pacifique, réinvestissent le champ européen via l’Otan avec la volonté risquée d’affaiblir durablement la Russie.

L’échiquier bouge donc rapidement avec le retour d’antagonismes anciens et des jeux de rivalité qui avaient été négligés. Il en est ainsi des Balkans un peu oubliés depuis plus d’une décennie et qui voient resurgir des fractures inquiétantes avec un catalyseur qu’est la guerre en Ukraine. C’est en quelque sorte un retour au siècle des nationalismes, le XIXe siècle, qui aboutit en son temps – après que les puissances européennes ont fait preuve d’un somnambulisme suicidaire – aux deux conflits mondiaux. Il en ressort que l’UE doit de toute urgence regarder, mais aussi agir dans cette région dont la déstabilisation probable aura des répercussions directes sur le continent.

De fait, ce printemps annonce des hivers difficiles et à l’heure où la France a choisi de reconduire le président Emmanuel Macron pour un nouveau mandat, il va falloir tirer toutes les conséquences engendrées par la guerre conduite par la Russie contre l’Ukraine. Conséquences pour notre défense, son budget et son organisation avec les leçons tirées du théâtre des opérations – et elles sont déjà nombreuses –, conséquences pour notre diplomatie avec les moyens accordés à nos ambitions en n’oubliant pas que notre pays se veut une puissance – certes moyenne – mais à vocation mondiale, conséquences pour le projet européen avec les remises en question imposées depuis le 24 février, conséquences pour notre propre perception de la citoyenneté dans un pays aux sensibilités politiques exacerbées, alors même que le besoin de cohésion sociale est plus que jamais indispensable pour relever les immenses défis qui nous attendent collectivement. ♦

Jérôme Pellistrandi

Revue Défense Nationale - Mai 2022 - n° 850

La guerre en Ukraine et le monde d'après…

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