Le pivotement stratégique des États-Unis vers la région Asie-Pacifique traduit de nouvelles priorités, de nouvelles préoccupations et une nouvelle ambition à étudier. En France aussi la raison voudrait sans doute que l’on s’adapte pour considérer que la préparation de la guerre (celle que l’on a pratiquée si tragiquement en Europe ces derniers siècles) cède le pas à la gestion de la crise (celle qui s’impose désormais aux pays avancés) économique, sociétale, de gouvernance. Et que les efforts consentis pour dissuader la guerre, ou à défaut conduire les batailles, soient reportés globalement sur ceux à faire pour réduire nos vulnérabilités, acquérir une meilleure résilience et renforcer nos potentiels de développement. Passer de la défense militaire du pays à la sécurité globale et à la protection individuelle. Lire la suite

  p. 1-1

Les rapports entre politiques et militaires sont structurellement complexes et potentiellement antagonistes, que ce soit dans la conduite des combats ou dans le maintien d’une posture de défense pérenne et efficace. Les déterminants des uns et des autres diffèrent par nature et, hors menace directe, leurs relations sont tendues. Lire la suite

  p. 5-8

Sur la base d’une généalogie détaillée du concept de sécurité dont il montre les développements récents, l’auteur met en garde sur les effets de l’invasion révolutionnaire du phénomène de sécurité globale dans la pensée stratégique, notamment française. Il l’estime versatile et instable et recommande d’en maîtriser les effets pervers afin de ne pas renoncer aux principes d’endiguement de la guerre, mis en forme au fil des siècles et qui découlent moins d’une pulsion humanitaire liée à la modernité que d’une connaissance profonde du phénomène guerre. Lire les premières lignes

  p. 9-16

Pivotement américain

C’est à la directive stratégique de janvier 2012, qui porte la marque personnelle du président Obama qu’il faut se référer pour apprécier l’ampleur de l’évolution de la posture stratégique des États-Unis. La décroissance budgétaire des crédits de défense, le pivotement vers l’Asie de l’Est et le désengagement militaire relatif en Europe et au Moyen-Orient en sont les plus notables facteurs. Lire les premières lignes

  p. 19-22

La situation budgétaire paradoxale dans laquelle se trouve le Pentagone ne permet pas aux États-Unis de prendre correctement le virage qu’impose une stratégie qui redéploie vers la zone Asie-Pacifique la protection des intérêts de sécurité américains. Si des réformes sont engagées, la période de la contre-insurrection close, le rééquilibrage régional en cours, c’est surtout le strict encadrement par le Congrès de la dépense de défense qui dicte le quotidien des forces armées américaines. Lire les premières lignes

  p. 23-30

La politique américaine de rééquilibrage vers l’Asie va s’accentuer lors du second mandat d’Obama mais elle restera conditionnée par des paramètres dont les clés principales se trouvent en Chine. C’est dans la région Asie-Pacifique que la croissance économique, l’innovation et les perspectives d’augmentation du commerce international sont les plus fortes et les États-Unis entendent y défendre au mieux leurs intérêts. Lire les premières lignes

  p. 31-35

L’analyse d’un récent document de base qui redéfinit les fondamentaux de l’Armée de terre américaine révèle des tendances qui pourraient être généralisées : adaptabilité, rapidité de déploiement, réduction de format permise par les apports technologiques, intégration interarmées, souci de protection du territoire national, soin particulier apporté à la formation des soldats et de leurs chefs. Lire les premières lignes

  p. 36-43

C’est un retour de l’espace militaire dans les ambitions américaines sur la scène internationale que prévoit le second mandat du président Obama. Innovation politique, maîtrise budgétaire, dissuasion spatiale et expansion économique prudente marquent désormais cette posture plus résolue des États-Unis. Lire les premières lignes

  p. 44-49

La fièvre doctrinale qui a saisi les divers circuits de défense américains se concentre sur les stratégies de contre-déni d’accès. L’auteur en fait l’inventaire, en révèle les généalogies croisées et montre qu’elle s’inscrit dans un marais conceptuel marqué par l’obsession de la puissance chinoise. Les choix interarmées qui en résultent montrent une effervescence intellectuelle et technologique américaine qui va se heurter aux réalités budgétaires. Lire les premières lignes

  p. 50-56

En examinant le déploiement des forces américaines en Méditerranée orientale, l’auteur montre la place qu’y tient la projection de la puissance américaine dans l’espace régional de l’Asie occidentale et centrale. Lire les premières lignes

  p. 57-61

Monsieur George n’est pas content ! Il faut dire que Monsieur George semble mettre un point d’honneur à valider ce que son compatriote Mark Twain disait de lui : « Dieu a créé la guerre afin que les Américains apprennent la géographie ». Qui ne se souvient de ces grandes cartes en carton qu’on accrochait, au mur de nos classes, par deux trous cerclés de fer ? On y apprenait à placer les pays les uns par rapport aux autres, on y acquérait surtout la notion des distances. Je fis un jour découvrir à un diplomate de Monsieur George que l’Iran était bien loin de Washington comme de Paris, et que Jérusalem, troisième lieu saint de l’Islam, était enchâssé au cœur d’Israël, sanctuarisation de l’État hébreu s’il en est. Je l’imaginai, de retour à son ambassade, se précipitant sur un atlas. Il y aura également compris pourquoi les Iraniens n’ont nul besoin de la bombe pour se faire comprendre : deux cents canots montés par un millier de Pasdarans, traversant de nuit le détroit d’Ormuz pour débarquer à l’aube sur la skyline du front de mer de Dubaï, sont suffisants. Et que dire des terminaux pétroliers qui côtoient dans cette région des Émirats les usines de dessalement d’eau de mer ? Lire les premières lignes

  p. 128-128

Contrepoint

La relation paradoxale qui s’est nouée sous l’administration Obama entre Moscou et Washington a permis un redémarrage bilatéral et connu des moments de coopération positive. Mais elle reste marquée par le dialogue critique de la guerre froide et se nourrit de la dissymétrie des puissances et des projets. Lire les premières lignes

  p. 63-66

Repères - Opinions

La dureté des temps nous conduit à réexaminer cette constante du mensonge dans la vie publique en mesurant ses effets perceptibles sur la communauté nationale autant que sur les performances du pays. Une fois encore, l’expérience issue du monde militaire, accoutumé aux contraintes et formé à relever les défis, nous apporte quelques pistes de réflexion. Lire les premières lignes

  p. 69-75

Dans cette défense et illustration de la langue française comme outil de cohésion sociale et vecteur d’une intelligence collective du monde, l’auteur montre en quoi la langue est un atout et un outil majeur de résilience du pays face aux enjeux de la mondialisation. Lire les premières lignes

  p. 76-82

En pratiquant une lecture précise de l’ensemble des textes réglementaires et juridiques qui fondent la défense nationale et organisent le droit des conflits armés, l’auteur révèle un étonnant vide juridique concernant la responsabilité du président de la République d’engager les forces nucléaires et une batterie de bonnes raisons de l’exécutant de ne pas obéir à ses ordres. Cette démonstration par l’absurde suggère un toilettage des textes. Lire les premières lignes

  p. 83-88

À la veille du retrait des forces occidentales, l’actualité du dossier afghan reste marquée par de nombreux rapports évoquant l’écroulement rapide de ce pays, le retour de la guerre civile et celui des taliban au pouvoir. Ces propos pessimistes occultent les efforts et résultats des forces de la coalition depuis plus de douze années. Lire les premières lignes

  p. 89-92

En Irak comme en Afghanistan, la différence culturelle représente un défi pour les opérations d’assistance qui ne peuvent se contenter de la tolérer sous peine d’échouer dans leurs missions. Dès lors, la confrontation est une exigence pour susciter une dynamique de progrès indispensable à l’autonomie des forces locales, sans pervertir les objectifs de la coalition internationale. Bilan d’une expérience de mentorat. Lire les premières lignes

  p. 93-98

En récapitulant l’ensemble des projets russes de construction navale qui visent à rénover la flotte de la mer Noire, l’auteur expose le rôle que celle-ci est appelée à jouer dans la prochaine décennie, que ce soit à l’égard du Caucase ou des détachements en Méditerranée. Lire les premières lignes

  p. 99-106

Le développement de la criminalité transnationale organisée en Afrique de l’Ouest a aggravé l’instabilité de la sous-région alors qu’au plan opérationnel, l’architecture sécuritaire de la Cédéao ne sait pas prendre en compte ce type de menaces protéiformes. L’auteur expose un concept fondé sur une approche « policière » permettant la détection précoce, des investigations collectives et un appui international efficace pour y faire face. Lire les premières lignes

  p. 107-113

Dans ce plaidoyer pour refuser l’utilisation par les armées françaises de drones armés, on analyse la place de l’éthique dans l’exposition aux risques du combat. Elle différencie les armées américaines dont l’approche de l’ennemi s’enracine dans la culture essentialiste américaine et les armées françaises dont le code du soldat de l’Armée de terre exprime bien la nécessaire relation morale qui lie risque et honneur. Lire les premières lignes

  p. 114-118

Un regard lucide et circonstancié permet de mesurer l’engagement partisan de la communauté occidentale au Moyen-Orient et de poser la question de la cohérence stratégique  des traitements  réservés à l’Iran, à l’Arabie saoudite et au Pakistan. Une telle analyse qui sort des chemins battus invite à une plus grande lucidité. Lire les premières lignes

  p. 119-124

L’analyse des atlas fournit une excellente approche du monde globalisé, de ses acteurs, de ses tensions, de ses représentations comme nous le montre l’auteur qui explore et présente l’Atlas géopolitique et l’Atlas de la mondialisation récemment diffusés. Lire les premières lignes

  p. 125-127

Recensions

Gérard Chaliand (avec la collaboration de Michel Jan) : Vers un nouvel ordre du monde  ; Éditions du Seuil, 2013 ; 320 pages - Pierre Conesa

Gérard Chaliand poursuit sa réflexion, entamée depuis de longues années avec ses pérégrinations et ses publications, sur le nouvel ordre mondial, encore qu’on aurait pu attendre que la réflexion s’intitulât « vers un nouveau désordre mondial ». Le livre présente un double intérêt. Bien que prenant l’année 1979 comme point de départ des mutations actuelles, les évolutions de chaque grande aire culturelle ou de chaque puissance sont analysées dans le temps long. Il est clair, à la lecture du livre, que le dégel de la banquise idéologique que constituaient les primats stratégiques de la guerre froide, a redonné vie aux grands axes géopolitiques traditionnels. La multipolarité, c’est aussi cela : comprendre que la globalisation n’explique pas comment chacun raisonne. Lire la suite

  p. 129-130

Général Gilbert Forray : La stratégie de l’audace, quatorze cas concrets  ; Économica, 2013 ; 280 pages - Claude Le Borgne

Le général Forray est un stratégiste précis. Non qu’il se refuse à embrasser la totalité de sa discipline : il le fait dans le dernier chapitre de ce livre, en un tableau de la conjoncture géostratégique dont les commis au Livre blanc auraient pu tirer profit. Il préfère pourtant accrocher sa réflexion à quelque thème choisi. Dans ses précédents ouvrages, il nous a parlé de la guerre d’indépendance américaine, d’Austerlitz, de débarquements en Angleterre. C’est ici l’audace militaire qu’il observe, en quatorze exemples qu’il nomme cas concrets. Il eût pu remonter à Carolus Audax, c’est en 1940 qu’il commence sa revue. Chacun des épisodes qu’il a sélectionnés est présenté en un plan rigoureux : cadre, faits, analyse, conclusion en forme de jugement. Lire la suite

  p. 130-130

Xavier Baron : Aux origines du drame syrien 1918-2013  ; Tallandier, 2013 ; 317 pages - Pierre Morisot

La « mosaïque syrienne » offre une illustration impressionnante de l’« Orient compliqué » évoqué par le général de Gaulle. La notion d’État implique normalement un territoire délimité par des frontières clairement tracées, une population relativement homogène imprégnée d’une culture voire d’une religion dominante, des institutions admises. Rien de tout cela dans le panorama décrit ici par Xavier Baron qui, sans remonter à Palmyre et à la reine Zénobie, parcourt en 26 courts chapitres un siècle d’agitation et de violence. Lire la suite

  p. 131-132

Revue Défense Nationale - Mai 2013 - n° 760

The discussions between politicians and military officials are structurally complex and potentially antagonistic, whether in the management of combat or in the support of a permanent and effective defense position. The determining factors of each differ by nature and outside of direct threats their relations are strained. Read more

Based on a detailed genealogy on the concept of security, the author shows the recent developments and raises awareness about the effects of the revolutionary invasion of the phenomenon of global security in political thought, notably that of the French. He considers it fickle and unstable and recommends controlling the adverse effects so as not to renounce the principle of containment, shaped over centuries that stemmed from less of a humanitarian drive tied to modernity than a profound knowledge of war phenomenon.

American Pivot

It is the policy directive of January 2012 that bears the personal mark of President Obama that we must refer to in order to appreciate the extent of the evolution of the strategic position of the United States. The decrease of the defense budget, the pivot towards East Asia, and the relative military withdrawals in Europe and the Middle East are some of the most notable factors.

The paradoxical budget situation that the Pentagon finds itself in does not permit the United States to properly take the turn and impose a policy that redeploys a protection of American security interests to the Asia-Pacific zone. If these reforms are put into play with the period of counter-insurrection concluded and the undergoing regional rebalancing, it will still certainly be under the strict control of Congress on defense spending that dictates the life of American armed forces.

The American policy of rebalancing towards Asia will escalate during Obama’s second term, but it will rest conditional on certain parameters, of which the keys are found in China. It is the Asia-Pacific region, where prospects for economic development, innovation, and international trade are the strongest, that the United States intends to defend in order to advance their interests.

The analysis of a recent background paper that redefines the fundamentals of the American Army reveals tendencies that could be generalized: adaptability, rapid deployment, size reductions with technological innovations, joint-army integration, and concerns for the protection of national territory, with particular care given to the formation of soldiers and their leaders.

It is a return to military space in American ambitions on the international scene that organizes the second term of President Obama. Political innovation, budget control, spatial dissuasion, and careful economic expansion will, from now on, mark this more determined position of the United States.

The doctrinal fever that seized various departments of American defense is concentrating on the strategy of counter access denial. The author takes stock of this, revealing the crossing genealogies and showing that it is in a conceptual swamp marked by an obsession with Chinese power. The resulting joint-army decisions show an intellectual and technological turmoil that will run into budget realities.

By examining the deployment of American forces in the Eastern Mediterranean, the author shows the place that American forces hold in this regional space of Western and Central Asia.

Counterpoint

The paradoxical relationship that has been built up under the Obama administration between Moscow and Washington has permitted a bilateral restart and has known moments of positive cooperation. But it remains marked by criticisms of a Cold War dialogue that thrives on their disproportional powers and intentions.

Opinions and Viewpoints

The harshness of time steers us to reexamine the permanency of lies in public life by measuring their noticeable effects on the national community as well as on the performance of the country. Once again, experience from the military world, accustomed to constraints and created to rise to the challenge, gives us food for thought.

In this defense and illustration of the French language as a tool for social cohesion and vector of global, collective intelligence, the author shows how language is an asset and a major tool of resilience of a country faced with the concerns of globalization.

By practicing a close reading of all reglementary and legal texts that founded the National Defense and organized the laws of armed conflict, the author reveals a surprising legal vacuum concerning the responsibility of the president of the Republic to engage nuclear forces and a battery of good reasons for the subordinate to not obey his orders. This reductio ad absurdum proposes a cleaning up of texts.

On the eve of the retreat of Western forces, current Afghan news remains marked by numerous reports alluding to the rapid collapse of the country and the return of civil war and the Taliban to power. These pessimist remarks detract from the efforts and the results of more than a dozen years of coalition forces.

In Iraq as in Afghanistan, cultural differences represent a challenge for aid operations that cannot settle or tolerate them at the risk of failing their missions. Therefore, confrontation is a requirement in order to provoke a dynamic of indispensable progress for the autonomy of local forces, without corrupting the objectives of the international coalition. This assessment is delivered with the experience of a mentor.

By going over all of the Russian plans of naval construction that aim to renew their fleet in the Black Sea, the author exposes the role that this calls us to play in the next decade, be it in regard to the Caucus or the military groups in the Mediterranean.

The development of transnational organized crime in West Africa has aggravated the instability in this sub-region, while at the operational level the security structure of ECOWAS is unclear on how to consider these multifaceted threats. The author exposes a concept based on a “law enforcement” approach, permitting early detection, collective investigations, and an effective international push to face them.

In this plea to refuse the use of armed drones by French armies, one analyzes the place of ethics in the exhibition of the risks of combat. It differentiates between the American armies, in which the approach of the enemy is rooted in their fundamental American culture, and the French armies, in which the Ground Army’s Soldier’s Code well expresses a necessary moral connection that links risk to honor.

A realistic and detailed look permits us to measure the partisan engagement of the Western community in the Middle East and to ask the question on the strategic coherence of treatments reserved for Iran, Saudi Arabia, and Pakistan. Such an analysis off the beaten path invites greater clarity.

An analysis of the atlas provides an excellent approach to the globalized world, its actors, its tensions, and its portrayal, as shown to us by the author who explores and presents the geo-political atlas and the recently released atlas of globalization.

Book reviews

Gérard Chaliand (avec la collaboration de Michel Jan) : Vers un nouvel ordre du monde  ; Éditions du Seuil, 2013 ; 320 pages - Pierre Conesa

Général Gilbert Forray : La stratégie de l’audace, quatorze cas concrets  ; Économica, 2013 ; 280 pages - Claude Le Borgne

Xavier Baron : Aux origines du drame syrien 1918-2013  ; Tallandier, 2013 ; 317 pages - Pierre Morisot

Revue Défense Nationale - Mai 2013 - n° 760

Le pivotement stratégique des États-Unis vers la région Asie-Pacifique traduit de nouvelles priorités, de nouvelles préoccupations et une nouvelle ambition à étudier. En France aussi la raison voudrait sans doute que l’on s’adapte pour considérer que la préparation de la guerre (celle que l’on a pratiquée si tragiquement en Europe ces derniers siècles) cède le pas à la gestion de la crise (celle qui s’impose désormais aux pays avancés) économique, sociétale, de gouvernance. Et que les efforts consentis pour dissuader la guerre, ou à défaut conduire les batailles, soient reportés globalement sur ceux à faire pour réduire nos vulnérabilités, acquérir une meilleure résilience et renforcer nos potentiels de développement. Passer de la défense militaire du pays à la sécurité globale et à la protection individuelle.

Il est vrai que des fragilités croissantes semblent affecter des secteurs peu couverts par la garantie militaire et miner les bases du contrat social qui lie le citoyen à l’État : solidarité nationale, cohésion sociale, identité collective, prospérité et ordre public, angles morts de la défense mais vraies préoccupations de sécurité des Français. Cela vaut aussi pour les désordres latents importés de l’extérieur qui touchent la santé publique, la sécurité alimentaire, le ravitaillement énergétique ; pour les dangers liés à la criminalisation croissante des échanges numériques, aux trafics de substances illicites, à la circulation humaine mal contrôlée qui importe des tensions économiques, ethniques ou religieuses. Les traiter est prioritaire, tous moyens réunis. Or, face à ces réalités, l’ultima ratio de l’État est décalée, la force publique doit s’exercer prioritairement dans des secteurs non militaires. Et de son côté, l’action militaire a muté pour se développer hors du contexte classique des guerres interétatiques, comme on l’a vu avec les combats expéditionnaires « à l’intérieur » des populations afghane, ivoirienne, libanaise, libyenne, malienne. La tentation d’un théâtre intérieur existe comme celle d’une sécurité globale, non militaire, une sorte d’urgence sécuritaire qui ferait renoncer à un appareil de défense, pour sagement concentrer nos efforts sur nos faiblesses.

Mais disait Philinte, « La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l’on soit sage avec sobriété ». La sécurité globale exige la capacité militaire, une capacité propre. Car si la France ne doit pas baisser sa garde militaire, c’est que son histoire devrait l’avoir immunisée contre tous les renoncements. Et cela vaut pour ses compétences souveraines, sa langue bien sûr d’abord, sa technologie ensuite et sa capacité d’action militaire. Certes sa souveraineté est encadrée par ses multiples dépendances, et tout d’abord à ses idéaux et à ses responsabilités, au cœur desquelles il y a l’Europe et la Méditerranée. Mais c’est précisément parce que l’Europe militaire n’existe pas que la France doit conserver intacte son aptitude opérationnelle pour prévenir, dissuader les guerres dans son espace vital et, s’il le faut, les conduire. Le pouvoir pacificateur de l’atome, l’intelligence de l’espace, la protection des flux vitaux, la capacité d’intervention au sol relèvent d’un contrat stratégique implicite validé par les Français et leurs voisins. L’efficacité militaire ne peut être sacrifiée à la raison économique. Cet axiome doit être rappelé avec pédagogie et constance à l’opinion publique et aux élites politiques. ♦

Jean Dufourcq

Revue Défense Nationale - Mai 2013 - n° 760

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